mercredi 18 décembre 2013

Grégoire Chamayou, Théorie du drone, La fabrique, 2013

Grégoire Chamayou a fait le tour des drones tueurs : données techniques, origines historiques, débats en cours, inquiétudes pour l'avenir sont passés au crible d'une analyse conceptuelle rigoureuse.

Ce travail philosophique est écrit avec une clarté dont trop de philosophes ont perdu le secret. Son compas inclut comme il se doit la diversité des disciplines que son objet concerne : le métier des armes, l'histoire, l'économie etc.

L'arme de la logique, habilement maniée, se révèle redoutable pour les faussaires car Chamayou démasque avec une indignation froide la propagande que les partisans des drones habillent d'un vernis juridique ou éthique :
  • ils disent que les drones sont une arme éthique parce qu'étant parfaitement précises elle évite donc les dégâts collatéraux. Chamayou démontre que si le tir est en effet précis, l'identification des cibles ne peut pas l'être ;
  • ils disent que les pilotes des drones souffrent comme les autres soldats du stress post-traumatique, et qu'ils méritent donc autant de compassion que ceux qui exposent leur vie au combat. Les citations que publie Chamayou évoquent plutôt l'excitation du jeu vidéo.
En fait le drone tueur est l'aboutissement de la doctrine du « zéro mort » qui implique que le soldat tue beaucoup, y compris des civils, tout en ne prenant personnellement aucun risque : il se transforme alors en bourreau et en assassin, ce qui altère durablement sa personnalité et présente pour la société le risque d'une perversion durable.

Les drones tueurs qu'utilise si volontiers Obama sont ainsi une arme à retardement contre son propre pays : ils vont le confronter à des difficultés morales, juridiques, politiques plus graves encore que celles qu'a causées Guantanamo.

mercredi 11 décembre 2013

La main et le cerveau

Je dis souvent « dans l'iconomie le cerveau d’œuvre remplace la main d’œuvre » car les tâches répétitives que la main d’œuvre exécutait naguère sont automatisées : ne restent à accomplir que celles qui, n'étant pas répétitives, demandent du discernement, de l'initiative, l'interprétation des cas particuliers etc.

Mais un ami, artisan boulanger, m'a envoyé un courrier que je condense ici :

« La main et le cerveau sont complémentaires, je l'expérimente chaque jour. Mon activité d'artisan pourrait être prise en charge par des machines. Il « suffirait » de maîtriser une série de paramètres, de disposer d'un équipement sophistiqué mais concevable et d'y implémenter mon « savoir-faire ». Cela suppose un surcoût par rapport à l’investissement que j'ai réalisé et ce n'est pas anodin sur le plan social : le contrôle de la qualité des matières premières accentuerait la pression sur l'amont (meunier, agriculteur) et renforcerait leur industrialisation, ce qui entraînerait pour eux une perte du contact avec la nature et la matière. Bref, ce serait une intellectualisation de ces activités !

« Je trouve, dans l'harmonie entre la main et le cerveau, une source de développement personnel, voire spirituel. Qu'en serait-il face à des machines ou des systèmes experts ? Souvent leurs opérateurs n'y comprennent rien : ils se limitent à obéir à des injonctions ou à faire appel à une intervention technicienne éloignée. »

Cet ami a raison. Les pianistes, les chirurgiens, les sculpteurs etc. expérimentent sûrement eux aussi la richesse de la relation entre la main et le cerveau...

Je vois d'ailleurs l'intelligence et l'esprit d'initiative dont font preuve les artisans dans nos Cévennes : électriciens, plâtriers, maçons, plombiers, menuisiers sont capables d'inventer des solutions élégantes pour équiper ou réparer nos maisons si belles, mais dont les murs de schiste sont tout de guingois.

L'expression « main d’œuvre » ne désigne donc pas ces personnes car elles relèvent en fait, comme mon ami boulanger, du « cerveau d’œuvre ». Qu'est-ce donc que la « main d’œuvre » ?

Informatiser le travail répétitif

Il est tout simple de dire, comme je le fais, qu'il convient d'informatiser les tâches répétitives, mais cela demande des précisions et certaines sont subtiles.

