samedi 8 novembre 2014

Pour une philosophie de l'informatisation

« La culture s'est constituée en système de défense contre les techniques ; or cette défense se présente comme une défense de l'homme, supposant que les objets techniques ne contiennent pas de réalité humaine. Nous voudrions montrer que la culture ignore dans la réalité technique une réalité humaine, et que, pour jouer son rôle complet, la culture doit incorporer les êtres techniques sous forme de connaissance et de sens des valeurs »
(Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p, 9).


*     *

L'informatique, science et technique de la conception et de la programmation des automates, a provoqué un phénomène historique, l'informatisation, qui confronte les intentions et les actions humaines à de nouvelles possibilités et de nouveaux dangers.

L'informatisation s'inscrit dans la vie des institutions1 avec leurs « systèmes d'information », ainsi que dans la vie quotidienne de chacun avec le Web, le téléphone « intelligent », les réseaux sociaux, etc.

La nature est transformée : l'Internet et l'informatisation de la logistique effacent nombre des effets de la distance, l'impression 3D franchit l'écran qui sépare les choses de leur représentation, l'Internet des objets enrichit les relations entre les choses, entre les choses et les automates, entre les choses et les personnes.

L'informatique semble ainsi accomplir la promesse de la magie, « commander aux choses par la parole » : des programmes qui commencent par « {public static void main (string args[ ]){ » supplantent efficacement « Abracadabra » et « Sésame, ouvre toi ».

Un défi est ainsi adressé aux philosophes2 : embrasser l'ensemble de ces phénomènes pour nous permettre de penser leurs conditions de possibilité et leurs conséquences ultimes.

L'enjeu est historique autant qu'intellectuel car l'informatisation place la société au carrefour de deux évolutions : l'une, dans laquelle elle s'est engagée, est celle de la consommation aveugle, de la crise des institutions, du clivage entre riches et pauvres, du déploiement de la violence.

L'autre est celle qui, tirant parti des possibilités et maîtrisant les dangers qui les accompagnent, conduirait à une société de classe moyenne où le système éducatif formerait des compétences, où le plein emploi serait assuré, où les rapports entre personnes s'appuieraient sur la considération, où la consommation serait exigeante en qualité et sobre en volume.

Après une révolution industrielle la société, désorientée, ne fait l'effort de comprendre la nouvelle nature qu'après un épisode de destruction. La responsabilité de ceux qui savent penser est aujourd'hui de faire en sorte que cet épisode soit aussi bref que possible.

*     *

Le système productif et l'économie sont passés vers 1975 du « système technique moderne », qui s'appuyait sur la mécanique, la chimie et l'énergie, au « système technique informatisé » qui s'appuie sur la microélectronique, le logiciel et l'Internet3.

L'informatisation des entreprises, qui dans les années 1960 se limitait à quelques opérations de gestion, n'a vraiment démarré que vers le milieu des années 1970. L'informatique s'est alors organisée en systèmes d'information4 et elle est sortie des mains jalouses des informaticiens pour se mettre à la disposition des utilisateurs d'abord grâce à la dissémination de terminaux dans les bureaux, puis dans les années 1980 avec les réseaux locaux de micro-ordinateurs, dans les années 1990 avec l'Internet, dans les années 2000 avec l'informatisation du téléphone mobile et enfin dans les années 2010 avec l'Internet des objets.

Dès les années 1990 sont apparus des phénomènes nouveaux. La messagerie électronique a permis une communication écrite informelle et émancipée du canal hiérarchique. Avec la mise à disposition d'une documentation électronique sur l'Intranet, les agents opérationnels ont pu disposer d'instructions techniques à jour et l'écart d'expertise entre la direction générale et les autres établissements s'est réduit5. Avec la transformation du téléphone mobile en ordinateur la ressource informatique a atteint l'ubiquité absolue : le corps de l'utilisateur lui-même s'est trouvé informatisé et non plus seulement son bureau.

La mécanique, la chimie et l'énergie n'ont certes pas été supprimées mais elles s'informatisent selon une évolution analogue à celle de l'agriculture, qui s'est mécanisée et « chimisée » à partir du XIXe siècle. La nature des produits, les processus de production, l'organisation de l'entreprise en ont été transformés.

Les tâches répétitives étant automatisées, l'essentiel du coût de production réside dans un « coût fixe », celui des investissements réalisés avant que la production ne commence. Il en résulte que le marché de la plupart des produits obéit non plus au régime de la concurrence parfaite ou du monopole, mais à celui de la concurrence monopolistique. Chaque produit se diversifie en variétés qui se distinguent par leurs attributs qualitatifs et l'innovation est vive. La satisfaction des consommateurs s'évalue selon la qualité de leur consommation et non plus selon son volume6.

Si l'informatisation facilite l'émergence de « communs collaboratifs » ils ne peuvent pas à constituer à eux seuls l'ossature du système productif car la montée en qualité des produits et l'innovation fréquente exigent des investissements importants : c'est dans l'Entreprise que l'informatisation déploie d'abord ses effets.

Comme après chacune des révolutions industrielles des XVIIIe et XIXe siècles la société connaît cependant une crise de transition et celle-ci suscite un désarroi. Le chômage de masse témoigne de l'inefficacité de l'économie informatisée actuelle. Nous nommons iconomie le modèle d'une société informatisée qui par hypothèse tirerait pleinement parti des possibilités qu'apporte l'informatique, tout en contenant les dangers qui les accompagnent.

*     *

Pour sortir de la crise de transition et bâtir l'iconomie, il faut savoir penser l'informatisation. L'apport des philosophes est ici précieux mais ils devront surmonter quelques obstacles.

Le plus immédiat, et le moins difficile, réside dans un vocabulaire qui semble avoir été choisi pour égarer l'intuition. L'« ordinateur » est incapable de produire de l'ordre, c'est l'utilisateur qui doit s'en soucier ; les « données » sont en fait des observations qui, étant nécessairement sélectives, ne sont pas données spontanément par la nature ; les « objets » qu'évoque la « programmation orientée objet » sont une représentation elle aussi sélective des êtres réels ; un « langage de programmation » n'est pas un langage, mais un dispositif de commande de l'automate ; le mot « numérique », que la mode préfère à « informatisation », évoque le seul codage binaire des documents et programmes.

Arrêtons-nous sur le mot « automate ». Les premiers d'entre eux – accessoires liturgiques de l'antiquité, canard digérateur de Vaucanson (1774), métier à tisser de Jacquard (1801) – étaient destinés chacun à une fin particulière. Il a fallu un étonnant effort d'abstraction pour concevoir un automate programmable dépourvu de finalité particulière mais fait pour effectuer, à travers des équipements périphériques (écran et clavier, ailerons des avions en pilotage automatique, bras des robots, etc.), tout ce qu'il est a priori possible de programmer.

La ressource informatique constituée par l'ensemble des processeurs et des mémoires, ainsi que par les documents et programmes inscrits dans ces mémoires, est condensée par l'Internet en un automate programmable ubiquitaire (APU) unique, disponible depuis n'importe où et pour n'importe quelle personne sous la seule réserve de ses droits d'accès. L'APU entoure le monde de sa représentation documentaire associée à des programmes qui permettent de la construire, la modifier et l'utiliser.

Parmi les faux amis qui abondent dans le vocabulaire de l'informatique se trouvent aussi des expressions qui invitent l'intuition à s'engager dans des impasses : les connotations qu'éveillent « intelligence artificielle », « théorie de l'information », « Big Data » exagèrent la portée de certaines techniques7.

« Intelligence artificielle » est un oxymore car le lieu exclusif de l'intelligence est le cerveau humain8, inséparable du corps auquel il appartient et dont les émotions activent sa créativité et sa mémoire. Certains pensent cependant que l'intelligence réside aussi dans l'APU : ils vont jusqu'à prétendre que dans quelques années elle aura dépassé et supplanté l'intelligence des êtres humains. Ils nomment « singularité » cette perspective qui les fascine.

Mais si l'intelligence réside dans l'APU comme dans le cerveau humain, jugés identiques à cet égard, il est impossible de penser leur articulation car on ne peut pas articuler l'identique avec lui-même. Les sectateurs de l'intelligence artificielle se détournent ainsi du grand problème que pose l'informatisation : articuler raisonnablement le cerveau humain et l'APU.

La « théorie de l'information » de Shannon9 considère la qualité de la transmission des messages après compression et ignore leur signification : « meaning does not matter ». Elle se limite aux besoins des télécommunications. Simondon a proposé une théorie qui aide mieux que celle de Shannon à comprendre l'informatisation10 : l'information est la forme intérieure que la rencontre d'un document procure à un cerveau humain qui sache l'interpréter, et dont résulte une compétence11.

Le « Big Data » enfin désigne l'abondance de données que l'informatisation procure. Il a suscité un sectarisme qui tourne le dos à l'expérience des statisticiens : la connaissance pourrait, prétendent ses sectateurs, se bâtir sur le seul constat des corrélations sans tenir compte de l'éclairage qu'apporte la théorie. C'est prendre le risque de commettre des erreurs que les théoriciens ont appris à éviter ou, pire encore, d'accorder une portée explicative à des corrélations accidentelles.

Les philosophes rencontrent un deuxième obstacle, plus difficile. L'informatisation, en tant que phénomène, embrasse toutes les dimensions de l'anthropologie : technique, économique, psychologique, sociologique, philosophique, métaphysique enfin. Elle invite donc, comme le conseillait Gilbert Simondon, à voir dans la technique une réalité anthropologique12.

Mais l'histoire de la philosophie est liée avec celle des mathématiques13, qui se déploient dans le monde de la pensée pure sous la seule contrainte du principe de non-contradiction tandis que l'informatique incarne dans le monde de la nature les intentions qui animent l'action humaine14.

Cette finalité pratique est soumise à des contraintes que les mathématiques ne considèrent pas mais qui s'imposent à l'action : volumétrie, délais, incertitude du futur, etc. Le bon informaticien n'est pas seulement le mathématicien qui programme des algorithmes : il doit être aussi le physicien qui arbitre entre le dimensionnement des ressources et l'exigence de performance, et le sociologue qui anticipe le comportement des utilisateurs.

Ceci nous mène au dernier obstacle, le plus important. C'est dans les entreprises que l'informatisation s'exprime sous la forme la plus complète et la plus claire : or la plupart des philosophes s'intéressent peu aux entreprises et celui qui en prendrait le risque ne serait sans doute pas écouté par ses collègues15.

La plupart des philosophes qui se sont intéressés à l'informatisation se sont donc focalisés sur ses effets dans la vie quotidienne (les « usages » autour du Web, les réseaux sociaux, etc.), qu'ils ont pu expérimenter. Ils ignorent son rôle dans les entreprises, sa logique, les conditions de son fonctionnement, etc.

« Le théorème de Gödel est certainement de beaucoup le résultat scientifique qui a fait écrire le plus grand nombre de sottises et d'extravagances philosophiques », a dit Jacques Bouveresse16 : on peut en dire autant de l'informatique. Formés par la lecture des grands auteurs mais privés de l'expérience qui aurait pu nourrir en eux une méditation approfondie, d'estimables penseurs ont énoncé des naïvetés dont l'emphase fait sourire les praticiens.

