Dans l’organisation hiérarchique chaque personne n’a en principe à connaître que son supérieur et ses subordonnés immédiats, toute autre communication étant proscrite.
L'un des processus de gestion d'une entreprise connaissait des incidents répétés. Le directeur responsable, que je nommerai M. Dupont, ne comprenait pas ce qui se passait. Lors d'une réunion à la DSI un informaticien « de base », que je nommerai M. Durand, m'explique ce qui se passe avec une parfaite clarté. Je lui dis « il faudrait que vous en parliez avec M. Dupont », et j'ai la surprise de le voir blêmir.
Le lendemain je rencontre le DG qui me dit, d'un air sévère et contrarié : « j'interdis à M. Dupont de parler à M. Durand » : j'avais sans le savoir violé le principe de l'organisation hiérarchique.
Les métiers ne communiquent alors que par leur sommet, à l’occasion de réunions où les responsables se rencontrent : l’entreprise est « organisée en silos ». Chaque silo est de surcroît divisé en étages étanches car un directeur ne doit pas communiquer directement avec un agent opérationnel de sa direction, et moins encore avec un agent d’une autre direction : cela court-circuiterait la chaîne des responsabilités.
L’organisation hiérarchique rassemble ainsi malencontreusement deux dimensions de la légitimité : le pouvoir de décision, le droit de communiquer.
1) La fonction de commandement concentre dans une personne physique, le directeur, la légitimité des décisions dites « stratégiques » et le droit de signer les contrats qui engagent la « personne morale » qu’il dirige : cette fonction est nécessaire dans l’économie numérique comme elle l’a été dans l’économie antérieure.
La réflexion de ce stratège embrasse toutes les dimensions de l’entité qu’il dirige : elle est périscopique. Il écoute des experts dont la réflexion, plus étroite, l’informe sur l’état des techniques, du marché, de la réglementation, etc.
À chacun son rôle : l’expert informe, le stratège décide.
2) Interdire la communication hors de la relation hiérarchique directe a pu procurer simplicité et efficacité au fonctionnement quotidien lorsque la situation était stable, sans innovations et sans surprises : une fois définies les responsabilités et les procédures du travail, l’attention pouvait en effet se focaliser sur l’exécution des tâches.
Dans l’économie numérique les innovations abondent et les surprises sont fréquentes : les « chefs de projet » qui conçoivent de nouveaux produits découvrent chemin faisant des obstacles et possibilités imprévisibles ; les agents de la première ligne rencontrent la diversité des besoins des clients, ainsi que des incidents dans l’utilisation des produits ; des recherches font apparaître de nouveaux procédés, l’état de l’art évolue, etc.
Cette situation instable exige une action continue sur l’organisation, les techniques et les procédures de l’action productive : les dirigeants ne peuvent plus se permettre de ne percevoir ce qui se passe sur le terrain qu’à travers le filtre de la relation hiérarchique. Tout en conservant la légitimité de la fonction de commandement, le numérique exige donc de supprimer les entraves que l’organisation hiérarchique a imposées au droit de communiquer.
Le travail des dirigeants devient alors plus complexe, car l’entreprise perd la simplicité que le cloisonnement lui procurait, et peut-être aussi une part de l’efficacité quotidienne. Les salariés sont déconcertés lorsqu’il leur faut passer de l’organisation hiérarchique à une organisation communicante, pratiquer le « commerce de la considération » et assumer les responsabilités que cela implique.
Le système d’information participe à cette évolution que l’informatisation encourage ou exige, car l’organisation en silos est contraire à la cohérence des données et à l’interopérabilité des processus transverses.
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