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Dans Les temps modernes Charlot visse à répétition un boulon dans une pièce de métal. Même s'ils défilent devant lui, il s'agit en fait toujours du même boulon et de la même pièce car aucun changement n'intervient dans leur forme ni leur position. C'est l'exemple même du travail répétitif et il a un tel pouvoir hypnotique que Charlot, halluciné, poursuit avec sa clé à molette une dame dont le tailleur porte des boutons ayant la même forme que les boulons... Assurément il aurait mieux valu que son travail fût automatisé.

Mais considérons un tout autre exemple. Un médecin reçoit des patients l'un après l'autre, ce qui présente un caractère répétitif. Son travail est-il aussi répétitif que celui de Charlot ? Non, car ce n'est pas « toujours le même patient » qui entre dans son cabinet : il ne convient donc pas d'automatiser la médecine, même si l’informatique peut l'aider...

Ces deux exemples guident vers une définition qui semble claire : il convient d'informatiser les tâches qui se répètent toujours à l'identique.

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Quelle sera cependant la cadence de « répétition » qui permet de dire qu'un travail est « répétitif » ? Nous n'hésiterons pas à qualifier ainsi celui qu'il faut exécuter à l'identique toutes les minutes, toutes les cinq minutes etc., mais nous refuserons de le faire s'il doit n'être accompli qu'une fois tous les cinq ans. Entre ces extrêmes, existe-t-il un délai en dessous duquel on peut raisonnablement dire qu'un travail est répétitif ?

lundi 9 décembre 2013

Pour une informatisation à la française

Conférence le 4 décembre 2013 à l'Ecole Polytechnique lors de la 19ème Journée nationale d’Intelligence Economique d’Entreprise

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Les industries issues de la seconde révolution industrielle, fondées sur la mécanique, la chimie et l’énergie, subissent des crises répétées alors que l’ « iconomie », basée sur la généralisation de l’informatisation, n’est en est qu’à ses balbutiements.

Comme chaque révolution industrielle la troisième, celle de l'informatisation, a transformé notre rapport à la nature et donc la nature elle-même. Dans les entreprises, en effet, l'exécution des tâches répétitives physiques ou mentales est confiée à des automates : robots dans les usines, logiciels de classement et de recherche documentaire dans les cabinets d'avocats etc. Il en résulte que le cerveau d’œuvre remplace la main d’œuvre dans le système productif : les compétences requises sont profondément modifiées.

Le cerveau d’œuvre forme avec la ressource informatique (l'automate programmable ubiquitaire que constitue l'ensemble des ordinateurs, logiciels, documents et réseaux) un alliage qui, tout comme le fit en son temps le bronze (alliage du cuivre et de l'étain) concrétise dans les faits des propriétés jusqu'alors purement potentielles. Nous nommons « iconomie » (eikon, image, et nomos, loi) la société que cet alliage fait émerger. L'alliage du cuivre et de l'étain a fait émerger l'âge du bronze à la fin du néolithique : l'alliage du cerveau humain et de l'automate programmable fait émerger aujourd'hui l'âge de l'iconomie.

Une telle émergence provoque des phénomènes économiques, psychologiques et sociologiques imprévisibles : ils prennent les institutions par surprise car elles sont déconcertées devant les possibilités et les risques que comporte l'âge de l'iconomie. La conscience des risques est obscurcie par des craintes imaginaires (« trop d'information tue l'information ») ou par la portée structurelle attribuée abusivement à un phénomène conjoncturel (« l'automatisation tue l'emploi »).

L'automatisation du système productif confère à celui-ci un caractère hypercapitalistique : la conception d'un nouveau produit suppose en effet un investissement très lourd, puisqu'elle doit comporter la conception et la programmation des automates. Il en résulte que l'iconomie est l'économie du risque maximum : un seul échec commercial peut compromettre la survie de l'entreprise. L'iconomie est donc extrêmement violente car la tentation sera forte, parfois même irrésistible, de corrompre les acheteurs et d'espionner les concurrents. Dans ce monde-là il faut savoir se protéger et s'informer : l'intelligence économique s'impose.

samedi 7 décembre 2013

Le Big Bang de l'informatisation

(Exposé lors du séminaire d'intelligence économique à la préfecture de Paris le 26 novembre 2013)

Un Big Bang a fait surgir un nouveau monde. Ce Big Bang, c'est 1975 avec le début de l'informatisation.

