dimanche 28 août 2011

La richesse des nations

L’INED vient de publier « Tous les pays du monde (2011) » qui fournit pour 208 pays et autres territoires (nous dirons « pays » tout court) les données démographiques essentielles ainsi que le revenu national brut par habitant en 2009, mesuré en dollars US et en parité du pouvoir d’achat, qui évalue la richesse moyenne de la population du pays considéré et que nous appellerons « richesse » tout court.

Cet indicateur est bien sûr discutable :
- les pondérations utilisées pour le mesurer reflètent la structure de la consommation dans les pays les plus riches : le RNB sous-évalue donc sans doute la richesse des autres pays ;
- une mesure de la richesse devrait considérer non seulement le revenu, mais aussi le patrimoine ;
- le poids économique d’un pays doit être évalué non selon sa richesse par tête, mais selon sa richesse totale (produit de la richesse par tête par la taille de la population) ;
- la richesse par tête est une information insuffisante si on ne la complète pas par une mesure des inégalités ;
- cet indicateur reflète une situation instantanée qu’il n'explique pas plus qu'il ne permet d'anticiper son évolution future ;
- l'estimation de la population est relative à 2011, celle du RNB à 2009 : la comparaison des deux est donc entachée d'un décalage ;
- pour 35 pays, le RNB par habitant n'est pas indiqué. La comparaison ne peut porter que sur les 173 pays restants, qui représentent 98 % de la population mondiale.

Il faut prendre cet indicateur pour ce qu’il est : une photographie imparfaite, incomplète et qu'il faut savoir interpréter. Nous allons tâcher de le faire parler.

Distribution de la richesse entre les pays

La population mondiale est estimée à 6 987 millions de personnes à la mi-2011, la richesse par habitant à 10 270 $ : si la richesse était répartie de façon égalitaire, tous les êtres humains pourraient satisfaire leurs besoins fondamentaux. Mais il existe des pays très riches et d'autres très pauvres, et à l'intérieur de chaque pays existent encore bien sûr des écarts de richesse.

Pour comparer les divers pays, considérons la courbe cumulative de la richesse totale en mettant en abscisse la population cumulée, en ordonnée la richesse totale cumulée (les pays sont empilés dans l’ordre de la richesse par habitant décroissante). On obtient une courbe de Lorentz qui représente de façon synthétique la répartition de la richesse mondiale entre les divers pays.

Répartition de la richesse entre les pays
Sur ce graphique les trois « blancs » représentent des pays fortement peuplés : les États-Unis (en haut à droite), la Chine (en bas vers le milieu) et l'Inde (en bas à gauche).

A eux seuls les États-Unis qui représentent 4 % de la population disposent de 21 % de la richesse mondiale. La moitié de la richesse est produite par des pays qui représentent 14 % de la population. Les pays les plus pauvres, 20 % de la population, se partagent 4 % de la richesse.

La France métropolitaine, elle, représente 1 % de la population mondiale et 3 % de la richesse mondiale : la richesse moyenne d'un Français est égale à 3,3 fois la moyenne mondiale.

Richesse et croissance naturelle

Pour comparer la richesse et la démographie il faut se fixer un seuil de taille pour la population. Certains pays, concentrés autour d’une ressource naturelle ou institutionnelle, sont en effet des exceptions : le Luxembourgeois, dont le pays est spécialisé dans la finance et les institutions européennes, a le revenu le plus élevé du monde et si la région Île-de-France était un pays ce serait l’un des plus riches.

La mesure de la richesse sera plus significative si l'on considère une population de grande taille. En fixant le seuil à 20 millions d’habitants on conserve 58 parmi les 208 pays et 90 % de la population mondiale.

Pour trois de ces derniers pays la mesure du PNB n’est pas disponible : Myanmar (Birmanie), Corée du Nord et Taïwan. Il reste finalement 55 pays représentant 88 % de la population mondiale.

Richesse et croissance naturelle de la population
Dans le graphique ci-dessus nous avons mis en abscisse le taux de croissance naturel de la population (nombre des naissances moins nombre des décès pour mille habitants) et en ordonnée la richesse par habitant.

La corrélation entre ces deux variables est négative : dans l'ensemble plus un pays est pauvre, plus sa population croît vite. Ce fait qui semble contredire la théorie économique est lourd de menaces géopolitiques. L'explication la plus plausible est que lorsqu'il n'existe pas de régime de retraite seule une descendance peut assurer la survie des personnes âgées. Une autre explication réside dans un retard culturel, la natalité étant moins forte dans les pays où les femmes ont fait des études.