Lucien Sfez a ainsi nommé « surcode » le croisement de quelques codages17 qui est depuis longtemps familier aux statisticiens, et il a cru que ce « surcode » pouvait apporter une « déviance » susceptible de « dynamiser les sociétés ». Edgar Morin a vu une « contradiction » dans l'articulation de diverses logiques représentée par le modèle en couches familier aux informaticiens et aux gens des télécoms18. On rencontre d'autres errements dans les discours sur la « logique du flou19 », la « complexité20 », les « systèmes21 », etc. Alors qu'il convient pour prendre la mesure du phénomène d'être froidement réaliste, certains penseurs sont attirés par l'optimisme béat22 ou par un pessimisme apocalyptique23.

*     *

Tandis que l'informatisation mobilise des techniques de la pensée et propose des méta-modèles aux philosophes, les êtres et phénomènes qu'elle fait émerger se présentent comme autant d'objets d'étude devant leur sagacité. Nous allons explorer ce que l'informatique peut apporter à la philosophie, puis ce que celle-ci peut lui apporter en retour.

Apports à la philosophie

Pour se représenter un système d'information les informaticiens utilisent un « modèle en couches », innovation précieuse parmi les techniques de la pensée. Comme par ailleurs l'informatisation doit répondre à la question « comment faire ? », son ingénierie sémantique fait jouer l'articulation de la pensée et de l'action. Pour pouvoir poser cette question il faut d'abord savoir ce que l'on veut faire : la « question du but » confronte l'entreprise à la métaphysique des valeurs.

Modèle en couches

Le fonctionnement d'un ordinateur met en jeu simultanément la physique des processeurs, mémoires et périphériques, l'organisation du système d'exploitation, la logique des programmes : il est soumis à une cascade de conditions simultanément nécessaires.

Le modèle en couches permet de penser ce fonctionnement24 : la communication entre les éléments que comporte une couche obéit à un protocole, la relation entre couches successives passe par une interface, les premières couches fournissent un service à celle qui les suit. La définition des couches dépend de ce que l'on veut faire. Le découpage que nous avons évoqué est à très gros grains, d'autres sont plus fins25.

La portée de ce modèle s'étend au delà de l'informatique. Des modèles en couches représentent les réseaux télécoms26 (le modèle OSI27 comporte sept couches : physique, liaison, réseau, transport, session, présentation, application). La conversation de deux personnes peut se représenter selon cinq couches : physique (émission et réception des ondes sonores), physiologique (articulation et audition), phonétique (codage et décodage des phonèmes), sémantique (codage et décodage du langage), logique (expression et compréhension des idées).

Le modèle en couches est donc un méta-modèle qui se décline en modèles divers pour représenter des phénomènes particuliers en biologie, économie, histoire, etc.

On rencontre des structures en couches chez certains philosophes mais ils ne semblent pas avoir pleinement exploité le formalisme du méta-modèle : Karl Popper, dans son modèle des trois mondes28, articule le « monde 1 » des objets et forces physiques, le « monde 2 » des états mentaux et le « monde 3 » des symboles, théories, problèmes, langages etc. Maurice Blondel évoque lui aussi une structure en couches lorsqu’il dit, dans une phrase d’une remarquable densité, « entre (la science, la morale et la métaphysique), il n’y a point de contradiction, parce que là où l’on a vu des réalités incompatibles il n’y a (…) que des phénomènes hétérogènes et solidaires29 ».

Pratique de l'abstraction

L'action productive est confrontée à la complexité illimitée de la nature, physique et psychosociale, dans laquelle elle puise ses ressources et diffuse ses produits. Cette complexité, étant celle de l'existant30, est impensable dans l'absolu mais l'action n'exige qu'un nombre fini de concepts.

L'informaticien choisit, dans la multitude illimitée des êtres que comporte cette nature, ceux seulement avec ou sur lesquels l'entreprise entend agir. Pour représenter ces êtres dans le système d'information il associe à chacun un identifiant et choisit d'observer, parmi le nombre illimité de ses attributs, le seul petit nombre de ceux qui sont nécessaires à l'action de l'entreprise.

L'ingénierie sémantique31 définit ainsi un vocabulaire qu'elle dépose dans un « référentiel ». Elle est orientée par la réponse à la question « que voulons-nous faire ? », qui permet de classer êtres et attributs selon leur importance pour sélectionner des concepts pertinents en regard de l'action32.

Elle fait ainsi abstraction des êtres qui ne seront pas représentés, des attributs qui ne seront pas observés. Cette abstraction ayant une finalité pratique, l'informaticien est un praticien de l'abstraction : l'ingénierie sémantique réalise in vivo l'articulation de la pensée et de l'action. Ce faisant elle rencontre des obstacles sociologiques sur lesquels nous reviendrons.

Modélisation

L'action de l'entreprise se condense dans le processus de production qui, partant d'un événement extérieur à l'entreprise (commande d'un client), aboutit à un autre événement, réponse de l'entreprise (livraison du produit). Le processus peut aussi partir d'une anticipation de la demande et aboutir à l'alimentation d'un stock.

L'informatisation d'un processus s'appuie sur un modèle qui, représentant l'action productive, définit ses étapes et le partage du travail entre l'APU et les opérateurs humains. Ceux-ci utiliseront des formats d'écran pour la consultation et la saisie, et ils lanceront des traitements. L'itinéraire du processus est balisé par des tables d'adressage, ses délais sont réglés par des horloges. Tout au long du processus, les êtres que le système d’information représente évoluent à l'instar des êtres vivants tout en conservant leur identité : la modélisation doit considérer le « cycle de vie des objets ».

La modélisation du processus met ainsi en scène l'alliage du cerveau humain et de l'APU et sa réussite est celle de cet alliage. Comme tout modèle celui-ci doit être sobre33 : il ne convient pas de modéliser tous les cas particuliers qui pourraient se présenter à l'occasion, mieux vaut confier les plus rares d'entre eux au discernement humain.

Les traitements doivent répondre aux besoins du processus en tenant compte de la logique des bases de données et des contraintes du dimensionnement : leur programmation pose des problèmes redoutables. Certains sont tentés de limiter l'informatique à l'art de la programmation, qui peut il est vrai nourrir à lui seul des années de formation suivies par une vie de recherche (en témoigne l'ouvrage monumental de Donald Knuth34). Mais c'est là une conception trop réductrice de l'informatisation.

Élucidation des valeurs

La réponse à la question « que voulons-nous faire ? » est l'énoncé d'une action. Cet énoncé permet de définir des concepts pertinents. Mais cette question en appelle d'autres : cette action est-elle judicieuse en regard des intentions ? Les intentions sont-elles fidèles aux valeurs que l'entreprise entend promouvoir ? Quelles sont enfin ces valeurs ?

Il n'est pas aisé de les identifier car les parties prenantes ont des priorités diverses, parfois inconciliables et qui révèlent alors des valeurs antagoniques : « changer le monde » pour les entrepreneurs, dividendes et plus-values pour les actionnaires, pouvoir pour les dirigeants, carrière pour les cadres, emploi et rémunération pour les salariés et leurs syndicats, rapport qualité/prix du produit pour les clients, etc.

On est ici dans le domaine des choix fondamentaux qui procurent leur orientation à un individu ou à une institution. Ces choix sont métaphysiques : ils sont logiquement antérieurs à l'expérience, tout comme en mathématiques les axiomes sont antérieurs au raisonnement. Il faut cependant surmonter leurs éventuels antagonismes pour expliciter le but de l'entreprise en exprimant ce qu'elle veut faire.

Même si la discussion sur les valeurs n'aboutit pratiquement jamais à une explicitation complète, l'informatisation aura mis en tension le lien entre l'action productive et l'intention, puis les valeurs. Elle milite d'ailleurs implicitement pour la qualité du produit et l'efficacité de la production, que des indicateurs évaluent, et ces valeurs-là sont indifférentes ou contraires à celles de certaines des parties prenantes. L'informatisation s'affronte ainsi de nouveau à la sociologie de l'entreprise.

Questions aux philosophes

Les phénomènes que provoque l'informatisation sont aujourd'hui dans une large mesure vécus et subis, mais on tente rarement de les penser. Des essayistes les décrivent et personne ne peut nier leur existence mais ces descriptions ne vont pas jusqu'à leur racine : elles n'explicitent ni leurs conditions d'existence, ni leurs conséquences ultimes, tâche pour laquelle l'effort du philosophe est requis.

Il convient notamment d'éclairer les obstacles sociologiques que l'informatisation rencontre dans les entreprises, sa place dans les institutions, la forme qu'elle confère à l'action humaine, les risques historiques enfin auxquels elle confronte la société.

Obstacles sociologiques

L'informatisation s'inscrit dans la sociologie de l'entreprise, sur l'échiquier des pouvoirs légitimes, sur le terrain des identités professionnelles et ambitions de carrière, terrain dangereux où la trame des hiérarchies et corporations forme comme un tissu avec la chaîne, plus fluctuante, des relations d'allégeance.

L'entreprise, la société, considèrent l'informatique comme une technique et considèrent la technique comme une activité ancillaire. Elles ne sont donc pas prêtes à reconnaître dans l'informaticien un praticien de l'abstraction : la production des concepts est réservée, estiment-elles, aux Savants, aux Académies. Elle ne peut pas être l'affaire de cadres de niveau hiérarchique moyen.

L'ingénierie sémantique contrarie d'ailleurs les directions et services qui se partagent le pouvoir légitime : elle lève les ambiguïtés qui alimentent des conflits de territoires, elle proscrit les homonymes, synonymes et « dialectes locaux » auxquels chaque direction attache le sentiment de son identité.

Les résistances s'expriment souvent par la phrase « ce n'est pas si simple ». Alors que la simplicité est pour un modèle une qualité qu'il faut rechercher une fois la pertinence acquise, ceux qui voudraient qu'il fût aussi complexe que le monde réel (ou qu'il simulât du moins cette complexité par une complication délibérée) tournent le dos à la fonction pratique de la pensée.

Les résistances sont plus fortes encore lorsqu'il s'agit, en indiquant ce que l'on veut faire, d'exprimer les priorités qui révèlent des valeurs.

Des tâches qui relèvent de la pure logique, ou d'un besoin naturel d'élucidation, rencontrent ainsi des résistances que l'informaticien doit savoir assumer, puis contourner ou surmonter.

Les institutions

Toute institution a été instituée pour remplir une mission qu'une phrase courte énonce en des termes que chacun peut comprendre : « produire des automobiles », « éduquer les jeunes », « défendre le pays », etc.

Plusieurs énoncés se font il est vrai concurrence : quelle est la mission de Pôle emploi, « assurer l'intermédiation du marché du travail », « apporter une assistance aux chômeurs », « gérer le service public de l'emploi » ? D'un opérateur télécoms, « exploiter le réseau » ou « fournir des services sur le réseau » ? D'un transporteur aérien, « faire voler des avions », « transporter des passagers », « fournir des services aux clients » ?

Un économiste dira que la mission de l'Entreprise est d'être, entre le monde de la nature et la société, l'interface productive qui procure le bien-être matériel à la population (le bonheur est une tout autre affaire). D'autres diront que sa mission est de « faire du profit » en « produisant de l'argent », mais on peut leur objecter que l'argent n'est pas un produit.

Quoiqu'il en soit l'expression de la mission précède la création de l'institution. Pour que celle-ci puisse être réalisée une organisation est nécessaire. Elle définit la structure des directions et services, répartit les pouvoirs légitimes, précise les procédures, recrute et forme les personnes, installe bâtiments et équipements, etc. : étant un investissement lourd, elle réclame naturellement la pérennité.

Il en résulte que l'organisation, tout en étant nécessaire, entre inévitablement en conflit avec une mission que font oublier la répartition des pouvoirs, la perspective de la carrière, le respect des procédures. Un drame se noue alors entre ceux qui sont conscients d'une mission à laquelle ils entendent être fidèles et ceux qui ne perçoivent que le formalisme de l'organisation. Ce drame se solde par un sacrifice humain.