Elle a transformé la nature : l'Internet a supprimé nombre des effets de la distance géographique, il n'est pas pour rien dans la mondialisation, mais l'effet le plus profond est ailleurs : toutes les tâches répétitives que demande la production ont vocation à être automatisées.

La main d’œuvre disparaît des usines et elle est remplacée dans les entreprises par un cerveau d’œuvre : elles lui demandent d'accomplir les travaux qui n'étant pas répétitifs demandent du discernement, du jugement, de l'initiative.

La mécanisation avait fait surgir l'alliage, si l'on peut dire, de la main d’œuvre et de la machine. Un nouvel alliage surgit avec l'informatisation : celui du cerveau d’œuvre et de l'automate programmable ubiquitaire, mondial, où réside la ressource informatique.

C'est cela qui transforme vraiment la nature. L'apparition d'un nouvel alliage fait en effet exister réellement un être qui jusqu'alors était seulement potentiel. Si l'on rencontre dans la nature vierge des gisements de cuivre et des gisements d'étain, on n'y trouve pas de bronze : pour inaugurer l'âge du bronze, il a fallu les recherches de quelques sorciers.

De même, l'alliage du cerveau humain et de l'automate programmable fait exister dans la nature un être nouveau, qui la transforme. Il nous fait entrer dans un âge nouveau, l'âge de l'iconomie : nous avons forgé ce mot à partir d'eikon (image) et nomos (loi, usage).

dimanche 10 novembre 2013

Vocabulaire de l'âge de l'iconomie

« L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite »
(Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 1789).

La troisième révolution industrielle, celle de l'informatisation, a transformé la nature : nous vivons sur une autre planète que celle qui existait avant 1975. Pour s'orienter sur cette planète il faut une carte et des repères. Or les cartes familières dont nous disposons – concepts, raisonnements, priorités – datent pour l'essentiel du monde d'avant et les repères qu'offre le vocabulaire sont souvent fallacieux.

Il ne convient pas de dire que l'usage a force de loi car il se peut qu'il soit erroné : la qualité du vocabulaire, comme celle d'un bâtiment, ne peut se maintenir que si l'on intervient pour corriger les défauts que cause l'évolution naturelle des choses. Ceux qui voudraient que l'usage s'imposât ne tiennent pas assez compte des images que les connotations éveillent, de l'orientation qu'elles imposent à l'intuition, des portes qu'elles ouvrent ou ferment à la compréhension.

Le mot « industrie » en donne un exemple. Son sens originel, qui est « habileté à faire quelque chose » (Littré), perdure dans l'adjectif « industrieux ». Mais au début du XIXe siècle « industrie » s'est trouvé associé à la mécanique et à la chimie, qui étaient alors les techniques les plus efficaces : il porte aujourd'hui encore les connotations d'engrenage, de cheminée d'usine et de tour de distillation qui se sont alors collées à lui.

Quand on dit qu'il faut « réindustrialiser la France », à quelle « industrie » pense-t-on donc : à celle qu'évoquent les connotations ci-dessus ou à celle, fidèle au sens originel du mot, qui désigne l'ingéniosité dans l'action productive ? Les priorités seront différentes selon que l'on pense à l'une ou à l'autre et il en résulte que ceux qui prononcent la même phrase ne seront plus d'accord quand il faut agir.

mardi 5 novembre 2013

Il ne faut pas se tromper de révolution

Jeremy Rifkin fait un tabac dans le Nord-Pas-de-Calais : il « invente un avenir au Nord pour 200 milliards d'euros » (La Croix, 25 octobre 2013) ; « il veut faire du Nord la région pilote de la transition énergétique d'ici à 2050 » (Le Monde, 25 octobre 2013) ; « son charisme embarque les forces vives du Nord-Pas-de-Calais » (La gazette des communes, 29 octobre 2013). On peut trouver avec Google d'autres articles et composer toute une revue de presse.

Il s'agit d'appliquer dans le Nord-Pas-de-Calais une stratégie qui réponde à la « troisième révolution industrielle » telle qu'il l'a décrite dans son livre éponyme.

Mais Rifkin se trompe de révolution : il la croit causée par la transition énergétique alors qu'elle est causée par l'informatisation. En écoutant ses conseils le Nord-Pas-de-Calais se trompe donc lui aussi. Les budgets seront dépensés en vain et le réveil sera douloureux.

mercredi 30 octobre 2013

Le génie des langues

Chaque langue possède un génie propre, chacune offre un terrain favorable à des idées, façons de voir le monde, savoir vivre et savoir faire particuliers : les génies respectifs du français, de l'anglais, de l'allemand, de l'espagnol, de l'italien, de l'arabe, de l'hébreu, du russe, du chinois etc. diffèrent tous les uns des autres.

Au lycée le génie du français m'accaparait (à cet âge-là on comprend mal ce qui se passe dans sa propre tête) : voulant savoir comment s'y prenaient les écrivains que je lisais avec tant de plaisir, je cherchais assidûment les secrets du beau langage.

Cette recherche me rendait étanche aux langues étrangères. J'étais notamment rétif aux déclinaisons : quel sens peuvent avoir, me disais-je, ces accusatifs, génitifs, datifs etc. dont le français se passe si bien ? Il me semblait que les profs, partageant le projet pédagogique de la Zazie de Queneau, les avaient inventés pour « faire chier les mômes ».

Lors d'un voyage scolaire en Allemagne j'ai pourtant entendu un bambin dire à sa grand-mère « Es ist mir egal ». Ce tout petit utilisait le datif, la déclinaison était donc naturelle ! La porte de l'allemand s'ouvrant soudain, je me suis passionné pour cette langue puis pour quelques autres.

mardi 29 octobre 2013

François Géré, Iran, l'état de crise, Karthala, 2010

Quand ce livre a été publié, le président de l'Iran s'appelait Ahmadinejad et le risque de guerre était présent dans les esprits.

Depuis, l'ambiance a heureusement quelque peu changé. Pour l'essentiel ce livre reste pourtant à jour et sa lecture est utile : il est écrit dans l'esprit de cette science diplomatique qui s'efforce, avant toute chose, de comprendre l'autre pour deviner ses intentions et motivations les plus profondes.

L’Iran est donc décrit dans sa complexité avec les conflits qui opposent les composantes du pouvoir islamique – guide suprême, président, parlement, gardiens de la révolution – et les orientations qui partagent sa population : la part urbaine, jeune et éduquée, se distingue de la part rurale traditionnelle, et plusieurs ethnies se sentent sœurs de populations étrangères.

On ne peut donc rien comprendre à ce pays, notamment à ses ambitions dans le nucléaire, si on se le représente comme un monolithe et si on le résume aux déclarations intempestives d'Ahmadinejad.

Bien que ces déclarations concernent la politique étrangère elles ne peuvent se comprendre que si l'on est attentif aux impératifs la politique intérieure – il en est d'ailleurs de même des déclarations guerrières tout aussi intempestives de Netanyahou.

dimanche 27 octobre 2013

Philosophie de l'action et langage de l'informatique (vidéos)

L'informatisation est un big bang qui fait émerger une nouvelle nature. Pour s'y orienter il faut disposer du modèle d'une économie efficace et de la société dans cette nature : nous l'appelons iconomie. Les tâches répétitives sont automatisées, la main d'oeuvre a fait place au cerveau d'oeuvre, un éventail de conséquences anthropologiques en résulte. L'héritage historique de notre République invite à concevoir une « informatisation à la française ».

Jean Philippe Déranlot a mis en ligne sur sa chaîne YouTube efficaciTIC deux versions vidéos de la conférence aux jeudis de l’imaginaire le 26 septembre 2013 à Telecom ParisTech (on peut lire aussi le texte écrit de la conférence).

Compilation « iconomie » (24’13’’) : extraits classés selon les principaux thèmes de l'intervention :



Version intégrale (hors questions et réponses) (1H17’41’’) :

La SNCF et le mythe du « numérique »

Guillaume Pepy a réuni le 12 septembre dernier 5 000 cadres de la SNCF pour présenter son plan stratégique « excellence 2020 » (Jacques Secondi, « SNCF contre Google », Le nouvel économiste, 17 octobre 2013).

