mercredi 19 août 2009

Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Gallimard, 2006

Sur ce gros livre mon commentaire sera court.

L'auteur a sans doute beaucoup travaillé pour se documenter mais il applique exactement, fût-ce avec talent, les recettes du Story Writing qui s'enseignent dans les universités américaines. Ses ficelles se voient trop.

L'opprobre déversée sur son livre par des bien-pensants n'a qu'une faible portée, car comme disait Pascal "la vraie morale se moque de la morale". Pour rester sur le terrain technique de l'écriture, voici les astuces de Story Writing que j'ai repérées :

- le héros rencontre, lors de ses périgrinations, tous les personnages qui ont marqué l'histoire de cette époque (Himmler, Heydrich, Eichmann, Bormann, von Reichenau, Hitler lui-même, la fine fleur de la collaboration française etc.) ;

- chacun de ces personnages parle comme un livre et fournit un portrait lucide de lui-même ;

- le héros se trouve à tous les endroits où se passe quelque chose. Certes il a raté la campagne de France et il n'était pas sur place lors de l'attentat contre Hitler, mais pour le reste la liste est complète : Stalingrad, le bunker de Berlin, les divers lieux de massacre ;

- il transgresse tous les tabous de la sexualité : inceste, homosexualité, sodomie (c'est la moindre des choses), coprophilie, voyeurisme, sadisme etc. Cela fait beaucoup pour un seul homme !

- il a l'exigence d'aller jusqu'au bout dans une voie qu'il a choisie sans y croire vraiment, et de ne reculer devant aucune expérience. Cela le transforme, à notre service, en caméra de télévision ;

- l'objectivité de cette caméra n'exclut pas les émotions (elle vomit, tremble etc.), voire la compassion. Pourtant elle continue à filmer imperturbablement : position psychologiquement intenable qui n'éclaire en rien la question du Mal à laquelle ce récit prétend nous confronter, ni cette assimilation de l'être humain à une machine mécanique qui fut l'idéal commun du nazisme et du bolchevisme (celui de notre époque n'est-il pas de l'assimiler à un ordinateur ?) ;

- le texte a la longueur qui convient à un chef d'oeuvre, que dis-je : à un best seller. Mais en le lisant je me suis dit que décidément tout le monde ne pouvait pas être Stendhal, ni Proust, ni même Malraux.

9 commentaires:

  1. Merci pour cette critique, j'avoue m'être laissé, plus que toi, « avoir » par ce livre. Au passage, je signale deux autres critiques, celle de Daniel Mendelsohn dans la New York Review of Books :

    http://www.nybooks.com/articles/22452

    et celle du linguiste et philosophe François Rastier, spécialiste de la sémantique des textes :

    http://www.revue-texto.net/index.php?id=2330

    En fait si j'y réfléchis, et tout en constatant la fidélité historique des reconstitutions de Littell, les trois passages qui m'ont séduit sont (relativement) exempts de descriptions d'atrocités : l'histoire du linguiste SS au Caucase, qui donne l'occasion d'un exposé de vulgarisation ethnologique et linguistique bien fait, le siège de Stalingrad et la chute de Berlin.

    La fin du linguiste SS, au demeurant fort peu SS et plutôt sympathique, est désopilante : alors qu'il s'était isolé avec une locutrice, sans doute pour mieux recueillir dans l'intimité quelque phonème rare, le père de ladite locutrice, peu ouvert aux choses de la science, est entré avec son fusil et a tué tout le monde.

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  2. @Michel

    Dans le registre de l'analyse troublante du comportement d'un pervers sadique, je ne saurais trop vous conseiller la lecture d'"American Psycho" de Bret Easton Ellis.
    La dimension historique y est moins prégnante, encore que...
    Le "Héros" n'est autre qu'un financier de haut vol, esthète et érudit: en cette période d'agitation boursière, on peut y voir une, deux ou plusieurs paraboles.

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  3. Pour ma part, en ce qui concerne l'aspect "reportage sur la Guerre", j'ai préféré - de très loin - le "Kaputt" de Malaparte...

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  4. Artificiel et mal écrit, sans souffle ni ponctuation. Juste un gros almanach. Un "prix littéraire".

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  5. Mal écrit ?? les membres du jury de l'académie française n'ont pas du lire le même livre que vous... J'ai trouvé pour ma part ce livre passionnant, une lecture fluide. Il restera dans l'histoire, tel Le Roi des Aulnes, La Mort est mon métier, Voyage au bout de la nuit.

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  6. @l'Anonyme du 1er février :
    Tout le monde a lu le même livre mais chacun a des goûts et préférences dont il ne convient pas de disputer.
    Il ne faut pas non plus soumettre le goût à une autorité, pas même à celle de l'académie française.

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  7. Bonjour, un an plus tard, je viens vous soumettre ma suggestion : HHhH de Laurent Binet.
    La trame scénaristique est l'attentat de deux parachutistes tchécoslovaques contre Heydrich, entrecoupée de réflexions de l'auteur sur la difficulté d'écrire un roman historique. Il y parle notamment des "Bienveillantes", et de tous les matériaux sur le même sujet qu'il a pu lire. C'est un roman génial, fin et captivant, dont on ressort avec le sentiment de s'être élevé, et non pas gêné et écoeuré, comme avec Les Bienveillantes.

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  8. Bonjour, quelle prétention de la part d'un énième critique.
    C'est tellement facile de critiquer.
    Avez-vous lu ce livre sans a priori ?
    Je suis un grand passionné d'histoire et ce livre m'a enchanté.
    Voilà pourquoi je ne fais pas confiance aux critiques.
    Bien à vous.

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    1. Je n'ai pas la prétention d'être un critique : je ne suis qu'un lecteur qu'intéresse la technique de l'écriture.
      Puisque vous êtres passionné par l'histoire je vous signale Sebastian Haffner, Histoire d'un allemand, témoignage éclairant sur le troisième Reich.

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