Il est porté à l'incandescence par l'informatisation car elle exige parfois une reformulation de la mission et, pratiquement toujours, une transformation radicale de l'organisation : que l'on pense à l'informatisation du système éducatif ou du système de santé.

Un autre drame encore agite la vie de l'institution : le cerveau individuel étant le lieu de naissance des idées nouvelles, toute innovation, toute évolution nécessaire sont d'abord conçues par un individu. L'organisation lui résiste longuement, de tout le poids de ses habitudes, avant de s'approprier soudain l'idée nouvelle tout en manifestant une rancune tenace envers son inventeur : ce processus est l'occasion d'un autre sacrifice humain.

La réflexion sur les institutions doit porter aussi sur l’État dont la mission est d'être l'« institution des institutions35 » et qui, ayant lui aussi une organisation, est le théâtre des mêmes drames. En élucidant ces phénomènes le philosophe aidera les individus et les institutions à surmonter leurs réflexes de défense et contribuera à limiter le sacrifice humain que provoque l'informatisation.

Le cerveau d’œuvre

Dans l'économie moderne la mécanique soulageait l'effort physique que demande la production ; dans l'économie informatisée l’informatique soulage l'effort mental en prenant en charge les tâches répétitives36.

L'emploi quitte alors l'usine, automatisée, pour se concentrer d'une part dans les tâches de conception et d'organisation qui précèdent la production, d'autre part dans les services (conseil, assistance, transport, maintenance, etc.) qui parachèvent la production des biens en permettant au produit de dégager des « effets utiles37 » entre les mains du consommateur.

Le rapport social de la main d’œuvre, qui faisait du corps du salarié l'auxiliaire de la machine, est donc remplacé par un nouveau rapport social : le « cerveau d’œuvre ». Certains craignent que l'automatisation ne supprime l'emploi, mais convient-il de regretter un « emploi » qui négligeait et donc stérilisait la ressource la plus précieuse de l'être humain ?

L'alliage du cerveau d’œuvre et de l'APU fait émerger, dans le monde de la nature, une nouveauté aussi radicale que ne le furent en leur temps celle du bronze (alliage du cuivre et de l'étain), de l'acier (fer et carbone) ou de l'industrie mécanisée (main et machine) – une nouveauté plus radicale même, car elle touche à l'organe le plus intime de l'être humain, celui où réside sa mémoire et se forme sa personnalité.

Cette émergence s'accompagne de phénomènes sociologiques (bouleversement des structures de pouvoir et de légitimité) et relationnels (transformation des supports et de la forme de la communication). Elle soulève des questions éthiques concernant d'une part les règles et les lois qui encadrent l'action38, d'autre part les jugements et comportements humains.

*     *

Dans l'entreprise mécanisée le rapport avec le monde extérieur (la nature où elle puise ses ressources et déverse ses déchets, le marché dans lequel elle diffuse ses produits) était assuré par une équipe de dirigeants et d'ingénieurs, le gros des effectifs exécutant des tâches répétitives définies au préalable.

Dans l'entreprise informatisée, et tandis que les tâches répétitives sont pour l'essentiel automatisées, le concepteur et l'agent de la première ligne sont au contact du monde extérieur dont la complexité dépasse toujours ce que l'organisation a pu prévoir : le concepteur est à l'interface de l'entreprise avec le monde de la nature (physique, humaine et sociale), l'agent de la première ligne à l'interface avec les clients, partenaires et fournisseurs.

Ils doivent tous deux traduire ce qu'ils constatent en des termes que l'entreprise puisse comprendre, et cette traduction ne peut avoir de conséquence que si l'entreprise écoute ces personnes en faisant un effort sincère pour comprendre ce qu'elles disent.

Dans l'entreprise informatisée un commerce de la considération est donc nécessaire car elle ne pourra pas faire travailler efficacement le cerveau d’œuvre si elle refuse d'entendre ce qu'il a à dire. Il s'étend aux clients, fournisseurs et partenaires.

C'est bien un commerce car il s'agit d'un échange qui doit être équilibré : il ne convient pas d'accorder durablement écoute et considération à quelqu'un qui refuse d'écouter et de considérer ceux qui lui parlent. Ce commerce ne répond pas à un injonction morale, mais à la pure logique : il s'agit d'une contrainte de l'efficacité. Si une telle contrainte rencontre les exigences de la morale, qui s'en plaindra ?

Certaines entreprises ont perçu cette exigence et commencé à mettre en pratique le commerce de la considération, mais elles tâtonnent car il s'agit d'une démarche nouvelle. La plupart d'entre elles, marquées par les habitudes acquises dans l'économie moderne, persévèrent dans des comportements devenus inadéquats : la relation de commandement y conserve le caractère sacré que révèle le mot « hiérarchie » (hieros, sacré et arché, pouvoir).

Les cerveaux des salariés sont alors soumis à la torture car l'entreprise leur délègue des responsabilités sans leur accorder la légitimité qui permettrait de les assumer : le concepteur qui n'est pas écouté cesse de réfléchir ; l'agent de la première ligne qui constate les défauts d'un produit ou d'une procédure commerciale, mais ne trouve personne à qui en parler, est tenté de se venger sur le client : l'entreprise devient alors perverse. Ainsi s'expliquent l'épidémie de stress et les suicides à motivation professionnelle.

Par ailleurs, les fournisseurs et les sous-traitants sont le plus souvent maltraités : les grandes entreprises se comportant de façon impériale, leurs services achat s'efforcent de comprimer toujours plus le prix des approvisionnements. Les « économies » que font celles qui délocalisent l'accueil téléphonique dans un pays à bas salaire, ou qui confient à des sous-traitants la maintenance des installations des clients, sont en fait contre-productives.

Enfin le marketing reste une technique de vente « pied dans la porte » alors qu'il doit être une « science des besoins » outillée par la statistique et contribuer à la conception des produits comme à l'organisation de leur distribution.

Le système éducatif

Le système éducatif français a été organisé pour former une main d’œuvre nombreuse, auxiliaire de la machine, dont la compétence se réduit à exécuter fidèlement les ordres reçus. Il forme aussi des cadres en petit nombre et des dirigeants encore moins nombreux, la proportion des niveaux de la pyramide répondant aux besoins de l'organisation hiérarchique. Celle-ci ne demande rien d'autre à la main d’œuvre que la coordination réflexe de gestes répétitifs.

Dans l'iconomie, le cerveau d’œuvre doit être capable d'initiative et savoir assumer des responsabilités. Comme la responsabilité ne peut pas aller sans la légitimité, c'est-à-dire sans un droit à l'erreur et un droit à l'écoute, la délégation de légitimité renverse l'organisation hiérarchique : le commandement est une fonction nécessaire, certes, mais ni plus ni moins sacrée que les autres fonctions.

Le cerveau humain est la ressource essentielle de l'iconomie et c'est une ressource naturelle illimitée car on ne peut assigner à son potentiel aucune limite a priori. L'iconomie se trouve ainsi affranchie des bornes que l'épuisement des ressources énergétiques fossiles assignait à l'économie antérieure.

Il en résulte un changement de la mission du système éducatif. Tandis que le système éducatif hérité du passé considère le cerveau du jeune comme un récipient dans lequel le pédagogue doit déverser des connaissances, celui de l'iconomie le considère comme un potentiel dont il faut susciter le déploiement.

Certes, cette conception a déjà été énoncée et mise en pratique par des pédagogues et certaines entreprises ont su mobiliser le cerveau de leurs ouvriers pour recueillir leurs idées. Mais de telles situations, d'ailleurs exceptionnelles, n'ont pas pu effacer les contraintes physiques et pratiques de l'économie moderne, qui a imposé au système productif le rapport social de la main d’œuvre et exigé que le système éducatif prépare les jeunes à ce rapport social.

Certains ont déploré avec raison le sacrifice humain que cela implique mais ils n'ont rien pu faire d'autre que d'aider les jeunes qui leur semblaient les plus intelligents à grimper la pyramide hiérarchique.

L'iconomie change la situation car le déploiement de la ressource cérébrale, qui semblait auparavant inutile ou impossible, est pour elle une nécessité. Le jeune n'apparaît plus alors comme un réceptacle à remplir de connaissances, mais comme le détenteur d'un potentiel mental.

Cela modifie la relation pédagogique. Le pédagogue n'est plus l'adulte qui doit transmettre un savoir à de jeunes cerveaux plus ou moins réticents, mais l'éducateur qui aide la ressource mentale à se déployer. La transmission des connaissances n'est plus le but ultime de la pédagogie mais le levier, certes nécessaire, qui facilite ce déploiement. Ainsi s'ouvre la perspective d'une amélioration de la qualité culturelle et scientifique de l'enseignement, d'une restauration de la mission, de la dignité professionnelle et du rôle social du pédagogue.

Certains prétendront que tout cela est utopique parce que, diront-ils, « les jeunes ne s'intéressent ni à la culture, ni à la science ». C'est ignorer que la nature dote chaque génération du même potentiel cérébral : il se trouve donc parmi nos jeunes autant de Platons, Aristotes, Michel-Anges et Léonards de Vinci en puissance qu'il ne s'en est trouvé dans l'Athènes antique et à la Renaissance.

Si certaines générations ont su construire une civilisation, c'est parce qu'elles ont rencontré une société qui respectait et encourageait la qualité des œuvres de l'esprit. L'iconomie nous y invite – à condition de savoir éviter certains écueils.

La prédation

L'informatisation nous fait aborder un continent où le possible nouveau s'accompagne de risques nouveaux.

Les systèmes informatiques ont des failles : les données personnelles peuvent être espionnées39, l'utilisateur d'un téléphone mobile peut être géolocalisé en permanence ; des pirates peuvent s'introduire dans les systèmes d'information pour y commettre des dégâts ; certains événements donnent une idée ce que serait ou sera la guerre dans le cyberespace.

Le risque est d'autant plus élevé que l'entreprise informatisée est « ultra-capitalistique », car l'essentiel du coût de production est dépensé dans la phase initiale de conception du produit et de dimensionnement des services. Comme l'informatisation a unifié le marché mondial, le résultat de cet investissement peut être anéanti par l'initiative d'un concurrent que l'entreprise n'aura pas vu venir. Tous les procédés peuvent alors sembler bons pour gagner ou conserver un marché : l'économie informatisée est potentiellement « ultra-violente ».

L'informatique a d'ailleurs offert à des prédateurs des possibilités qu'ils utilisent avec la complicité de certains pays40 (Liechtenstein, Monaco, Suisse, Luxembourg, la City de Londres, des dépendances de la couronne britannique, etc.) et la complicité rémunérée des banques. Elle a permis de rendre la fraude fiscale et le blanchiment des profits du crime pratiquement indécelables, ce qui permet à l'économie criminelle de prendre le contrôle du système productif voire même, dans certains pays, du système judiciaire et du pouvoir politique.

L'informatisation a enfin unifié la finance mondiale, accéléré les transactions et démesurément accru la « production d'argent » par les salles de marché. S'écartant de sa mission d'origine, qui est l'intermédiation du marché du crédit par arbitrage entre le rendement et le risque, la Banque est devenue un prédateur du système productif comme en attestent les amendes que des banques acceptent de payer pour éviter la publicité des procès.

