- Une passion, voilà qui est bien ! lui ai-je dit. Et qu'étudies-tu en maths ?
- L'analyse (NB : la théorie des fonctions)...
- Oui, je vois... et la théorie des nombres ?
- Non, nous n'étudions pas ça.
- Dommage, c'est ce qu'il y a de plus fondamental. Si tu veux comprendre Galois...
- Ah, Galois, c'est mon Dieu !
- Eh bien pour le comprendre il te faut étudier la théorie des nombres.
Quand j'ai tenté de lire Galois je n'y ai rien compris. Gabay, l'éditeur, m'a dit que Galois était expliqué dans un livre de Jordan. J'ai essayé de lire Jordan, mais je n'y ai rien compris non plus. Quelque part dans son livre il dit avoir assidûment étudié Serret. Je me suis donc procuré le Cours d'algèbre supérieure de Serret (1877), et voilà que je comprends tout. Les démonstrations sont d'une extrême élégance... Lorsque j'aurai lu et compris Serret, j'étudierai Jordan, puis je lirai Galois. Les mathématiciens français du XIXe siècle étaient d'un très haut niveau, la lecture de certaines de leurs pages demande une semaine de méditation mais cela vaut la peine.
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Ce garçon lit maintenant Serret et il me dit en tirer profit. Cependant j'ai un remords : n'aurais-je pas dû lui indiquer d'autres lectures qui complètent et équilibrent l'étude des maths ?
La physique nous fait sortir du monde de la pensée, que les mathématiques explorent, pour nous confronter au monde de la nature, ce monde dont la complexité dépasse notre pensée et dans lequel nous devons pourtant savoir vivre et agir.
On peut aborder la physique de deux façons : en partant des phénomènes, en partant de la théorie. Ces deux approches sont également nécessaires, mais il faut sans doute commencer par les phénomènes qui nous étonnent et dont nous cherchons l'explication.
Je recommande alors les Lectures on Physics de Feynman, qui comporte 115 chapitres. On peut lire un chapitre par jour sans surmener le cerveau : si l'on tient compte des jours de paresse ou de relecture, il faut donc compter six bons mois pour en venir à bout mais c'est très agréable. Contrairement à la plupart des profs de physique que j'ai eus, Feynman ne feint pas de croire que ce qu'il dit est évident : il explique, commente et illustre longuement son propos et tout en restant au ras des phénomènes il définit à longueur de page les outils mathématiques qu'il utilise.
C'est pourquoi il est bon de le compléter par une approche théorique. Lorsque j'étais à l’École polytechnique les professeurs nous ont jeté à la figure les équations de Lagrange et de Hamilton sans les expliquer aucunement. Je n'y ai donc rien compris.
Il a fallu que je découvre les chapitres I et VII de la Mécanique de Landau et Lifchitz pour voir qu'il suffisait d'accepter le principe de moindre action : alors la mécanique se déroule logiquement, selon un raisonnement d'une extraordinaire beauté.
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Pour chaque discipline scientifique la théorie peut se déduire d'un principe simple (non contradiction en mathématiques, moindre action en physique, optimum de Pareto en économie etc.). Mais ce n'est pas ainsi que procèdent la plupart des pédagogues : ils préfèrent présenter une sorte de bouillie où des bribes de théorie, énoncées d'ailleurs de façon dogmatique, sont mêlées à une sélection de phénomènes commode pour l'exposé mais logiquement arbitraire. Le principe, lorsqu'ils l'évoquent, est présenté comme étant hors de la portée de l'entendement d'un étudiant.
Seuls de bons élèves à la mémoire docile peuvent assimiler une telle bouillie... J'ai renâclé jusqu'à ce qu'une lecture, un professeur ou un ami entrouvre devant moi la porte de la théorie en m'indiquant son principe : alors tout s'est ordonné et tout est devenu clair, sinon facile.