S'agit-il de renforcer la qualité des voies et de la signalisation ? d'améliorer le confort et la ponctualité des trains ? d'en finir avec le déclin du transport du fret ? Nenni : il s'agit de « rivaliser avec Google » en exploitant les données que collecte voyage-sncf.com pour proposer au voyageur des solutions « porte à porte » assemblant train, bus, vélo, voiture en auto-partage et covoiturage de façon à répondre au mieux à ses besoins en termes de prix, disponibilité et confort. Pourquoi pas, en effet ? C'est une idée banale.

voyage-sncf.com pourra-t-il vraiment rivaliser avec Google pour inférer les besoins des clients à partir des données collectées ? La question n'est sans doute pas là : il s'agit plutôt de montrer que l'on est dans le coup, dans le « numérique », et donc capable d'accéder à la stratosphère de la « stratégie » en s'élevant bien au-dessus du terre-à-terre de l'entreprise.

Malheureusement la stratosphère est stérile, fût-elle « numérique » : l'expérience enseigne que toute stratégie efficace s'enracine dans l'humus du terrain, dans la connaissance approfondie des techniques, dans l'écoute des personnes.

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Voici un fait qui révèle à lui seul que la SNCF s'oriente au rebours de l'efficacité : dans les petites gares, la vente des billets de train est désormais interdite les samedis et les dimanches.

lundi 21 octobre 2013

Pascal Manoury, Programmation de droite à gauche et vice-versa, Paracamplus, 2012

Ce livre est la version écrite d'un cours sur la programmation à l'université : il est donc destiné à des personnes qui, ayant déjà programmé, veulent voir plus clair dans cette discipline.

Il y convient merveilleusement. Le texte est sobre et d'une parfaite élégance, quelques coquilles mises à part. Lorsqu'il le faut, l'auteur donne des indications pratiques que d'autres, bien à tort, croient trop évidentes : c'est le signe d'une intelligente modestie et d'un grand art de la pédagogie.

Je n'avais jamais rien lu d'aussi limpide sur les listes et les tableaux, les exceptions, les entrées et sorties, les graphes etc.

Les erreurs les plus courantes, signalées en passant, sont généreusement attribuées au « programmeur inattentif » : l'adjectif est plus bienveillant que ceux que l'on s'attribue lorsque l'on est tombé dans l'une d'entre elles.

La densité du texte fatigue cependant vite : on arrive parfois à lire un chapitre entier du premier coup mais on ne va pas plus loin. Puis on relit en savourant l'exactitude du langage : certaines phrases se gravent alors dans la mémoire. Enfin on reprend le livre pour le seul plaisir de le lire en communiant avec l'auteur dans le goût de la clarté d'esprit.

Je regrette que les programmes cités aient été composés en OCAML : ce langage a sans doute des vertus mais ses notations sont laides. La lecture aurait sans doute été plus agréable s'ils avaient été écrits en Scheme.

Nota Bene : ce livre a été signalé par Laurent Bloch. Lorsque je l'ai cherché il était indisponible sur Amazon.fr comme chez l'éditeur. J'ai fini par le trouver chez Le Monde en Tique, où je suppose qu'il doit en rester quelques exemplaires. Si ce commentaire vous donne envie de le lire, dépêchez vous !

dimanche 13 octobre 2013

Il faut penser à l'iconomie

(Article destiné à la revue d'intelligence économique de Bercy, IE Bercy).

Nous nommons « iconomie » le modèle d'une économie efficace dans le contexte de la troisième révolution industrielle, celle de l'informatisation que certains qualifient de « numérique ». N'est-il pas préférable, dira-t-on, de se focaliser sur l'économie actuelle, meurtrie par la crise ? Sans doute, mais comment sortir de la crise si l'on ne sait pas où aller ?

Le fait est que l’informatisation a changé la nature : sans elle le transport par containers n'aurait pas pu se développer, et l'Internet a effacé nombre des effets de la distance géographique. Dans les entreprises le changement est déjà manifeste. Les tâches répétitives physiques et mentales étant automatisées, la main d’œuvre est remplacée par le cerveau d’œuvre. Les produits, diversifiés, sont des assemblages de biens et de services élaborés par un réseau de partenaires, l’informatisation assurant et la cohésion de l'assemblage, et l'interopérabilité du partenariat. La concurrence est mondiale et violente, les risques sont élevés : chaque entreprise doit conquérir un monopole sur un segment des besoins puis le renouveler par l'innovation.