L'économie informatisée est ainsi le théâtre d'une violence endémique. Elle provoque des crises répétées et introduit, dans l'intimité de ses rouages, une inefficacité ou, comme disent les économistes, un « déséquilibre » analogue à celui que l'économie moderne a connu dans les années 1930.

*     *

Nous découvrons progressivement les ressources et les dangers que recèle le continent où nous fait aborder l'émergence de l'être que constitue l'alliage du cerveau humain et de l'APU.

Comme tout territoire où des êtres humains vivent en société, ce continent a besoin de règles civilisatrices. Il faut que s'y instaurent des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire capables de garantir la sécurité des personnes, la fidélité des contrats, et de contenir les entreprises criminelles : l'iconomie suppose une innovation institutionnelle de grande ampleur.

Tant qu'elle ne l'aura pas fait, la société subira la violence endémique de l'économie informatisée et connaîtra des crises tantôt latentes, tantôt virulentes. Le risque est élevé car l'informatisation peut, si la violence se déploie, provoquer le retour à une version ultra-moderne du régime féodal : on découvrirait alors, mais trop tard, que la démocratie et l’État de droit n'auront été qu'un épisode historique.

Des craintes superficielles, mais très répandues, semblent faites pour masquer ce risque fondamental : on prétend par exemple que « trop d'information tue l'information » et que « l'automatisation tue l'emploi ».

Pour en finir avec la première, constatons qu'il est impossible de tout lire : le nombre des livres étant accablant pour quiconque entre dans une bibliothèque, l'art de la lecture a depuis des siècles pour préalable un effort de sélection.

Alors que la mécanisation a détruit l'emploi à la fin du XVIIIe siècle, un système éducatif qui lui répondait a permis à l'économie moderne de retrouver le plein emploi. L'automatisation détruit certes aujourd'hui des emplois, mais l'iconomie connaîtra le plein emploi si son système éducatif répond à l'informatisation : il n'est pas possible en effet d'assigner de limite aux besoins des consommateurs quand ceux-ci s'expriment en termes de qualité des produits.

Dans l'attente de cette innovation institutionnelle l'Entreprise offre à petite échelle le laboratoire où peut s'esquisser une organisation efficace. Il faut pour cela que les entreprises aient assimilé les exigences pratiques que comportent l'informatisation et l'emploi du cerveau d’œuvre, notamment celle d'un « commerce de la considération » envers les salariés, clients, partenaires et fournisseurs.

Une telle innovation ne peut pas se faire sans une adhésion de la population : il faut que celle-ci puisse posséder, à défaut d'une expertise qu'il ne convient pas d'exiger chez elle, une intuition raisonnablement exacte de ce qu'est l'informatisation et, plus fondamentalement, de ce qu'est l'Entreprise. La parole des philosophes est ici nécessaire mais il faut qu'ils acquièrent d'abord eux-mêmes cette intuition.

Jules Vuillemin a publié une excellente Philosophie de l'algèbre : il nous faut une Philosophie de l'informatisation d'une rigueur analogue.
____
1 Le mot « institution » désigne l'organisation collective instituée pour accomplir une mission jugée nécessaire, mais qui excède la capacité d'un individu. L’Entreprise, chaque entreprise, chacun des grands systèmes de la nation (santé, éducation, justice, défense, etc.), l’État, sont des institutions. Nous dirons le plus souvent « entreprise » car c'est dans l'Entreprise que l'informatisation se manifeste le plus clairement.
2 Michel Volle, De l'informatique : savoir vivre avec l'automate, Economica, 2006, p. 207.
3 Bertrand Gille, Histoire des techniques, Gallimard, La Pléiade, 1978.
4 Jacques Mélèse, L'analyse modulaire des systèmes de gestion, Hommes et Techniques, 1972.
5 Philippe Penny et Michel Volle, « La téléinformatique dans l'entreprise », La Recherche, juin 1993, n° 255.
6 Ce paragraphe condense une théorie économique de l'informatisation : Michel Volle, iconomie, Economica, 2014.
7 Lee Gomes, « Machine-Learning Maestro Michael Jordan on the Delusions of Big Data and Other Huge Engineering Efforts », Spectrum, 20 octobre 2014.
8 John von Neumann, The Computer and the Brain, Yale Nota Bene, 2000.
9 Claude Shannon, « A mathematical theory of communication », Bell System Technical Journal, juillet-octobre 1948.
10 « L'information n'est pas une chose, mais l'opération d'une chose arrivant dans un système et y produisant une transformation. L'information ne peut pas se définir en dehors de cet acte d'incidence transformatrice et de l'opération de réception » (Gilbert Simondon, Communication et information, Éditions de la transparence, 2010, p, 159).
11 L'étymologie du mot « informatique » désigne alors exactement l'articulation du cerveau humain et de l'APU.
12 « Au-dessus de la communauté sociale de travail, au delà de la relation interindividuelle qui n'est pas supportée par une activité opératoire, s'institue un univers mental et pratique de la technicité dans lequel les êtres humains communiquent à travers ce qu'ils inventent. L'objet technique pris selon son essence, c'est-à-dire en tant qu'il a été inventé, pensé et voulu, assumé par un sujet humain, devient le support et le symbole de cette relation transindividuelle. » (Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 2012, p. 335).
13 « L'histoire des Mathématiques et de la Philosophie montre qu'un renouvellement des méthodes de celles-là a, chaque fois, des répercussions sur celle-ci » (Jules Vuillemin, Philosophie de l'algèbre, PUF, 1993, p. 4).
14 « In mathematics we are usually concerned with declarative (what is) descriptions, whereas in computer science we are usually concerned with imperative (how to) descriptions » (Harold Abelson et Gerald Jay Sussman, Structure and Interpretation of Computer Programs, MIT Press 1996, p. 22).
15 B. Segrestin, B. Roger, S. Vernac, L'entreprise, point aveugle du savoir, Éditions sciences humaines, 2014.
16 Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l'analogie, Raison d'agir, 1999, p. 60.
17 Lucien Sfez, La décision, PUF, 2004.
18 Edgar Morin, Science et conscience de la complexité, Librairie de l'Université, Aix en Provence, 1984.
19 Stan Davis et Christopher Meyer, BLUR: The speed of change in the connected economy, Addison-Wesley, 1998.
20 Pierre Legendre, L'empire de la vérité, Arthème Fayard, 1983.
21 Jean-Louis Le Moigne, Le constructivisme, ESF, 1980.
22 Michel Serres, Petite Poucette, Le Pommier, 2012.
23 Paul Virilio, La bombe informatique, Galilée, 1998.
24 Andrew Tanenbaum, Operating Systems, Design and Implementation, Prentice-Hall, 1987.
25 Application (code source), code objet, assemblage, exploitation, microprogramme, physique (Andrew Tanenbaum, op. cit.).
26 Pierre Musso, Télécommunications et philosophie des réseaux, PUF, 1998.
27 « Open Systems Interconnection ».
28 Karl Popper, La connaissance objective, Flammarion 1998, p. 181.
29 Maurice Blondel, L’Action, Félix Alcan, 1893, p. XXII.
30 Étienne Gilson, L'être et l'essence, Vrin, 1948.
31 Michel Volle, Philosophie de l'action et langage de l'informatique, Manucius, 2014.
32 Bernard Guibert, Jean Laganier et Michel Volle, « Essai sur les nomenclatures industrielles », Economie et statistique, n° 20, février 1971.
33 Daniel Fixari, « Le calcul économique, ou de l'utilisation des modèles irréalistes », Annales des Mines, avril 1977.
34 Donald Knuth, The Art of Computer Programming, Addison Wesley, 1998.
35 Maurice Hauriou, Théorie des institutions et de la fondation, 1925.
36 John Markoff, « Armies of Expensive Lawyers, Replaced by Cheaper Software », The New York Times, 4 mars 2011.
37 Philippe Moati, La nouvelle révolution commerciale, Odile Jacob, 2011.
38 John Rawls, A Theory of Justice, Harvard University Press, 1999.
39 Alex Türk, La vie privée en péril : des citoyens sous contrôle, Odile Jacob, 2011.
40 Caroline Le Moign, Centres financiers offshore et système bancaire « fantôme », Centre d'analyse stratégique, note d'analyse n° 222, mai 2011 ; Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, Rapport d'information sur la délinquance financière et le blanchiment des capitaux, Assemblée nationale, 11 avril 2002.

