mardi 18 mars 2014

Pour une approche historique du monde contemporain

« L'histoire n'est pas une science », disaient mes collègues de l'INSEE alors que je préparais ma thèse. Ils croyaient sans doute que seule la certitude des résultats permet de qualifier une discipline de « scientifique ».

Il est vrai que l'histoire, coincée entre un passé énigmatique et un futur imprévisible, ne peut pas parvenir à la certitude. Mais ne se trompaient-ils pas sur le critère de la scientificité ? Ne s'exagéreraient-t-ils pas par exemple la certitude des mathématiques ? Certes, leurs démonstrations sont certaines mais elles sont suspendues à des hypothèses : la géométrie du triangle (la somme des angles est égale à 180°, etc.) n'est ainsi exacte que dans l'espace euclidien, qui n'est pas plus « réel » que les espaces courbes.

L'histoire, elle, assume le caractère énigmatique du monde réel pour y repérer les faits, événements et structures qui déterminent son évolution. Tout comme la science économique, elle ambitionne de produire des modèles schématiques qui fourniront des points d'appui à la réflexion et à l'action.

Alors que la plupart des disciplines s'efforcent de fournir les praticiens en certitudes, l'histoire assume l'incertitude de ses résultats pour embrasser une situation réelle dans sa complexité. En contrepartie elle est libre de mobiliser, pour éclairer cette situation, les concepts et théories qu'ont élaborés les autres disciplines.

lundi 17 mars 2014

Message de Moscou

Je reproduis ici le message daté du 17 mars 2014 que je viens de recevoir d'un ami russe, habitant de Moscou :

Merci pour les références que tu m'envoies à des publications dans les médias français, merci de m'avoir signalé l'excellent article de Svetlana Alexievitch, "Poutine et les bas instincts".

Je commence à concrétiser mes idées sur cette situation de crise. Mais les nouvelles, les changements interviennent chaque jour, voire chaque heure.

Le plus désespérant, c'est l'efficacité évidente de la propagande massive à la télévision d'Etat (il n'y en a pas d'autre chez nous). C'est une propagande à la Goebbels. Je ne me souviens pas d'une hystérie pareille : elle dépasse de loin celle qui régnait dans le médias en 1979 (Afghanistan) ou en 1968 (Tchécoslovaquie). Elle gagne les masses, même la jeunesse.

Svetlana Alexievitch a très bien décrit cette atmosphère étouffante. Son article date du 14 mars. Deux marches ont eu lieu à Moscou le samedi 15 mars - l'une pour, l'autre contre la ligne de Poutine. Peut-être en as-tu vu les échos dans les médias français. La seule chose encourageante de ces derniers mois est que la "marche pour la paix" a rassemblé quelques 50 000 personnes à Moscou - chiffre inouï. Parmi les gens honnêtes, personne n'y croyait plus.

Donc primo la propagande super-mensongère ne gagne pas tout le monde, et secundo Poutine ne peut pas ignorer ce fait avant d'ordonner d'attaquer l'Ukraine orientale, ce qui signifierait le déclenchement de la guerre civile en Ukraine et le risque d'un conflit mondial.

vendredi 14 mars 2014

Un livre sur l'iconomie

En cliquant sur le lien ci-dessous :


vous téléchargerez le fichier pdf du livre intitulé Iconomie (1,331 Mo, 227 pages) publié en mars 2014 par les éditions Economica et Xerfi (préface de Laurent Faibis).

Vous pouvez aussi le commander chez Amazon.

Ce livre propose une orientation stratégique pour la sortie de crise.

Je vous souhaite une bonne lecture ! Vos commentaires sont les bienvenus.

dimanche 9 mars 2014

Marre de « numérique »

Tout est ou doit être « numérique » : l'entreprise numérique, la société numérique, l'intelligence numérique etc. Le numérique, c'est chic, c'est branché : c'est à la mode.

Mais « numérique » n'est que le cache-sexe d'« informatique ». La feuille de vigne masque cette réalité : tout ce qui est numérique se condense dans des programmes, du matériel, l'Internet et le Web qui sont tous des réalisations informatiques. Sans programmes, sans processeurs, sans mémoires, sans réseaux, il n'y a pas de « numérique ».

Oui, me dira-t-on, mais le « numérique » c'est bien plus que le logiciel, les processeurs, les mémoires et les réseaux : cela contient aussi la sociologie des usages, la psychologie des utilisateurs, des effets sur l'économie des médias, etc.

Mais qui vous dit donc qu'« informatique » ne contient pas tout cela ? Si vous étiez attentif à l'étymologie, vous verriez que ce mot est forgé à partir d'« information » et d'« automate » et que l'« information » est ce qui donne une « forme intérieure » au cerveau humain, c'est-à-dire une capacité d'action. « Informatique » contient donc tout ce qu'il faut pour désigner à la fois la technique et l'éventail de ses conséquences anthropologiques.

« Numérique » prétend cacher la technique alors que pris à la lettre il désigne ce qu'il y a de plus technique dans l'informatique : le codage en zéro et un nécessaire au fonctionnement du processeur. Par un de ces retournements sémantiques fréquents dans l'usage de la langue, « numérique » en est venu à désigner, de façon d'ailleurs très floue, l'ensemble des dimensions sociologiques et autres de l'informatisation en les détachant de leur socle technique.

Macro ou Micro ?

Deux écoles de pensée se partagent la science économique : la macro-économie et la micro-économie (il existe un entre-deux que l'on appelle méso-économie, mais c'est en fait une branche de la micro-économie).

Alors que la micro raisonne sur des « individus » (personnes, entreprises, institutions) la macro raisonne sur des agrégats. La macro domine dans la politique mais je vais montrer pourquoi il est temps de revenir à la micro.

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Donnons quelques exemples de la macro. Les modèles du commerce international (Ricardo, Heckscher-Ohlin, Helpman) font comme si un pays entier était un individu. D'autres modèles ouvrent cette boîte noire pour distinguer des agrégats dont chacun sera, de nouveau, traité comme un individu selon la méthode de l'« agent représentatif » : l'« Entreprise », le « Consommateur », l’« État ». Ces boîtes noires là peuvent encore être ouvertes : on distinguera dans le système productif des « agents » représentant chacun un secteur d'entreprises, etc.

La technique qui consiste à représenter un agrégat par un « agent représentatif » que l'on suppose doté de comportements est la clé de la macro : ainsi l'« Entreprise » produit, investit, stocke, s'endette, embauche, tout cela formalisé par des équations.

La macro s'appuie sur la comptabilité nationale, qui évalue les agrégats et fournit de quoi étalonner les équations. La politique économique s'en nourrit car les équations permettent, croit-on, d'anticiper les conséquences des « mesures » : évaluer par exemple l'effet du niveau des charges sociales sur l'emploi, celui de l'impôt sur les sociétés sur l'investissement, etc.

Ainsi la réflexion des politiques, des planificateurs, des modélisateurs s'appuie sur la macro, à laquelle la comptabilité nationale fournit une base statistique supposée « scientifique » et « objective » (voir le commentaire sur Une histoire de la comptabilité nationale).

Mais la macro est devenue une prison dont la réflexion doit aujourd'hui sortir.