L’INED vient de publier « Tous les pays du monde (2011) » qui fournit pour 208 pays et autres territoires (nous dirons « pays » tout court) les données démographiques essentielles ainsi que le revenu national brut par habitant en 2009, mesuré en dollars US et en parité du pouvoir d’achat, qui évalue la richesse moyenne de la population du pays considéré et que nous appellerons « richesse » tout court.
Cet indicateur est bien sûr discutable :
- les pondérations utilisées pour le mesurer reflètent la structure de la consommation dans les pays les plus riches : le RNB sous-évalue donc sans doute la richesse des autres pays ;
- une mesure de la richesse devrait considérer non seulement le revenu, mais aussi le patrimoine ;
- le poids économique d’un pays doit être évalué non selon sa richesse par tête, mais selon sa richesse totale (produit de la richesse par tête par la taille de la population) ;
- la richesse par tête est une information insuffisante si on ne la complète pas par une mesure des inégalités ;
- cet indicateur reflète une situation instantanée qu’il n'explique pas plus qu'il ne permet d'anticiper son évolution future ;
- l'estimation de la population est relative à 2011, celle du RNB à 2009 : la comparaison des deux est donc entachée d'un décalage ;
- pour 35 pays, le RNB par habitant n'est pas indiqué. La comparaison ne peut porter que sur les 173 pays restants, qui représentent 98 % de la population mondiale.
Il faut prendre cet indicateur pour ce qu’il est : une photographie imparfaite, incomplète et qu'il faut savoir interpréter. Nous allons tâcher de le faire parler.
dimanche 28 août 2011
La richesse des nations
Libellés :
Economie,
Statistique
mercredi 24 août 2011
La drôle de crise
Pendant l'hiver 39-40, c'était la « drôle de guerre ». Comme il faisait très froid les soldats français buvaient du vin chaud en espérant que l'ennemi n'attaquerait jamais.
Nous connaissons aujourd'hui une « drôle de crise ». Tandis que des annonces alarmantes se succèdent (baisse de la note américaine, effondrement de la bourse, panique des « marchés » etc.) nous percevons nos salaires et retraites, faisons rouler nos voitures, prenons des vacances. Ainsi nous vivons encore bien – à l'exception bien sûr des exclus dont personne ne se soucie.
Mais le sort des États était scellé dès qu'ils ont soutenu les banques « too big to fail ». Qu'ils aient ainsi endossé le risque de faillite du système financier, cela a eu quatre conséquences dont la conjonction est en effet mortelle :
1) L'art de la finance réside dans l'arbitrage entre rendement et risque. En assumant le risque les États ont incité les banques à pousser à fond la recherche du rendement. Cela rend la catastrophe inévitable, seule sa date étant incertaine.
2) Une banque qui était hier « too big to fail » le sera encore demain : la catastrophe est donc dès aujourd'hui inscrite dans les comptes futurs des États. Cela détruit leur crédibilité financière.
3) Le système financier, traitant ce signal de façon mécanique, joue à la baisse sur les créances envers les États. Cela fait monter le taux d'intérêt qui leur est demandé.
4) Lorsque le jeu à la baisse est amorcé, le système financier doit aller jusqu'au bout et pousser les États à la faillite : sinon, il perdrait les fonds qu'il a misés et pourrait même être ruiné par l'effet de levier.
Oui, cette crise est d'une drôlerie amère. Les « marchés » sont inquiets, dit-on gravement. Pardi ! Ils le seront toujours. Les États peuvent prendre encore et encore des mesures d'« austérité », les « marchés » ne seront jamais rassurés, jamais satisfaits car ce qu'ils veulent, c'est la mort de la bête.
Après la drôle de crise se profile ainsi la vraie crise.
Nous connaissons aujourd'hui une « drôle de crise ». Tandis que des annonces alarmantes se succèdent (baisse de la note américaine, effondrement de la bourse, panique des « marchés » etc.) nous percevons nos salaires et retraites, faisons rouler nos voitures, prenons des vacances. Ainsi nous vivons encore bien – à l'exception bien sûr des exclus dont personne ne se soucie.
Mais le sort des États était scellé dès qu'ils ont soutenu les banques « too big to fail ». Qu'ils aient ainsi endossé le risque de faillite du système financier, cela a eu quatre conséquences dont la conjonction est en effet mortelle :
1) L'art de la finance réside dans l'arbitrage entre rendement et risque. En assumant le risque les États ont incité les banques à pousser à fond la recherche du rendement. Cela rend la catastrophe inévitable, seule sa date étant incertaine.