Tout comme l'alliage du cuivre et de l'étain a fait émerger l'âge du bronze, l'alliage du cerveau d’œuvre et de l'« automate programmable ubiquitaire » qu'est devenu l'ordinateur fait ainsi émerger l'iconomie. Ce n'est pas sans risques : la Banque n'aurait pas cédé aux mêmes tentations si l'informatisation ne lui avait pas fourni de puissants moyens.

Placer l'iconomie à l'horizon oriente la politique économique. La transition énergétique se prépare dans la nouvelle nature, la lutte contre le chômage considère les emplois offerts au cerveau d’œuvre, la concurrence parfaite n'est plus la règle d'or. En 1812 la priorité de Napoléon, révèle Caulaincourt, était d'industrialiser, c'est-à-dire alors de mécaniser. Industrialiser, aujourd'hui, c'est informatiser.

L'émergence de l'iconomie est aussi un phénomène anthropologique dans la psychologie, la sociologie, la pensée etc. Pour libérer en France le potentiel du cerveau d’œuvre, nous devrons en particulier cesser de sacraliser le pouvoir et la hiérarchie : ce renversement de l'échelle des valeurs est sans doute pour nous l'obstacle le plus difficile sur le chemin de l'iconomie.

Michel Volle
Co-président de l'institut Xerfi

Un DESU sur l'iconomie en 2014

Claude Rochet (Université Aix-Marseille) et Yannick Meiller (ESCP) organisent un diplôme d'études supérieures universitaires intitulé "Intelligence du développement dans l'économie numérique". Il s'adresse à des professionnels et aussi à des étudiants titulaires d'un Master II ou le préparant.

Conditions pratiques


Les cours sont dispensés sur trois jours une fois par mois pendant dix mois (du jeudi au samedi).
Ils ont lieu pour l'essentiel à Aix, quatre d'entre eux étant délocalisés (Estonie, Suisse, Maroc, Paris).
Entre les cours le travail se fait en réseau par groupe de quatre.
Au total, cela représente 160 heures de cours présentiel et 250 heures de travail en ligne.
Le DESU se conclut par la soutenance d'un mémoire.
Une note (coefficient 1) est donnée après chaque cours ainsi qu'après la soutenance du mémoire (coefficient 5).

Tarification


Il est prévu d'accueillir de huit (minimum) à seize (maximum) participants.
Le prix de la participation est de 6000 € pour un étudiant, 16 000 € pour un professionnel.
Des conditions financières particulières sont envisageables pour les étudiants venant d'un pays émergent.

jeudi 10 octobre 2013

Petit dictionnaire Correct - Français et Français - Correct

La langue française évolue vers toujours plus de correction : au langage « politiquement correct », qui féminise les termes dont la neutralité masque mal la masculinité et qui substitue une périphrase à tout terme risquant d'être désobligeant, s'ajoutent le « médiatiquement correct » qui, pour les souligner, complique les expressions trop simples, et le « populairement correct » qui permet à des bourgeois adultes de parler comme les « jeunes » et d'éviter ainsi la réprobation qui s'attache à leur âge et à leur classe sociale.

Le « oui » français, par exemple, se traduit de plusieurs façons en langage correct : « ouais » en populairement correct, « absolument », « tout-à-fait » ou « complètement » en médiatiquement correct. La correction allonge d'abord, puis raccourcit les expressions : « que fais-tu ? » est remplacé par « qu'est-ce que tu fais ? » qui fait place à « qu'est-ce tu fais ? » ; le modeste « masseur » devient le prestigieux « kinésithérapeute » avant de revenir à la modestie avec « kiné ».

Un mot nouveau ou savant est entouré de connotations ambiguës mais qui suffisent à le distinguer du mot courant : en dépit de l'étymologie l'« anorexie » diffère du manque d'appétit ; le « kinésithérapeute » est autre que le masseur, le « technicien de surface » est plus que balayeur, le « professeur des écoles » se distingue de l'instituteur, l'« établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes » n'est pas exactement la maison de retraite, la « technologie » est bien plus que la technique, le « mis en examen » n'est pas l'inculpé, le « présumé » n'est pas l'accusé, etc.

