jeudi 24 décembre 2020

La musique de l’âme

Les Lieder de Schubert forment un monde par leur diversité, chaque Lied est un monde par sa profondeur – mais il faut que les interprètes sachent la sonder.

C’est le cas de Ian Bostridge quand il est soutenu par le piano de Julius Drake. Son interprétation vigoureuse, « cockney », embrasse la partition et se l’approprie pour lui donner la puissance expressive qui manque aux interprètes trop respectueux. C’est le cas aussi de Georg Nigl, accompagné au pianoforte par Olga Pashchenko. Leur style moins démonstratif, plus insinuant, enserre votre cœur comme avec une main délicate.

Ces Lieder évoquent, avec pudeur et sans aucune sensiblerie, ce que nos courtes vies offrent de plus émouvant : le chant des enfants, la démarche d’une jeune femme, le murmure d’un petit ruisseau (Bächlein), la sérénité du ciel étoilé, la tendresse des amours malheureuses, l’amertume de la maladie…

Il m’a fallu des dizaines d’années pour comprendre Schubert. Il ne demande pas les prouesses du virtuose mais exige de faire chanter l’instrument. Cela me confrontait à une énigme qui s’est enfin levée lorsque j’ai exploré la collection de ses danses : valses, allemandes, polonaises, marches, etc. La plupart occupent deux lignes dans la partition : un thème sur la première, une réponse sur la deuxième, et on joue l’un et l’autre plusieurs fois en les alternant à volonté. Elles se déchiffrent facilement.

Ces danses sont faites pour savourer le plaisir d’être ensemble en famille et avec des amis. On comprend que l’on a affaire à un homme généreux, très sensible et d’une créativité aussi inépuisable que le flux d’un fleuve.

Pascal a écrit « quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, car on s’attendait de voir un auteur et on trouve un homme ». Qu’il s’agisse d’écriture, de peinture, de musique, un créateur profond nous invite à partager l’universalité de la nature humaine.

Point de ces chichis à la mode, de ces contorsions de virtuose qui font se pâmer les salons, de ces cris de rage qui tiennent lieu de musique dans les boîtes de nuit ! Mais une droiture énergique qui parle à chacun de ce qu’il a de plus intime comme le font, dans d’autres domaines, les tableaux de Chardin et de Paul Klee ou les fables de La Fontaine.

dimanche 13 décembre 2020

Pour comprendre la 5G

Pour « comprendre » la 5G, il faut considérer successivement trois mondes très différents :
-- d'abord le monde des télécoms mobiles avec sa physique et l'évolution de ses techniques,
-- puis le monde des services que la 5G permettra de déployer,
-- enfin le monde des « modèles d'affaires » qu'elle va faire émerger.

Le monde de la technique

La physique des ondes

Les ondes électromagnétiques subissent un affaiblissement qui croit avec la distance au point d’émission. Elles ont été utilisées pour transporter le signal codé en morse, puis la phonie, le transport de données entre des ordinateurs, enfin la vidéo.

Une onde porteuse est modulée (en amplitude, fréquence ou phase) afin de transporter le dessin du signal (son de la voix, bit des données) qui sera reconnu par le récepteur. La modulation étale les fréquences, autour de celle de l’onde porteuse, selon une « largeur de bande » comportant les fréquences dont l’affaiblissement relatif est inférieur à 3dB.

Le transport de l’onde peut être canalisé par un câble (paire torsadée, câble coaxial, fibre optique), ce qui permet une portée supérieure à celle obtenue dans l’espace hertzien.

La sensibilité de l’oreille humaine aux ondes de pression que l’air transporte va de 15 Hz à 16 kHz ; le téléphone analogique a utilisé une bande de 300 à 3400 kHz, jugée suffisante pour garantir l’intelligibilité de la parole mais au prix d’une déformation qui rend difficile la distinction des consonnes (b et v, s et f, etc.) et interdit la diffusion musicale de bonne qualité.

jeudi 10 décembre 2020

Benjamin Cuq, Carlos Ghosn, autopsie d’un désastre, First, 2020

Ce livre écrit à la diable est un dossier à charge. J’aurais préféré qu’il fût mieux écrit et qu'il fût à décharge autant qu’à charge, comme tout dossier d’instruction devrait l’être. Mais enfin la charge est lourde et s’il lui manque le contrepoids d’une décharge, les éléments qu’elle apporte sont probants.

Carlos Ghosn y apparaît comme un homme animé par le désir de soigner une blessure intime, causée peut-être par les mésaventures judiciaires de son père. Il dit être fier de ne pas être du sérail mais cette affirmation trop répétée révèle un regret et, sans doute, un complexe d’infériorité.

Bien qu’il soit polytechnicien et passé par l’École des mines Ghosn n’appartient pas en effet au Corps des mines qui, par tradition, accueille les mieux classés des polytechniciens et forme au sein de l’appareil de l’État une toute petite élite : il n’est qu’ingénieur civil des mines, ce qui veut simplement dire qu’après l’X il a suivi les cours de l’École des mines pour acquérir une spécialité et un diplôme de plus.

Ceux, nombreux, qui ignorent cette nuance et croient, comme le fait Cuq (p . 137), que Ghosn appartient à cette petite élite, lui attribuent d’office l’intelligence supérieure que ses membres sont censés posséder. La foi dans l’estampille que procure un bon classement scolaire fait chez nous des ravages... et en l’occurrence elle est déplacée.

Ghosn, dit Cuq, n’aime que lui-même et sa famille, prolongement de sa personne. Il n’aime ni l’entreprise Renault ni la France et il déteste notre État. Ce qui l’intéresse, c’est s’affirmer, dominer, et pour cela il s’appuie sur la logique sommaire du « cost killer ». Elle lui a réussi au Japon : Nissan avait besoin d’une cure d’amaigrissement, il la lui a administrée avec une brutalité qui aurait été impossible pour un Japonais. Mais cette logique ne suffit pas à tout.