4 commentaires:

  1. Plus qu'un projet de thèse ! Félicitations ! Les 4 points de la partie "Apports" m'évoquent le discours, assez élaboré et plein de syllabes, à la fois descriptif et normatif, des professionnels de l'informatisation, par exemple dans les normes ISO ("élicitation des exigences" et autres anglicismes). Le choc entre ce discours et la pratique des entreprises, notamment non-américaines, provoque plein d'étincelles qui seraient un matériau fécond pour des philosophes.

    RépondreSupprimer
  2. Cette "thèse" est, en effet, très intéressante. On pourrait ajouter ce que l'informatique - et singulièrement ce qu'on appelle à tort l'intelligence artificielle - peut apporter à la philosophie, dans la mesure où écrire un programme nécessite de décortiquer sa pensée, son raisonnement, pour le mettre sous forme d'algorithme, d'une suite d'instructions ou autres opérations. Claire Wagner-Remy

    RépondreSupprimer
  3. Michel, quand tu écris « un “langage de programmation” n'est pas un langage, mais un dispositif de commande de l'automate », ce n'est vrai que si tu parles du langage machine sous forme binaire, et encore. Les langages de programmation utilisés par des humains sont bien plus que cela, ils servent au moins autant à informer un lecteur humain qu'à commander un automate. Le processus de compilation consiste pour une grande part à dépouiller le texte du programme source de toutes les informations destinées aux humains pour le réduire aux simples commandes de l'automate.

    Le texte d'un programme est riche d'information, par exemple sur la psychologie et la culture de son auteur. Cf. Simondon justement. Voir aussi les travaux de Baptiste Mélès (http://baptiste.meles.free.fr/), qui organise un séminaire à venir sur ce sujet.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Donald Knuth, que je respecte infiniment, dit comme toi qu'un programme est fait pour être lu par un être humain autant que pour être exécuté par un ordinateur. Le mot « langage » est d'ailleurs extensible : ne parle-t-on pas du langage de la musique, de la peinture ? Son sens étroit désigne cependant le langage naturel, qu'il faut distinguer du langage théorique comme du langage de programmation.

      La puissance suggestive du langage naturel vient des connotations, qui associent à chaque mot une auréole d'allusions à d'autres mots : ce langage est fait pour exprimer et partager des intentions. Sa puissance a pour contrepartie un flou conceptuel dont la vie courante s’accommode.

      Le langage théorique, qui exige des concepts parfaitement précis, est dépourvu de connotations. Cette précision a pour contrepartie une difficulté de communication : le théoricien qui veut partager une intention recourt au langage naturel. Le langage théorique tolère cependant comme dit Bourbaki des « abus de langage » qui l'allègent : un mathématicien en a dit assez s'il indique la voie qui mène de façon évidente à une démonstration formellement complète

      Dans un programme les commentaires sont en langage naturel ou théorique, seule la liste des instructions est en langage de programmation. La programmation a la même exigence de précision que la théorie et en outre elle n'admet aucun « abus de langage » : les instructions, formellement explicites, sont dépourvues à la fois des suggestions du langage naturel et des « abus » qui allègent le langage théorique. Le langage de programmation n'est donc fait ni pour communiquer, ni pour expliquer, mais pour commander les actions d'un automate.

      Cela n'enlève rien à l'art du programmeur, ni à l'élégance que des experts peuvent apprécier dans certains programmes.

      Supprimer