2) Une banque qui était hier « too big to fail » le sera encore demain : la catastrophe est donc dès aujourd'hui inscrite dans les comptes futurs des États. Cela détruit leur crédibilité financière.
3) Le système financier, traitant ce signal de façon mécanique, joue à la baisse sur les créances envers les États. Cela fait monter le taux d'intérêt qui leur est demandé.
4) Lorsque le jeu à la baisse est amorcé, le système financier doit aller jusqu'au bout et pousser les États à la faillite : sinon, il perdrait les fonds qu'il a misés et pourrait même être ruiné par l'effet de levier.
Oui, cette crise est d'une drôlerie amère. Les « marchés » sont inquiets, dit-on gravement. Pardi ! Ils le seront toujours. Les États peuvent prendre encore et encore des mesures d'« austérité », les « marchés » ne seront jamais rassurés, jamais satisfaits car ce qu'ils veulent, c'est la mort de la bête.
Après la drôle de crise se profile ainsi la vraie crise.
lundi 15 août 2011
Bonnes lectures scientifiques
J'ai rencontré voici quelques jours un jeune homme dont le visage rayonne d'intelligence. Il m'a dit sa passion pour les mathématiques.
- Une passion, voilà qui est bien ! lui ai-je dit. Et qu'étudies-tu en maths ?
- L'analyse (NB : la théorie des fonctions)...
- Oui, je vois... et la théorie des nombres ?
- Non, nous n'étudions pas ça.
- Dommage, c'est ce qu'il y a de plus fondamental. Si tu veux comprendre Galois...
- Ah, Galois, c'est mon Dieu !
- Eh bien pour le comprendre il te faut étudier la théorie des nombres.
Quand j'ai tenté de lire Galois je n'y ai rien compris. Gabay, l'éditeur, m'a dit que Galois était expliqué dans un livre de Jordan. J'ai essayé de lire Jordan, mais je n'y ai rien compris non plus. Quelque part dans son livre il dit avoir assidûment étudié Serret. Je me suis donc procuré le Cours d'algèbre supérieure de Serret (1877), et voilà que je comprends tout. Les démonstrations sont d'une extrême élégance... Lorsque j'aurai lu et compris Serret, j'étudierai Jordan, puis je lirai Galois. Les mathématiciens français du XIXe siècle étaient d'un très haut niveau, la lecture de certaines de leurs pages demande une semaine de méditation mais cela vaut la peine.
- Une passion, voilà qui est bien ! lui ai-je dit. Et qu'étudies-tu en maths ?
- L'analyse (NB : la théorie des fonctions)...
- Oui, je vois... et la théorie des nombres ?
- Non, nous n'étudions pas ça.
- Dommage, c'est ce qu'il y a de plus fondamental. Si tu veux comprendre Galois...
- Ah, Galois, c'est mon Dieu !
- Eh bien pour le comprendre il te faut étudier la théorie des nombres.
Quand j'ai tenté de lire Galois je n'y ai rien compris. Gabay, l'éditeur, m'a dit que Galois était expliqué dans un livre de Jordan. J'ai essayé de lire Jordan, mais je n'y ai rien compris non plus. Quelque part dans son livre il dit avoir assidûment étudié Serret. Je me suis donc procuré le Cours d'algèbre supérieure de Serret (1877), et voilà que je comprends tout. Les démonstrations sont d'une extrême élégance... Lorsque j'aurai lu et compris Serret, j'étudierai Jordan, puis je lirai Galois. Les mathématiciens français du XIXe siècle étaient d'un très haut niveau, la lecture de certaines de leurs pages demande une semaine de méditation mais cela vaut la peine.
dimanche 14 août 2011
Trois témoignages sur la finance
Dans les années 90 un de mes meilleurs amis dirigeait les salles de marché d'une grande banque française. La conversation avec lui m'a permis de comprendre beaucoup de choses.
- Ça va bien pour moi, me dit-il un jour. Mon service a fait cette année un profit de quatre milliards.
- Bravo ! lui dis-je. Et quel est le profit global de ta banque ?
- Eh bien, quatre milliards, répondit-il.
Ainsi le reste de la banque - réseau d'agences, gestion des comptes, intermédiation financière –, tout juste équilibré, avait pour seule fonction de drainer des liquidités vers les salles de marché.
