jeudi 18 août 2022

La clé de la situation présente

Je viens de publier un livre intitulé L’iconomie, clé de la situation actuelle. Cette publication fait suite à une conversation que j’ai eue voici quelques jours avec Christophe Dubois-Damien.

« C’est tout de même extraordinaire », lui ai-je dit. « Nous avons entre nos mains, à l’Institut de l’iconomie, la clé de la situation présente : une explication de la crise de transition que connaissent notre économie et notre société, offrant le repère qui peut permettre de s’orienter pour en sortir comme l’on sort d’une forêt en s’orientant sur le pic d’une montagne.

« Notre modèle de l’iconomie fournit ce repère. Comme tout modèle il est schématique et ignore des pans entiers de la réalité, pourtant il est éclairant car il se focalise sur ce que notre situation historique a d’essentiel et de particulier. Mettant en évidence les conditions nécessaires de l’efficacité dans une économie et une société informatisées, il permet de poser un diagnostic sur des entreprises, des institutions, dont les errements sont manifestes, et aussi de formuler le diagnostic qui leur permettra d’en sortir.

« Encore une fois, il n’a pas réponse à tout, aucun modèle ne le pourrait, mais la clarté qu’il projette sur notre situation est utile.

« Je connais des dirigeants n’ont pas eu besoin d’un modèle, d’une théorie, pour comprendre cette situation : ils possèdent l’intuition exacte qui conduit droit à la décision judicieuse. Ils sont ce que furent dans le métier des armes le grand Condé, Turenne, Bonaparte, Leclerc et quelques autres peu nombreux. J’estime que ces personnes admirables représentent au plus 10 % de nos dirigeants.

« L’intuition exacte d’une situation n’est cependant pas nécessairement le fait d’un génie personnel : elle peut s’acquérir grâce à l’expérience, la réflexion, la curiosité, les lectures et les conversations. Publier nos travaux peut donc accroître le nombre des dirigeants qui la possèdent.

« Il est vrai que les dirigeants n’ont souvent ni le temps de s’instruire, ni parfois le goût. Nous serions en outre naïfs si nous pensions que la lecture de nos travaux, s’ils les lisent, va leur procurer comme par un coup de baguette magique l’intuition exacte de la situation.

« Par contre nous pouvons toucher les experts qui les conseillent et forment leur état-major. En 1835 la femme de Clausewitz a publié De la guerre, ouvrage posthume qui apportait une conception nouvelle de la stratégie. Ce livre n’a pas été lu par les généraux qui commandaient l’armée prussienne mais par des capitaines qui, quelques dizaines d’années après, sont devenus des généraux, et alors l’œuvre de Clausewitz a exercé une grande influence.

« Il en sera sans doute de même de nos travaux sur l’iconomie. Ils attireront, souhaitons-le, l’attention des « capitaines » d’aujourd’hui qui, voulant faire l’effort de comprendre notre situation et d’y trouver un repère pour s’orienter, cherchent de quoi alimenter leur réflexion.

« Il se trouve cependant que la façon dont la théorie économique est présentée les engage dans une voie sans issue car l’informatisation a transformé les conditions pratiques et l’organisation de l’action productive ainsi que le régime des marchés. Des préceptes comme « concurrence parfaite », « prix égal au coût marginal », « libre échange » et « création de valeur pour l’actionnaire » sont fallacieux si on les prend au pied de la lettre comme le font des personnes influencées par la doctrine néo-libérale.

« Nous avons reformulé la théorie économique de façon à rendre compte de la situation présente, et ce faisant nous avons été plus fidèles à sa démarche que ceux qui s’efforcent de perfectionner le modèle de l’équilibre général pour comprendre le mécanisme de la « création de valeur pour l’actionnaire ».

« Nous avons tiré les conséquences sociologiques, psychologiques, stratégiques que cette situation fait émerger, et mis en évidence l’étendue des possibilités qu’elle présente ainsi que celle des dangers qu’elle comporte.

