Son étymologie évoque en effet le codage en 0 et 1 qu'exige le traitement informatique des textes, images, sons, programmes et autres documents et cela l'entoure de connotations techniques qui risquent d'égarer l'intuition. Certains, prisonniers des images qui accompagnent les mots, vont même jusqu'à lui associer la froideur supposée des « nombres » et le croient incapable de transmettre la chaleur émotive de la littérature !
On peut à bon droit estimer qu'il aurait mieux valu retenir un terme plus exact, par exemple « informatisation ». Malheureusement le lexique qui dérive d'« informatique » (« informaticien », « informatiser », « informatisation » etc.), dont l'étymologie est saine en effet, éveille aujourd’hui des connotations péjoratives ou, comme on dit, « ringardes », tandis que malgré son étymologie déplorable « numérique » connote « jeune », « nouveau », « créatif », « dynamique » etc. Il est sans doute vain de prétendre lutter contre un usage qui s'est aussi bien installé.
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Étant récent, cet usage n'est d'ailleurs pas stabilisé car chacun entend « numérique » à sa façon. Pour les collectivités territoriales, il s'agit du haut débit de l'accès à l'Internet. Pour les médias et la plupart des politiques, des transformations qu'apporte l'Internet à l'économie de la presse, de l'édition et des droits d'auteur. Enfin les entreprises qui fournissent les matériels, logiciels et compétences nécessaires à l'informatisation sont classées par la statistique dans un secteur des « industries du numérique ».
La diversité de ces usages invite à conférer le sens le plus large à « numérique » : je propose de prendre carrément le contre-pied de son étymologie et de le retenir pour désigner l'ensemble des phénomènes anthropologiques que suscite l'informatisation.