Parmi les pays les plus riches certains ont même une croissance naturelle négative : c'est le cas de l'Allemagne (36 850 $ et - 2), du Japon (33 440 $ et -1) et de l'Italie (31 870 $ et -1). La croissance naturelle des Etats-Unis (45 640 $ et +5) est cependant relativement forte ainsi que celle de l'Australie (38 510 $ et +8). Au milieu du graphique, l'Arabie Saoudite (24 020 $ et +17) fait figure d'exception.

Autres exceptions, trois pays de richesse moyenne ou faible ont une croissance naturelle négative : Ukraine (6 180 $, -4), Roumanie (14 540 $, -2) et Russie (18 330 $, -1). Les pays jadis dominés par l'URSS ont subi un choc économique et culturel qui les classe à part.

Les champions de la croissance naturelle sont l'Ouganda (1 190 $, + 34) et le Yémen (2 330 $, + 31).

Classement des pays les plus riches

En nous limitant encore aux pays comptant plus de vingt millions d'habitants nous allons examiner comment a évolué le classement des neuf plus riches (la Corée du Sud, qui est classée dixième, est nettement moins riche que le neuvième : la richesse est en 2009 égale à 31 490 $ pour l'Espagne et à 27 240 $ pour la Corée du Sud).

Dans l'ensemble, les États-Unis mènent la course en tête (45 640 $), suivis de loin par un peloton où les écarts sont faibles et qui a été rattrapé en 2009 par un traînard (l'Espagne, 31 490 $).

La France métropolitaine figure avec 33 950 $ par habitant parmi les plus riches. Elle était classée quatrième en 1994 (après les États-Unis, le Japon et le Canada), sixième en 1999, huitième en 2001 et de nouveau sixième en 2003, 2005 et 2009 - mais dans un peloton resserré le classement est peu significatif.

Pour faire apparaître l'évolution du pouvoir d'achat il faut tout ramener aux prix de 2009 (d'après le Bureau of Labor un dollar de 1994 vaut 1,45 $ de 2009 etc.). L'évolution de la richesse en volume dans les neuf pays les plus riches a l'allure suivante :
Evolution des pays les plus riches
Au vu de ces données, les lamentations que l'on entend parfois en France semblent indécentes en regard de la situation des pays pauvres. Que la richesse soit mal répartie en France, qu'on y dénombre de nombreux exclus et de nombreux pauvres, cela résulte d'une mauvaise répartition de la richesse. D'autres statistiques montrent que cette répartition devient de plus en plus inégalitaire : comme en moyenne les Français sont à l'aise, il suffirait qu'une volonté collective s'exprimât par une décision politique pour supprimer en France et l'exclusion, et la pauvreté.

7 commentaires:

  1. J'ai plusieurs remarques sur votre article, très intéressant par ailleurs.

    On commence par un détail : la "courbe de Gini" que vous illustrez s'appelle en fait une "courbe de Lorenz ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Courbe_de_Lorenz ) inversée : on la trace en principe en plaçant les revenus les plus faibles à gauche, ce qui permet de calculer le "coefficient de Gini" qui est en effet une excellente mesure des inégalités.

    D'autre part, après vous être intéressé au RNB par habitant, vous tombez dans le piège de classer la richesse absolue des pays, qui n'a aucune importance pour le citoyen. Les "neuf pays les plus riches" par habitant ne sont pas ceux que vous citez mais ceux-ci ( http://www.nationmaster.com/graph/eco_gdp_ppp_percap-economy-gdp-ppp-per-capita ):

    1) Luxembourg
    2) Irlande
    3) USA
    4) Norvège
    5) Suisse
    6) Islande (ça a du changer depuis...)
    7) Autriche
    8) Danemark
    9) Pays-Bas

    La France est 18ème, mais avec ce classement vous constatez que certaines idées de réformes pourraient se trouver à vos frontières...

    Enfin et surtout, l'étude de l'évolution des inégalités est bien plus complexe qu'on ne l'imagine. En particulier, il n'est pas du tout évident que les inégalités se sont accrues en France. Si ce sujet vous intéresse, je me permets de vous suggérer la lecture de ceci :

    http://drgoulu.com/2009/03/21/combien-dinegalite/

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  2. @Dr. Goulu
    Merci pour votre remarque sur la "courbe de Gini" : j'avais fait une erreur. Je l'ai corrigée.
    Pour classer les "pays les plus riches", j'ai bien pris le RNB par habitant et non le RNB total, mais je n'ai retenu que 55 pays ayant plus de 20 millions d'habitants (80 % de la population mondiale). Je reconnais que ce seuil est arbitraire, mais il fallait en choisir un pour ne retenir que des ensembles démographiques de taille significative.
    S'agissant de l'évolution des inégalités en France, je ne retrouve pas dans l'étude de l'INSEE "Les niveaux de vie en 2009" la baisse du coefficient de Gini que mentionne votre article.