« Nous avons publié des livres et des articles, mais nous n’avons sans doute pas été assez habiles pour "communiquer", comme on dit, et pour convaincre. Il est vrai que nous avons contre nous des forces puissantes : celles de l’habitude et du conformisme, celles aussi des préjugés sociologiques de ceux qui, voyant dans l’informatique une technique, se font gloire de la mépriser et de l’ignorer. »

*     *

Nous invitons donc les « capitaines » qui forment l’état-major des dirigeants de l’économie et de la politique à se procurer L’iconomie, clé de la situation actuelle : ils n’ont rien à y perdre et ils ont tout à y gagner.

Nous serions heureux de recevoir des critiques, commentaires et suggestions.

samedi 13 août 2022

Dan McCrum, Money Men, Penguin Random House, 2022

Dan McCrum a consacré à sa lutte contre Wirecard un livre touffu et un peu difficile à lire. Il s’en dégage cependant une histoire : je vais tenter d’en expliquer le mécanisme, du moins ce que j’en ai compris, puis d’en tirer quelques leçons.

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Wirecard était une entreprise allemande qui offrait des services sécurisés de paiement en ligne, ce qui implique de savoir traiter les données que l’on échange avec les clients, les banques, les systèmes de cartes de crédit ou de paiement, enfin avec les commerçants qui offrent leurs produits sur l’Internet.

Wirecard a commencé, de façon modeste, par outiller la pornographie payante. Le développement envahissant de la pornographie gratuite a mis un terme à ce commerce, donc à cette activité de Wirecard.

Elle s’est alors repliée sur le jeu en ligne (casinos, poker, etc.) mais le développement explosif de celui-ci, sa commodité pour blanchir les revenus des activités criminelles et les effets dévastateurs de l’addiction au jeu ont conduit les États à le réguler et le limiter : le flux de cette deuxième activité a donc lui aussi tari.

L’expérience acquise dans le paiement en ligne a cependant permis à Wirecard de proposer ses services à des activités commerciales moins controversées, se campant ainsi en rivale européenne de PayPal.

Mais le ver était sans doute dans le fruit : les premières activités de Wirecard l’ayant fait flirter avec les milieux de la délinquance, elle n’était pas immunisée contre les tentations.

L’une d’entre elles était de « créer de la valeur pour l’actionnaire » en faisant croître démesurément le cours de l’action et, pour cela, en faisant croître la taille de l’entreprise. Wirecard a donc étendu son activité en achetant des entreprises de paiement en ligne partout dans le monde et notamment en Asie, elle a aussi utilisé quelques astuces sur lesquelles nous reviendrons.

Le chiffre d’affaires a crû fortement, le profit aussi ainsi que le cours de l’action. Wirecard est devenue une grande réussite allemande dans la high tech, comparable à SAP. L’opinion, les analystes financiers, les journalistes, les régulateurs, les commissaires aux comptes, tous étaient admiratifs. Wirecard était la chérie de la bourse : consécration, elle est entrée dans le DAX, l’équivalent allemand du CAC 40.

Sa capitalisation boursière a atteint 24 milliards d'euros, le double de celle de la Deutsche Bank : Wirecard a envisagé d’acheter cette dernière, ce qui l’aurait placée parmi les institutions emblématiques de l’Allemagne.

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Certains doutaient cependant de la réalité de cette réussite. Des lanceurs d’alerte émettaient des signaux inquiétants. Les comptes étaient-ils fidèles ? Ernst & Young, le commissaire aux comptes, avait-il convenablement vérifié tout ce que Wirecard lui annonçait ? L’activité des entreprises que Wirecard avait achetées était-elle réelle et, avec elle, le chiffre d’affaires et le profit annoncés ?

Ces signaux ont attiré en 2014 l’attention de Dan McCrum, journaliste au Financial Times. Pour tirer l’affaire au clair il a rassemblé des témoignages, épluché des documents, réuni une équipe, et il est allé sur place pour constater l’activité des entreprises que Wirecard avait achetées ainsi que celle de leurs clients.

jeudi 4 août 2022

Notre Russie

Le film qu'Alexeï Navalny a consacré au palais de Poutine décrit l’autocrate, chef d’une bande de prédateurs, entouré d’une cour servile d’anciens du KGB, qui a ces temps derniers plongé la Russie dans une crise et dévasté tout ce qu’il a pu atteindre de l’Ukraine.