Ce même ami m'a dit un autre jour « si tu as de l'argent, ne place surtout pas tout dans une seule banque ! ». Il en savait assez pour évaluer le risque de faillite, que les clients ignorent évidemment.
Un autre de mes amis, patron d'une PME prospère, a reçu de sa banque (une autre très grande banque française) une proposition qui l'a beaucoup surpris : « nous pouvons mettre une partie de votre chiffre d'affaires dans un compte offshore, lui a dit le directeur de son agence, de telle sorte que vous puissiez en disposer personnellement ».
Mon ami a refusé mais, m'a-t-il dit, s'ils proposent ça à moi qui suis tout petit, que doivent-ils donc proposer aux « gros » !
- Ça va bien pour moi, me dit-il un jour. Mon service a fait cette année un profit de quatre milliards.
- Bravo ! lui dis-je. Et quel est le profit global de ta banque ?
- Eh bien, quatre milliards, répondit-il.
Ainsi le reste de la banque - réseau d'agences, gestion des comptes, intermédiation financière –, tout juste équilibré, avait pour seule fonction de drainer des liquidités vers les salles de marché.
Ce même ami m'a dit un autre jour « si tu as de l'argent, ne place surtout pas tout dans une seule banque ! ». Il en savait assez pour évaluer le risque de faillite, que les clients ignorent évidemment.
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Un autre de mes amis, patron d'une PME prospère, a reçu de sa banque (une autre très grande banque française) une proposition qui l'a beaucoup surpris : « nous pouvons mettre une partie de votre chiffre d'affaires dans un compte offshore, lui a dit le directeur de son agence, de telle sorte que vous puissiez en disposer personnellement ».
Mon ami a refusé mais, m'a-t-il dit, s'ils proposent ça à moi qui suis tout petit, que doivent-ils donc proposer aux « gros » !
samedi 13 août 2011
Sartre, Aron et nous
En 1961 Sartre vint faire une conférence à l’École polytechnique. Elle commença ainsi : « Certains reprochent aux intellectuels de penser trop (il prononçait « trâ »). Cela n'a aucun sens car la pensée n'est pas affaire de quantité, mais de qualité. La question n'est pas de savoir si l'on pense trâ, mais si l'on pense bien ».
Cet exorde me transporta : j'étais alors de ceux dont on prétend qu'ils pensent trop. Mon cerveau s'étant engagé dans une longue rêverie, je n'ai pas entendu la suite de la conférence.
Telle est la magie du verbe. Sartre savait en jouer avec talent. Si l'on regarde de près certaines de ses phrases, on voit qu'elles ne veulent rien dire – ainsi dans son article sur François Mauriac : « Dieu n'est pas un artiste, François Mauriac non plus » – mais elles éveillent chez le lecteur des images puissantes.
Celui que les Dieux ont doté du bonheur d'expression ne prend pas toujours la peine d'approfondir sa réflexion. Comme beaucoup d'autres, Sartre a été victime de son talent : il est resté toute sa vie un normalien amateur de canulars.
Nota Bene : nombreux sont sans doute ceux qui ne partageront pas cette opinion : ils sont libres d'avoir la leur autant que je suis libre d'avoir la mienne.
On trouve dans les Mémoires de Raymond Aron, p. 954, un passage qui indique le fossé qui séparait ces deux hommes : « (Sartre) ne s'est jamais résigné à la vie sociale telle qu'il l'observait, telle qu'il la jugeait, indigne de l'idée qu'il se faisait de la destination humaine (...) Nous avions tous deux médité sur le choix que chacun fait de soi-même, une fois pour toutes, mais aussi avec la permanente liberté de se convertir. Il n'a jamais renoncé à l'espérance d'une sorte de conversion des hommes tous ensemble. Mais l'entre-deux, les institutions, entre l'individu et l'humanité, il ne l'a jamais pensé, intégré à son système » (c'est moi qui souligne).
Aron n'avait pas le talent de Sartre : sa phrase est laborieuse, rocailleuse, il faut souvent relire pour comprendre ce qu'il a voulu écrire mais lui, au moins, ne se paie pas de mots. Ce qui l'intéresse n'est ni le combat du Bien et du Mal, ni le rapport entre l'Être et le Néant : c'est l'action des êtres humains, leurs choix, leurs décisions, face à une nature dont la complexité dépasse leur intellect, dans une histoire au futur incertain et au passé énigmatique.
