mardi 17 mars 2020

Futur de l'IA

(Cet épisode fait partie de la série "Dynamique et ressort de l'intelligence artificielle".)

Épisode précédent : Éthique de l’IA

Quel est, dans la situation présente, le ressort qui propulse l'IA vers son futur ?

Il est peu probable que la troisième IA puisse connaître un « hiver » comparable à celui des deux premières, car une fois étalonnée et contrôlée elle procure une estimation du diagnostic (qu'il faudra cependant encore savoir interpréter à la lumière de la théorie du domaine observé). Son utilisation pour évaluer des textes, des images, etc., moins efficace, exigera plus encore l'effort d'interprétation. Il est enfin vraisemblable que l'on renoncera à utiliser l'IA pour faire des prédictions car les déceptions s'accumulent.

Il est vraisemblable aussi que les charlatans ne parviendront plus dans quelques années à vendre leur « snake oil » car l'apport et la nature de l'IA auront été mieux compris : les imaginaires ne seront plus aussi facilement qu’aujourd’hui hantés par des chimères.

Les obstacles sociologiques et culturels que rencontre l'informatisation finiront par être surmontés, comme le furent en leur temps les obstacles que rencontrait la mécanisation, même si cela prend du temps.

Écoutons les leçons qui ont été tirées d'une des performances les plus impressionnantes de l'IA : la victoire de Deeper Blue contre le champion du monde des échecs en 1997. Gary Kasparov estime avoir été vaincu non par une intelligence, mais par la « force brute » de la machine :

« [The IBM machine] was anything but intelligent. It was as intelligent as your alarm clock. A very expensive one, a 10 million dollars alarm clock, but still an alarm clock. Very poweful – brute force, with little chess knowledge. But chess proved to be vulnerable to the brute force: it could be crunched once hardware got fast enough and databases got big enough and algorithms got smart enough. »
(Gary Kasparov et Mig Greengard, Deep Thinking: Where Machine Intelligence Ends and Human Creativity Begins, Public Affairs, 2017).

L'expérience a conduit les praticiens et chercheurs à la conclusion suivante :

« The strongest chess player today is neither a human, nor a computer, but a human team using computers »
(Devdatt Dubhashi et Shalom Lappin, « AI Dangers: Imagined and Real », Communications of the ACM, février 2017).

Cette conclusion a une portée générale : l'organisation la plus efficace est celle qui s'appuie non sur la seule « intelligence » de l'ordinateur, mais sur le « cerveau d’œuvre33 » qui résulte de la symbiose du cerveau humain individuel avec l’ordinateur évoquée par Licklider, complétée par une organisation de la synergie des cerveaux d’œuvre.

Alors que la réflexion sur l'IA est aujourd'hui focalisée sur la conception des algorithmes, domaine de recherche en pleine progression, elle devra se focaliser sur la relation qui existe, dans l'action productive, entre l'intelligence à effet différé et l'intelligence à effet immédiat : la mise en œuvre d'une IA suppose d'ailleurs déjà l'investissement d'une intelligence humaine pour contrôler les données, réaliser et vérifier l'étalonnage lors de sa conception, puis pour interpréter les résultats lors de son utilisation.

Cette évolution demandera quelques décennies car elle suppose une transformation des habitudes, de la culture et des valeurs34 qui implique de redéfinir la mission des institutions et de remodeler leur organisation.

Enfin on peut prévoir que le déploiement de l'informatisation offrira à l'IA des terrains nouveaux :
  • l'impression 3D et le « 3D scanning » forment un couple de techniques qui permet à des « choses » (êtres inanimés dotés d'une masse et d'un volume) de traverser dans les deux sens la frontière de l'écran en étant associées à leur « image virtuelle » ;
  • l'« Internet des objets35 » associe à chaque « chose » un URI (Uniform Resource Identifier) porté par une puce RFID (Radio Frequency Identification) ;
  • la blockchain, le chiffrement, les « cryptomonnaies36 » ouvrent la perspective d'une transformation profonde de l'économie.

Alors que l'informatisation a d'abord concerné la relation entre les êtres humains et les documents (textes, images, programmes, etc.), puis s'est étendue avec la robotique à l'automatisation de l'action productive sur les « choses », elle va s'étendre ainsi à la relation des êtres humains avec les « choses », des « choses » avec l'ordinateur, enfin des « choses » entre elles.

Déjà l'impression 3D s'impose dans les usines et pour la fabrication des prothèses, car elle permet de produire de façon personnalisée des « choses » présentant le meilleur compromis entre la solidité et la légèreté.

L’Internet des objets nécessite des modèles d’affaire et des formes de coopération qui impliquent une adaptation de l’organisation et des processus de production, de la gestion et de la gouvernance des entreprises. Dès aujourd'hui diverses applications offrent autant de terrains à l'IA :
  • télécommunications : puces SIM des téléphones mobiles, géolocalisation ;
  • vétérinaire : marquage des bovins, des équidés, des animaux domestiques ;
  • santé : suivi des équipements, des patients, contrôle des médicaments, gestion des traitements, projet de dossier médical partagé (DMP), sécurité et confidentialité des données ;
  • documents d’identité : passeport biométrique, badges d’accès, cartes bancaires, cartes de fidélité ;
  • transport : systèmes de paiement (autoroutes, Navigo, Velib) ;
  • loisirs et culture : billetterie, contrôle des accès, etc.

Enfin un autre terrain sera offert par une « cryptomonnaie » comme la Libra :
  • elle sera utilisée en Inde et en Afrique, zones faiblement bancarisées mais équipées de téléphones mobiles ;
  • elle sera mise à profit pour épargner dans les pays frappés par l’inflation, ou encore dans les pays développés en raison de sa commodité ;
  • elle permettra de rémunérer les autorisations accordées par les utilisateurs pour exploiter leurs données personnelles ou la cession à des laboratoires pharmaceutiques de leur dossier de santé anonymisé ;
  • les utilisateurs seront incités, grâce à des « apps » partenaires, à répondre à des enquêtes, laisser leur avis sur un lieu touristique, partager la capacité de leur disque dur et la production de leur panneau solaire, faire du covoiturage, louer leur perceuse, contribuer aux équivalents de YouTube et de Wikipédia…

FIN
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33 Michel Volle, iconomie, Economica, 1914.
34 Michel Volle, Valeurs de la transition numérique : Civilisation de la troisième révolution industrielle, Institut de l'iconomie, 2018.
35 Pierre-Jean Benghozi, Sylvain Bureau et Françoise Massit-Folléa, L’Internet des objets, MSH, 2009.
36 Vincent Lorphelin, « L’économie mondiale est sur le point d’être transformée avec la cryptomonnaie de Facebook », Le Monde, 20 juin 2019.

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