« L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite »
(Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 1789).
(Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 1789).
La troisième révolution industrielle, celle de l'informatisation, a transformé la nature : nous vivons sur une autre planète que celle qui existait avant 1975. Pour s'orienter sur cette planète il faut une carte et des repères. Or les cartes familières dont nous disposons – concepts, raisonnements, priorités – datent pour l'essentiel du monde d'avant et les repères qu'offre le vocabulaire sont souvent fallacieux.
Il ne convient pas de dire que l'usage a force de loi car il se peut qu'il soit erroné : la qualité du vocabulaire, comme celle d'un bâtiment, ne peut se maintenir que si l'on intervient pour corriger les défauts que cause l'évolution naturelle des choses. Ceux qui voudraient que l'usage s'imposât ne tiennent pas assez compte des images que les connotations éveillent, de l'orientation qu'elles imposent à l'intuition, des portes qu'elles ouvrent ou ferment à la compréhension.
Le mot « industrie » en donne un exemple. Son sens originel, qui est « habileté à faire quelque chose » (Littré), perdure dans l'adjectif « industrieux ». Mais au début du XIXe siècle « industrie » s'est trouvé associé à la mécanique et à la chimie, qui étaient alors les techniques les plus efficaces : il porte aujourd'hui encore les connotations d'engrenage, de cheminée d'usine et de tour de distillation qui se sont alors collées à lui.
Quand on dit qu'il faut « réindustrialiser la France », à quelle « industrie » pense-t-on donc : à celle qu'évoquent les connotations ci-dessus ou à celle, fidèle au sens originel du mot, qui désigne l'ingéniosité dans l'action productive ? Les priorités seront différentes selon que l'on pense à l'une ou à l'autre et il en résulte que ceux qui prononcent la même phrase ne seront plus d'accord quand il faut agir.