L'écoute de la radio et des conversations dans les transports en commun permet de récolter des expressions correctes. Un dictionnaire est opportun car comme chacun n'est pas également avancé dans la correction la compréhension est parfois difficile : la partie Correct – Français de ce petit dictionnaire comblera cette lacune. Pour chaque terme, un symbole indiquera de quelle correction il s'agit : « P » pour politico-administrative, « m » pour médiatique, « p » pour populaire.

La partie Français – Correct du dictionnaire aidera chacun à s'exprimer dans l'un ou l'autre des langages corrects selon les lieux, moments et interlocuteurs, complétant ainsi les apports de l'instinct par ceux, plus systématiques, de la science. Cette partie sera donc divisée en trois sous-parties consacrées chacune à une forme de correction.

Il sera ainsi possible de corriger l'excès de clarté, de simplicité et d'élégance dont souffre la langue française.

Nota Bene : cette ébauche de dictionnaire est indéfiniment perfectible : toutes les contributions sont bienvenues.

mardi 8 octobre 2013

Voyage au pays des programmeurs

(En anglais : Travel in the country of Programming)

J'ai une mauvaise habitude : lorsque je fais quelque chose, je consacre une moitié de mon attention à observer l'action en cours. Cela m'a valu un classement lamentable lors d'un de ces tests qui estiment l'intelligence selon la rapidité des réponses.

Disposant en août d'un peu de temps libre je me suis remis à la programmation et ça m'a permis de faire sur moi-même quelques observations. Il est bon de garder en mémoire ces épisodes où l'on piétine (voir mon apprentissage à LaTeX), cela permet d'éviter de faire plusieurs fois la même erreur.

Les lecteurs expérimentés vont me trouver ridicule car je ne suis ni un programmeur de métier ni même un bon programmeur, mais tant pis. Ceux qui croient que la programmation est une activité ancillaire vont cesser de me lire s'ils m'ont jamais lu, mais tant pis.

samedi 28 septembre 2013

Introduire le système d'information dans l'enseignement de l'informatique

A la suite de ma critique du rapport de l'Académie des sciences sur l'enseignement de l'informatique, Gilles Dowek m'a adressé un message dont j'extrais un passage (25 juin 2013) :

As-tu avancé sur un texte contenant une esquisse d'éléments de programme autour des SI que nous puissions proposer à l'Inspection Générale ?

Il faudrait trois paragraphes :

(1) pourquoi il est important que les élèves aient entendu parler de SI,
(2) les concepts, contenus, connaissances, ... qu'il faudrait leur transmettre,
(3) les activités à leur proposer (trois ou quatre exercices typiques).


Voici ma réponse (27 juin 2013) :

(1) pourquoi il est important que les élèves aient entendu parler du Système d'information

La conception et la mise en œuvre d'un SI initient au caractère collectif de l'action productive dans les entreprises et, de façon générale, dans les institutions.
C'est un sport intellectuel et pratique complet : la programmation informatique confronte aux exigences de la logique auxquelles s'ajoutent celles, physiques, de l'ordinateur et du réseau ; l'interaction avec les êtres humains confronte aux ressorts sociologiques et psychologiques de leur comportement.
Ce "sport" invite à mettre en œuvre les connaissances en programmation et en algorithmique qu'apporte le cours d'informatique.
Il procure à la science informatique, comme le font les "travaux pratiques" en physique, le caractère expérimental sans lequel elle courrait le risque d'être dogmatique.

jeudi 19 septembre 2013

Pouvoir et agir

J'ai travaillé quelque temps dans un cabinet ministériel. « Untel, c'est un politique », disait-on avec admiration au secrétariat du ministre, et le regard qui accompagnait cette phrase signifiait « toi, en tout cas, tu n'en es pas un ». J'ai donc observé ces politiques avec attention. J'ai vu que s'ils possèdent des talents qui me font en effet défaut ils souffrent aussi souvent de quelques lacunes.