Cet exorde me transporta : j'étais alors de ceux dont on prétend qu'ils pensent trop. Mon cerveau s'étant engagé dans une longue rêverie, je n'ai pas entendu la suite de la conférence.
Telle est la magie du verbe. Sartre savait en jouer avec talent. Si l'on regarde de près certaines de ses phrases, on voit qu'elles ne veulent rien dire – ainsi dans son article sur François Mauriac : « Dieu n'est pas un artiste, François Mauriac non plus » – mais elles éveillent chez le lecteur des images puissantes.
Celui que les Dieux ont doté du bonheur d'expression ne prend pas toujours la peine d'approfondir sa réflexion. Comme beaucoup d'autres, Sartre a été victime de son talent : il est resté toute sa vie un normalien amateur de canulars.
Nota Bene : nombreux sont sans doute ceux qui ne partageront pas cette opinion : ils sont libres d'avoir la leur autant que je suis libre d'avoir la mienne.
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On trouve dans les Mémoires de Raymond Aron, p. 954, un passage qui indique le fossé qui séparait ces deux hommes : « (Sartre) ne s'est jamais résigné à la vie sociale telle qu'il l'observait, telle qu'il la jugeait, indigne de l'idée qu'il se faisait de la destination humaine (...) Nous avions tous deux médité sur le choix que chacun fait de soi-même, une fois pour toutes, mais aussi avec la permanente liberté de se convertir. Il n'a jamais renoncé à l'espérance d'une sorte de conversion des hommes tous ensemble. Mais l'entre-deux, les institutions, entre l'individu et l'humanité, il ne l'a jamais pensé, intégré à son système » (c'est moi qui souligne).
Aron n'avait pas le talent de Sartre : sa phrase est laborieuse, rocailleuse, il faut souvent relire pour comprendre ce qu'il a voulu écrire mais lui, au moins, ne se paie pas de mots. Ce qui l'intéresse n'est ni le combat du Bien et du Mal, ni le rapport entre l'Être et le Néant : c'est l'action des êtres humains, leurs choix, leurs décisions, face à une nature dont la complexité dépasse leur intellect, dans une histoire au futur incertain et au passé énigmatique.
vendredi 12 août 2011
Le casse-tête russe (suite)
J'ai reçu un courrier de Vladimir Sterkh que je reproduis ci-dessous. Il complète un texte publié en septembre 2008 par volle.com.
La situation que j'avais décrite dans « Le casse-tête russe » s'est aggravée : alors que notre alfa-dog est devenu insupportable pour toute personne possédant une quelconque culture, les espoirs que l'on avait pu mettre dans son jeune successeur se sont dissipés.
Les deux personnes de ce tandem sont évidemment différentes ainsi que les équipes qui les entourent, mais ni l'une ni l'autre ne maîtrise la situation. Notre État est la pire version d'un corporatisme postmoderniste où s'entremêlent les modèles du féodalisme, d'un stalinisme modéré et quelques ébauches timides de démocratie (par exemple la possibilité de se déplacer hors du pays et une certaine marge contrôlée laissée aux critiques du régime).
La corporation qui dirige se compose d'une quinzaine de personnes qui presque toutes ont appartenu au KGB ou à son successeur, le FSB. Elle engage ou plutôt achète des spécialistes qualifiés pour assurer la gestion économique courante. Les institutions nécessaires au fonctionnement d'un État démocratique sont inexistantes.
* *
La situation que j'avais décrite dans « Le casse-tête russe » s'est aggravée : alors que notre alfa-dog est devenu insupportable pour toute personne possédant une quelconque culture, les espoirs que l'on avait pu mettre dans son jeune successeur se sont dissipés.
Les deux personnes de ce tandem sont évidemment différentes ainsi que les équipes qui les entourent, mais ni l'une ni l'autre ne maîtrise la situation. Notre État est la pire version d'un corporatisme postmoderniste où s'entremêlent les modèles du féodalisme, d'un stalinisme modéré et quelques ébauches timides de démocratie (par exemple la possibilité de se déplacer hors du pays et une certaine marge contrôlée laissée aux critiques du régime).
La corporation qui dirige se compose d'une quinzaine de personnes qui presque toutes ont appartenu au KGB ou à son successeur, le FSB. Elle engage ou plutôt achète des spécialistes qualifiés pour assurer la gestion économique courante. Les institutions nécessaires au fonctionnement d'un État démocratique sont inexistantes.
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