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  3. Je me suis basé sur des données de OCDE, dont le lien est hélas cassé (je cherche à le réparer...) mais cette page dit la même chose :

    "On relève toutefois des changements frappants pour plusieurs pays lorsque l'on compare les années qui se situent autour de 2000 avec le milieu des années 1980. La répartition du revenu entre les ménages est devenue nettement plus égale en Espagne et en Irlande, et une diminution plus faible de l'inégalité de revenu s'est produite en Australie, au Danemark et en France."

    Sur les données que vous mentionnez, on voit que les variations sont très faibles et "bruitées" : d'une année à l'autre le Gini varie de 0.010, alors 0.011 sur 13 ans me semblent peu significatifs...

    Je ne dis pas "tout va bien Madame la Marquise", je dis juste que le lieu commun selon lequel les inégalités s'accroissent doit être relativisé : ce n'est pas vrai partout, ni tout le temps, et pas du tout évident en France, contrairement aux USA par exemple (0.040 en 20 ans...).

    A part ça je conteste qu' "il fallait en choisir un (critère) pour ne retenir que des ensembles démographiques de taille significative". Pourquoi ??? Si on s'intéresse au revenu par habitant et à la distribution des revenus dans des pays soumis à des politiques économiques (et fiscales...) différentes, en quoi la taille des pays joue-t-elle un rôle ?

    La Suisse est un état fédéral de 26 Cantons dotés de systèmes fiscaux distincts, qui sont même en concurrence entre eux. Et bien nous étudions le Gini de chaque canton, et on apprend...

    Vous souhaitez un pays riche et égalitaire? analysez tous vos départements, ou tous les pays de la zone Euro, ou tous eux de l'OCDE, sans vous préoccuper de leur taille. Et si vous vous apercevez que les petits pays s'en sortent mieux, ce sera un argument en faveur d'une décentralisation encore accrue...

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  4. Et je profite encore honteusement de votre blog pour faire de la pub pour une idée : le Gini des entreprises, dont je cause un peu ici.

    En prime, vous y trouverez une feuille Excel permettant à toute entreprise de calculer elle même son coefficient de Gini.

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  5. @Dr. Goulu
    1) D'après Camille Landais, la croissance de l'inégalité est concentrée dans le dernier centile : cf.Les hauts revenus en France.
    Je ne suis pas partisan de l'égalitarisme : une certaine inégalité peut être nécessaire pour améliorer la situation des plus pauvres et John Rawls l'estime alors compatible avec l'équité.
    2) La richesse de certains petits pays provient d'une rente minière (pétrole etc.) ou financière (paradis fiscaux). Sa source est pour les premiers la destruction d'un patrimoine naturel non comptabilisé, pour les seconds un détournement de la richesse des autres pays.
    C'est pourquoi je n'ai considéré que les pays d'une certaine taille, dont l'économie est a priori plus "normale". Je reconnais cependant que la limite retenue est arbitraire.

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  6. Ce commentaire n'a rien à voir avec le billet. Néanmoins, je souhaitai vous faire part d'une préoccupation qui revient plusieurs fois dans vos billets. Vous demandez aux économistes de s'intéresser à l'informatique, de plonger les doigts dans le cambouis de la technologie. Il y a des jeunes chercheurs qui s'y intéressent mais ne disposent pas de cadre théorique approprié. Je lis vos billets depuis près de 5ans mais je vois un seul cadre que vous proposez : celui de Bertrand Gilles. Il y a fort longtemps que les aspects technologiques en économie ont été fondus dans la "fonction de production", ses impacts mesurés à travers la "productivité du facteur travail" et les "gains de productivité", sa dynamique à travers le niveau des dépenses de R&D... Il y'a aussi Carlota Perez qui se bat pour mieux intégrer la technologie mais je me demande si ce n'est pas perdu d'avance vu la plasticité ontologique de la technologie...

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  7. @Pegase Ecofinance
    Plus exactement, je demande aux économistes de s'intéresser à l'informatisation, qui est à l'informatique ce que la navigation est à la construction navale. Christophe Colomb et Vasco de Gama connaissaient parfaitement leurs caravelles, mais ils étaient aussi de bons marins.
    L'économie ne se résume pas à la technologie : il faut en outre comme dans le métier des armes une doctrine d'emploi.
    Les économistes qui ne s'intéressent pas à l'ingénierie du système d'information et qui croient devoir mépriser le socle que lui fournit l'informatique ne peuvent rien comprendre aux possibilités et aux risques que présente l'économie contemporaine.

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