La Russie ne se réduit pas aux crimes de ce psychopathe ni aux mensonges dont sa propagande abreuve une population crédule.

La Russie est une très grande nation, héritière d’une histoire longue et riche en enseignements (dont certains douloureux). Comme toute grande nation elle existe ainsi sur deux plans : celui de sa réalité présente, instantanée et en quelque sorte photographique ; et celui, dynamique, de sa respiration et de son rayonnement historique.

Nous avons donc le droit, nous autres Français, de parler de notre Russie qui a eu tant d’influence sur notre identité et enrichi notre conception du monde. Que serions-nous si elle ne nous avait pas donné sa musique, ses livres, et avec eux le grain de folie qui, compensant les limites de notre rationalité, se marie si bien avec elle ?

Notre culture, nos valeurs ne seraient pas les mêmes si nous n’avions pas eu de contact avec la Russie. Natacha Rostova, Pavel Ivanovitch Tchitchikov, Pougatchev, le chat Berlioz, sont aussi vivants dans notre imaginaire que Tartufe, la duchesse de Guermantes et Fabrice del Dongo. Nos scientifiques se sont nourris des travaux de Lev Landau et Andreï Kolmogorov.

Cette Russie nous fait rêver. Oui, notre Russie est un rêve et la France, leur France, fait sans doute aussi rêver des Russes…

Quand on se rend sur place on découvre cependant non une réalité contraire au rêve, mais la réalité d’un rêve. La cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux, les églises du Kremlin avec leurs bulbes dorés, ne sont-elles pas un rêve réalisé ? Ne s’imposent-elles pas à une attention qui refuse de voir les parallélépipèdes de l’architecture soviétique ?

Visitant ces églises en 1978 j’ai prié l’interprète de commenter les fresques d’Andreï Roublev. Cela lui a pris du temps et a rendu furieux un de mes compagnons de voyage. Il m’a réprimandé : il aurait sans doute préféré parler de moissonneuses-batteuses, d’usines sidérurgiques, de grands chantiers et autres réalisations du régime soviétique.

Un monde en désarroi

Plusieurs facteurs contribuent à une pandémie de désarroi. L'intensité des changements apportés par l'informatisation déroute, l'imaginaire a altéré la perception du réel, un sentiment d'absurdité et d'injustice incite à la révolte et à la destruction.

Certaines personnes souffrent de ce désarroi, d'autres se laissent aller à un individualisme capricieux. Il faut oser s'affranchir du conformisme à la mode pour observer et penser la situation présente.

Pour se libérer de ce désarroi, il faut tirer ses ressorts au clair.

Un monde déroutant

Chacune des révolutions industrielles a été suivie par un épisode de désarroi : l'émergence de nouvelles formes de l'action productive déconcertait les habitudes et déstabilisait les institutions.

Que l'on pense à ce qui s'est passé au début du XIXe siècle : une population principalement rurale a migré vers les villes pour travailler dans des usines où elle a formé la classe ouvrière ; s'étant enrichie, la bourgeoisie industrielle et financière est devenue une nouvelle aristocratie ; les nations, qui avaient jusqu'alors rivalisé pour le contrôle d'un territoire, se sont combattues pour assurer leur approvisionnement en matières premières et le débouché de leur production.

La stabilité apparente du monde ayant été ébranlée, il a été difficile pour chacun de trouver ses repères alors que le contenu du travail, son organisation, la répartition des pouvoirs et des légitimités ont changé sans que toutes les conséquences de ce changement soit tirées, ce qui crée des situations absurdes. Certaines questions fondamentales deviennent alors autant d'énigmes pour les individus : « quel est le sens de mon travail ? », « quelle est ma place dans la société ? », « qui suis-je ? », etc.

Il en est de même aujourd'hui avec la révolution industrielle que provoque l'informatisation. C'est un des facteurs explicatifs du désarroi dont on a tant de témoignages. Ce n'est sans doute pas le seul facteur, car il ne pourrait pas s'exprimer si d'autres facteurs ne jouaient pas, mais c'est peut-être le facteur le plus important.

Un monde imaginaire

La puissance que l'informatique confère à l'intellect peut être dévoyée.