Ce texte conclut la série « Comprendre l’iconomie »
L’ingénierie de l’entreprise numérique conjugue donc une ingénierie proprement informatique, celle du « système d’information » et des automatismes, avec l’ingénierie physique qui s’applique aux matériaux que la production transforme1. Il faut leur ajouter une « ingénierie d’affaires » car pour limiter les risques la production est le fait de plusieurs entreprises partenaires.
L’interface avec le système d’information doit présenter à chaque agent, à chaque instant, les documents et logiciels qui lui permettent d’agir face à la situation où il se trouve soit en donnant un avis, soit en lançant une action : ainsi se concrétise dans l’action la symbiose du cerveau humain et de la ressource informatique. Le couple qu’ils forment tire parti de la puissance des processeurs et de la richesse de la mémoire informatique pour obtenir une performance auparavant impossible.
Le partage du travail entre l’être humain et l’automate doit être défini selon ce que chacun des deux sait faire mieux que l’autre : à l’automate le travail répétitif, qu’il exécute avec rapidité et fiabilité ; à l’être humain les tâches qui exigent du discernement devant des cas particuliers complexes, de l’initiative devant l’imprévu, du jugement, de l’empathie, etc.
L’ingénierie de la matière (conception et construction des avions, automobiles, navires, réseaux, logistique, etc.) est soumise aux contraintes du rapport avec la nature physique tout en étant pénétrée par l’informatique : logiciels de simulation pour la conception des produits, automatisation et informatique embarquée pour leur fonctionnement. La physique des choses s’entrelace ainsi, de façon intime, avec la logique de la programmation et la physique des processeurs, mémoires et réseaux informatiques.
Pour pouvoir concevoir de tels systèmes, l’ingénierie a recours à des « modèles en couches » qui articulent diverses logiques usant chacune d’un protocole qui lui est propre, et communiquant entre elles par des interfaces.
La synergie des cerveaux d’œuvre mobilise les couches de l’ingénierie du système d’information2 : ingénierie sémantique pour le partage des concepts, ingénierie du processus de production pour l’organisation de la succession des tâches, ingénierie du contrôle pour la supervision de la production, ingénierie stratégique pour la relation entre l’informatisation et les priorités de l’entreprise, ingénierie d’affaires pour la formation et l’interopérabilité des partenariats.
Outre les entreprises, l’ingénierie concerne les nations. La concurrence monopolistique s’exerce en effet aussi à leur niveau selon un jeu stratégique qui interdit la naïveté : dans la « guerre économique » en cours chaque nation doit savoir tirer parti de l’informatisation pour conforter la qualité de ses produits sur le marché mondial et équilibrer sa balance des paiements.
Il ne suffit pas de s’émerveiller devant les start-ups, ni de suivre à répétition la mode qui enfle une bulle autour d’une technique, puis d’une autre.
Des infrastructures doivent être développées, des compétences doivent être formées, la créativité doit être encouragée et le savoir-faire protégé. L’innovation transformant sans cesse le monde, la politique économique ne peut pas se borner aux prescriptions du libre échange des produits et des capitaux3 : des positions devant être prises et maintenues dans les techniques fondamentales, l’État doit savoir défendre certaines entreprises comme si elles étaient autant de forteresses.
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1 Jean-Pierre Meinadier, Le métier d’intégration de système, Hermès, 2002.
2 Michel Volle, « Système d’information», Encyclopédie des techniques de l’ingénieur, 2010.
3 Friedrich List, Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841.
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