mardi 24 novembre 2009

Le rendement sociologique de l’entreprise

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

La sociologie de l’entreprise s’explique, pour une part prédominante, par le conflit entre corporations et par la concurrence pour la carrière au sein de la corporation. Une proportion de l’énergie mentale des cadres est dépensée dans ces batailles et c’est autant de perdu pour l’efficacité : il serait trop optimiste de croire que celle-ci puisse résulter, par miracle, de comportements qui ont un tout autre but. Le pourcentage de l’énergie ainsi dissipée varie d’une entreprise à l’autre et il est bien sûr difficile de l’évaluer. Est-il de 30 %, 40 %, 50 % ?

Certains penseront que la perte d’efficacité n’est pas si forte que cela. Mais dans une entreprise où le travail, essentiellement mental, est accompli principalement par des cadres, croit-on qu’il puisse être indifférent qu’ils aient l’esprit ailleurs au lieu de concentrer leur attention sur la qualité des produits, la satisfaction des clients, l’efficacité de la production ? L’indifférence à la finalité de l’entreprise n’est-elle pas à l’origine de ces absurdités que l’on rencontre si souvent ? N’est-elle pas la cause de ces injonctions contradictoires qui provoquent chez les salariés le stress, la dépression dont on a tant de témoignages ? Ne met-elle pas les cerveaux à la torture ?

Certaines personnes, lorsqu'elles travaillent, détruisent en fait de l'utilité : c'est comme si elles produisaient des déchets. Luttwak a parlé de ces entreprises soviétiques qui fabriquaient des vêtements inutilisables à partir du meilleur coton du monde : leur activité réelle consistait donc à détruire du coton.

L'entreprise qui ne répond pas aux lettres de réclamation ou qui leur répond par des mensonges, le centre d'appel que l'on attend longtemps puis qui coupe la communication ou qui est incapable de répondre au client, l'agence commerciale où l'on piétine longuement pour être mal servi, le site Web où l'on s'égare dans des impasses : autant de cas où l'entreprise produit de la désutilité. Le policier insolent et brutal produit de l'insécurité, le magistrat dépourvu de jugement produit de l'injustice.

L'entreprise qui n'a pas de considération envers ses salariés les appelle en vain à « mettre le client au coeur de l'entreprise », formule d'un sentimentalisme écoeurant. Des salariés maltraités ne peuvent pas en effet être aimables ni serviables. Ils auront plutôt, et bien naturellement, tendance à se venger sur le client que le sort place en face d'eux : ce qu'ils produisent alors n'est plus du service mais de l'affrontement.

Au corporatisme, à la priorité donnée à la carrière, s’ajoute un phénomène que l’on rencontre dans les entreprises importantes et d’autant plus qu’elles sont plus anciennes et plus riches : les « gens de droite », les « gens de gauche », les « gens de FO », « de la CFDT », « de la CGT », les Enarques, les HEC, les X, les centraliens, forment autant de réseaux transverses à la hiérarchie comme aux corporations et qui sont commodes pour ceux qui veulent prendre un raccourci dans la carrière. Leurs contours sont flous, les allégeances sont instables mais elles se renouvellent autour de quelques personnes qui font fonction de pivot. Ces réseaux s’alimentent d’une corruption discrète, mais continue, sous forme d’emplois fictifs, d’avantages en nature, de commissions prélevées sur les fournisseurs, et leur fonctionnement accapare une autre part de l’énergie mentale des cadres.

Si l’on soustrait l’énergie absorbée par les corporations, la carrière et les réseaux d’allégeance, si l'on déduit la désutilité que produisent des salariés malmenés, quel est le rendement de l’entreprise : 20, 40, 50 % ?

Suite : Une réalité que l'on ne veut pas voir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire