Ce texte fait partie de la série "Un peu de lecture pendant les vacances"
Extrait des Mémoires de Saint-Simon, vol. 1, p. 596.
(Dans ce petit texte Saint-Simon cède au penchant pour la scatologie qui était courant à son époque)
Le duc de Coislin était un très petit homme sans mine, mais l'honneur, la vertu, la probité même et la valeur même, qui, avec de l'esprit, était un répertoire exact et fidèle avec lequel il y avait infiniment et très curieusement à apprendre, d'une politesse si excessive qu'elle désolait, mais qui laissait place entière à la dignité. On ne tarirait point sur ses civilités outrées (...).
Son frère, le chevalier de Coislin, rustre, cynique et chagrin, tout opposé à lui, se vengea bien un jour de l'ennui de ses compliments. Les trois frères, avec un quatrième de leurs amis, étaient à un voyage du Roi. À chaque logis les compliments ne finissaient point, et le chevalier s'en désespérait. Il se trouva à une couchée une hôtesse de bel air et jolie, chez qui ils furent marqués. La maison bien meublée, et la chambre d'une grande propreté. Grands compliments en arrivant, plus encore en partant. M. de Coislin alla voir son hôtesse dans la chambre où elle s'était mise. Ils crurent qu'ils ne partiraient point. Enfin les voilà en carrosse et le chevalier de Coislin beaucoup moins impatient qu'à son ordinaire. Ses frères crurent que la gentillesse de l'hôtesse et l'agrément du gîte lui avaient pour cette fois adouci les mœurs. À trois lieues de là et qu'il pleuvait bien fort, voilà tout à coup le chevalier de Coislin qui se met à respirer au large et à rire. La compagnie, qui n'était pas accoutumée à sa belle humeur, demande à qui il en a ; lui à rire encore plus fort. À la fin il déclare à son frère qu'au désespoir de tous ses compliments à tous les gîtes, et poussé à bout par ceux du dernier, il s'était donné la satisfaction de se bien venger, et que, pendant qu'il était chez leur hôtesse, il s'en était allé dans la chambre où son frère avait couché et y avait tout au beau milieu poussé une magnifique selle, qui l'avait d'autant plus soulagé qu'on ne pouvait douter dans la maison qu'elle ne fût de celui qui avait occupé cette chambre. Voilà le duc de Coislin outré de colère, les autres morts de rire. Mais le duc furieux, après avoir dit tout ce que le désespoir peut inspirer, crie au cocher d'arrêter, et au valet de chambre d'approcher, veut monter son cheval et retourner à l'hôtesse se laver du forfait ou accuser et déceler le coupable. Ils virent longtemps l'heure qu'ils ne pourraient l'empêcher, et il en fut plusieurs jours tout à fait mal avec son frère.
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