Bonsoir Michel, Je souscris complètement à votre opinion et aux deux références que vous citez qui sont des monuments de la physique théorique. J'ai lu certains volumes du Cours de Physique du Pr Feynmann moi aussi pour approfondir des notions. Et des extraits publiés sur le Net du L&L pour comprendre justement les théories lagrangiennes et la théorie des transitions de phase de Landau.
RépondreSupprimerBonsoir,
RépondreSupprimerAvec Feynmann, j'ai compris pourquoi certains matériaux sont transparents. Pourquoi l'on dit "vitesse de la lumière dans le vide" alors que je pensais que cette vitesse est une constante.
Une des phrases qu'il dit souvent dans son cours est : "Ce que l'on veut savoir, c'est ce qu'il se passe vraiment; C'est comprendre comment ça marche". Et c'est vrai qu'une fois que l'on a compris ce qui se passe, tout devient beaucoup plus simple.
Mais pourquoi me l'expliquait t-on jamais ??!!?!!!
Merci pour Serret
Hervé
C'est vrai que la physique expliquée par Landau et Lifchitz ou par Feynman, ça devient presque simple (j'exagère un peu, car certains volumes de la série L&L demandent plusieurs lectures - ce que je n'ai pas encore fait !). Moi, c'est l'introduction de la masse qui m'avait réjoui dans la Mécanique...
RépondreSupprimerQuoi qu'il en soit, je pense que les Mathématiques ont une pureté, une universalité qui n'appartiennent qu'à elles et je comprends (et j'en suis heureux) qu'il y ait toujours des jeunes (ou d'autres) qui en soient amoureux.
La Physique, sans doute devrions-nous dire les Physiques, pour faire un pendant aux Mathématiques, ne s'appliquent pas de la même façon aux très grandes ou aux très petites échelles. Peut-être sont-elles locales tout simplement, liées à un système planétaire ou galactique, encore que le principe d’extremum d'action soit très séduisant ?
Mais cela suffit-il pour engendrer une passion durable ? [Joskowicz]
Merci de ces conseils. Un ami spécialiste de chimie quantique (Comment pourrait-elle être autre chose que quantique ?) m'a soutenu que comme M. Jourdain faisait de la prose, je faisais de la topologie à l'insu de mon plein gré. Si c'est vraiment utile, quelle introduction à ce domaine me conseilleriez vous ? Merci d'avance.
RépondreSupprimer@Julio Béa
RépondreSupprimerJ'avoue ma honte : je n'ai jamais "mordu" à la topologie et suis donc incapable de vous conseiller une lecture.
Peut-être un autre commentateur pourra-t-il vous orienter...
Le cours lumineux de mon professeur de Math Sup, M. Hazard "dit ZORN", m'avait fait adorer la topologie, ainsi qu'à beaucoup de ses étudiants. La première heure de cours de topologie était d'ailleurs une fête rituelle, où les élèves de l'année précédente rejoignaient le cours pour reprendre avec le professeur la phrase magique "l'ensemble vide est le plus petit tout vert".
RépondreSupprimerCeci écrit, je ne me souviens pas que nous ayons eu de manuel écrit, ni avoir lu grand chose en-dehors de ses cours. C'est la magie de la prépa à la française... !
Principalement sur la théorie des nombres :
RépondreSupprimerProofs from the Book de Martin Aigner et Günter M. Ziegler en français "Raisonnements divins" 2° édition 2006. Le livre est dédié à Paul Erdös.
Il faut s'accrocher mais c'est super !
Effectivement la remise en contexte avant l'apprentissage "bête" est la meilleure chose.
RépondreSupprimerIl est d'ailleurs intéressant de constater que l'Education Nationale nomme désormais les élèves des "apprenants" et privilégie la méthode aux résultats finaux. C'est le professeur des écoles de mon fils qui est en CM2 qui nous l'a précisé.
Un pas dans la bonne direction ?
@richardcoffre
RépondreSupprimerComme la plupart des néologismes "apprenant" n'est qu'un alibi : remplacer un mot par un autre en l'occurrence inélégant, cela permet de ne rien changer dans les faits.
Mieux vaut garder "élève". L'effort doit porter sur la pédagogie et non sur le vocabulaire.