mardi 30 mars 2010

Honte de la philosophie

Henri Atlan, biologiste et philosophe, a publié dans la rubrique "Débats" du Monde du 29 mars 2010 un article intitulé "La religion de la catastrophe". J'ai éprouvé durant sa lecture un malaise semblable à celui qu'avait causé celle de Claude Allègre, et ce malaise est tellement pénible que j'ai réfléchi un moment pour l'analyser.

Qu'est-ce qui me rend donc allergique aux écrits de ceux qui nient soit la réalité du réchauffement climatique, soit la responsabilité humaine, soit les deux ? Je ne suis pas un inconditionnel de l'écologie, je ne suis pas de ceux qui aimeraient que l'espèce humaine s'éteignît pour que soit restaurée la virginité de la nature, ni de ceux qui disent souhaiter la décroissance (voir "Une ressource naturelle inépuisable"). Je ne suis pas un spécialiste du climat et n'ai, dans cette affaire, aucun intérêt de carrière ni d'amour-propre.

Mais je sais lire et j'utilise, pour évaluer mes lectures, le petit bon sens que les années ont accumulé. Il me sert à détecter l'erreur, la fraude, le manque de sérieux, et aussi à repérer les textes de haute qualité. Le bon sens est un outil fragile, dira-t-on : peut-être, mais c'est le mien et j'y tiens beaucoup.

jeudi 11 mars 2010

Il faut que l'Internet devienne un pays

L'Internet a ouvert un nouvel espace qui ne relève pas de la géographie, ignore les frontières des États et prend une place croissante dans notre vie mentale et pratique (voir "Explorer l'espace logique").

Une économie spécifique s'y déploie avec de nouvelles formes de production, de propriété, d'échange, d'intermédiation. La cybercriminalité est elle aussi inventive : piraterie, espionnage, sabotage, escroquerie, vol d'identité, blanchiment d'argent etc. On évoque même de nouvelles formes de guerre.

Comme toute société, comme toute économie celle-ci a besoin de règles et, pour les faire respecter, d'un appareil judiciaire convenable. Mais les États sont divisés. Leurs législations sont diverses et presque toutes déficientes car ils ont été pris de court par l'émergence du nouvel espace. Les CNIL nationales négocient pour définir des règles communes mais l'inertie des habitudes se conjugue aux différences culturelles pour freiner ou bloquer.

Ne faudra-t-il pas en venir à considérer l'Internet comme un "pays" - un pays situé dans un espace qui n'est pas l'espace géographique ?

dimanche 7 mars 2010

Instruire et informer

Le langage courant, usé comme une vieille chaussure, ne favorise pas le discernement : "Instruire", "éduquer", "enseigner", "former" sont pour lui des synonymes interchangeables - si une nuance subsiste entre eux, elle est administrative et non linguistique.

C'est pourquoi il est utile de revenir à l'étymologie, voire même de remonter jusqu'au contenu philosophique des éléments qu'elle utilise.

Ainsi "instruire", c'est donner une structure. La structure d'un bâtiment, ce sont les murs porteurs et la charpente qui lui confèrent sa solidité ; une fois la structure en place il reste beaucoup à faire pour que le bâtiment soit utilisable : toiture, cloisons, menuiserie, réseaux, mobilier etc. De même la structure d'une personne, c'est ce qui lui confère sa solidité mais celle-ci ne suffit pas : il faut encore que la personne instruite soit formée.

Par "forme" le langage courant désigne l'apparence d'un objet (il sera grand, petit, rond, carré etc.) par opposition d'une part à la matière dont il est fait, d'autre part à la fonction qu'il sert. Pour comprendre ce que veut dire "former" quand on considère une personne il faut remonter au sens originel : la "forme", dans une philosophie qui s'inspire d'Aristote, c'est l'"essence" d'un être et celle-ci s'exprime par une définition. Selon cette acception la forme d'un cercle est non pas d'être rond, mais d'être dans un plan l'ensemble des points équidistants d'un point donné (ou de façon équivalente : la figure qui entoure la plus grande surface pour un périmètre donné, l'ensemble des points qui voient sous le même angle un même segment de droite etc.).

mercredi 3 mars 2010

L'axiome de Smith

La pensée d'Adam Smith s'appuie sur un axiome fondamental qu'il énonce dans le livre IV, chapitre 8 de La richesse des Nations et qui, comme d'autres passages cités ci-dessous, mérite de l'être en anglais puis en français :

« Consumption is the sole end and purpose of all production; and the interest of the producer ought to be attended only so far as it may be necessary for promoting that of the consumer. The maxim is so perfectly self-evident that it would be absurd to attempt to prove it. »

« La consommation est le seul but de la production et les intérêts du producteur ne doivent être respectés que dans la mesure où c'est nécessaire pour promouvoir ceux du consommateur. Cette maxime est tellement évidente qu'il serait absurde de tenter de la démontrer. »

Une « maxime tellement évidente qu'il serait absurde de tenter de la démontrer », c'est un axiome, proposition dont on postule la vérité pour en déduire une théorie – ici la science économique dont Smith est le génial créateur.

Il l'oriente ainsi tout entière vers l'intérêt du consommateur. Mais qui est donc celui qui doit veiller à promouvoir les intérêts du consommateur, à leur soumettre ceux du producteur ?

lundi 1 mars 2010

La prime à l'escroc

Claude Allègre a encore frappé : alors que Ma vérité sur la planète est toujours empilé sur les tables des libraires, voici L'imposture climatique.

J'ai lu avec intérêt les commentaires des lecteurs de l'article du Monde, "Le cent fautes de Claude Allègre" : ceux qui approuvent Allègre sont en minorité, mais ils sont tout de même nombreux.

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L'art de l'escroquerie résidant tout entier dans la séduction, celui qui ne sait pas séduire est contraint de rester honnête. Le séducteur habile, par contre, sera vulnérable à la tentation.

L'escroquerie se pratique sur divers terrains : le terrain financier bien sûr, mais aussi les terrains affectif, professionnel, intellectuel. L'escroc intellectuel en impose par ses diplômes, ses titres universitaires, ses publications. Il séduit par son style, par une apparence d'originalité et de courage.