Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.
« Y penser toujours, n’en parler jamais », disait Gambetta à propos de l’Alsace-Lorraine. C’est ainsi que les cadres se comportent envers la carrière : la préoccupation tourne dans leur cervelle en tâche de fond mais ils n’en parlent presque jamais.
Dans les rapports entre personnes, entre corporations, une prime est donnée à une brutalité que l’on interprète comme un signe d’énergie. « Ses dents rayent le parquet, c’est un tueur », dit-on avec une admiration craintive, et les plus peureux ont tôt fait de comprendre qu’il faut prendre un air féroce pour se faire respecter.
Le « réalisme », ainsi conçu, exige que l’on se comporte en brigand. Les salariés sont maltraités, les sous-traitants réduits à quelque chose qui ressemble à de l’esclavage, les clients grugés, les partenaires volés.
Aux quelques sous ainsi gagnés s’ajoutent des économies de bouts de chandelle : on sous-traite la production des biens dans des pays à bas salaires, ainsi que des pans entiers de la conception et des services. On externalise le système d’information, le centre d’appel, on comprime la R&D…
Tout cela nourrit la bottom line chère aux managers « réalistes », mais cela complique l’organisation au point qu’elle ne pourra plus être maîtrisée : il n’était déjà pas facile d’assurer la production d’un assemblage de biens et de services et l’interopérabilité d’un réseau de partenaires, mais la complexité devient insurmontable lorsque cette production, ce réseau, sont répartis sur plusieurs pays dont la langue, le droit, les modes de vie sont différents. On saura d’autant moins la gérer que l’on ne veut pas la connaître, que l’on ne veut pas entendre ce que disent les salariés, les partenaires, les fournisseurs.
C’est dans la sociologie de l’entreprise, telle que nous l’avons décrite, que l’on trouve la clé de comportements contraires à l’efficacité. Ainsi s’explique l’étonnant phénomène de l’entreprise suicidaire qui, au rebours du bon sens, produit du profit en détruisant les composantes les plus précieuses de son capital : la confiance de ses clients, la compétence de ses salariés.
Cette sociologie est à l’origine de la crise à France Télécom, des retards de l’A380 et de l’A400M chez Airbus, de l’impasse stratégique chez Carrefour, de la faillite de Fannie Mae etc. – tous phénomènes dont les causes immédiates sont certes techniques mais dépendent elles-mêmes d’une cause plus profonde qui réside dans la sociologie que nous avons décrite et, particulièrement, dans le corporatisme et le carriérisme des dirigeants.
Si l’on ne veut pas le voir, si l’on se contente d’explications superficielles, c’est parce que cette sociologie est relativement récente. Dans l’entreprise industrielle, nous l’avons dit, les corporations existaient déjà ainsi que le souci de la carrière, mais ces préoccupations n’avaient pas l’importance qu’elles ont acquise dans l’économie quaternaire. Des phénomènes naguère pratiquement négligeables sont passés au premier plan ; la maladie, autrefois bénigne, est devenue virulente. Il est temps de s’en occuper.
Suite : Pour un « commerce de la considération ».
N'est-ce pas un problème d'inversion des valeurs ?
RépondreSupprimerSi je ne pense qu'à ma carrière, je m'assoie sur l'intérêt général et sur toutes les valeurs telles qu'honnêteté, vérité, respect,etc.
Je donne la primeur à l'avoir, aux résultats immédiats au détriment de l'investissement dans les compétences, la pérennité de la relation avec mes salariés, mes clients, mes fournisseurs,... J’affaiblis les "ÊTRES" au profit de l'avoir immédiat et tout le monde se fait avoir.