Comme je refuse la sacralisation du pouvoir qu'implique le mot « hiérarchie », je n'accorde à ces personnes que le respect qui est dû à tout être humain. J'admire certes celles qui remplissent sérieusement leur mission, mais ni plus ni moins que les artisans, ingénieurs, médecins etc. qui font bien leur métier.

Mais la plupart des politiques que j'ai observés répondent au portrait que voici :

Ce sont des êtres vigilants et vifs, capables d'anéantir d'une repartie foudroyante l'interlocuteur imprudent. Les plus expérimentés d'entre eux (un Defferre, un Pasqua) se meuvent avec un naturel animal dont l'esthétique n'est pas sans charme.

Ils vivent dans le monde psychosocial que structurent les pôles et réseaux de l'autorité, de la légitimité et de l'influence. Par contre le monde des choses, qui sont pour l'intention humaine appui ou obstacle, ne les intéresse pas : ils n'ont sans doute jamais soulevé un sac de ciment, jamais senti le poids de la terre en maniant la pelle et la pioche, jamais rencontré les obstacles qui s'opposent à un programmeur. Ils estiment que les choses n'ont pas à manifester une existence autonome. Un stylo qui se refuse à fonctionner est immédiatement jeté, un ordinateur indocile les exaspère.

dimanche 15 septembre 2013

Philosophie de l'action et langage de l'informatique

Texte de la conférence du 26 septembre 2013 à l'ENST dans le cadre des « Jeudis de l'imaginaire ».

*     *

Évolution historique de la nature

L'histoire fournit d'utiles comparaisons pour comprendre ce qui nous arrive à travers l'informatisation. Bertrand Gille1 a produit une théorie des systèmes techniques qui découpe l'histoire en périodes caractérisées chacune par la synergie de quelques techniques fondamentales.

Ainsi la synergie entre la mécanique et la chimie est vers 1775 à l'origine de la première révolution industrielle ; la deuxième est provoquée vers 1875 en complétant la mécanique et la chimie par une synergie avec l'énergie ; la troisième, vers 1975, résulte de la synergie entre la microélectronique, le logiciel et l'Internet.

Certains historiens ont taxé Gille de « technicisme » : on encourt inévitablement ce reproche quand on s'intéresse à la technique, car comme l'a dit Gilbert Simondon2 notre culture est prisonnière des schèmes mentaux d'une société qui n'existe plus : notre littérature se focalise sur les dimensions psycho-sociologiques de l'existence humaine et la culture ainsi mutilée ignore le rapport entre la société humaine et le milieu naturel, ce rapport que la technique transforme et aménage (voir aussi Ellis3).

samedi 24 août 2013

Pour une véritable stratégie

La troisième révolution industrielle a fait émerger une économie et une société qui diffèrent de l'économie et de la société antérieures, issues de la deuxième révolution industrielle. Nombre des décisions de politique économique et d'organisation, prisonnières d'un modèle obsolète, vont au rebours de l'efficacité : le mort saisit le vif1.

*     *

Une stratégie ne peut être efficace que si elle s'appuie sur une connaissance exacte du terrain offert à l'action ainsi que des moyens dont celle-ci dispose : même subtil, un discours stratégique qui ignore ce que fait émerger la troisième révolution industrielle sera inévitablement non pertinent.

Cette ignorance est, pour des raisons à la fois sociologiques et intellectuelles, solidement ancrée parmi les personnes qui occupent une fonction stratégique. Le mot « numérique », terriblement ambigu, leur sert d'alibi pour refuser de voir que la troisième révolution industrielle est celle de l'informatisation : elles méprisent en effet l'informatique et craignent par dessus tout le reproche de technicisme.

Par ailleurs les économistes, dont certains conseillent ces stratèges, refusent de voir que l'informatisation généralise les rendements d'échelle croissants, ce qui introduit dans l'économie une transformation radicale. Ils ne croient pas en effet possible de rattacher à une cause aussi « simple » l'éventail de phénomènes si divers qui en résulte - d'autant moins possible que cette « simplicité » risque d'ôter à leur spécialité une part de son mystère et, peut-être, de son prestige.

Il en résulte que la stratégie s'égare dans des impasses. La transition énergétique, certes nécessaire, ne devrait cependant pas occuper un tel rang dans les priorités. L'attention accordée au « secteur du numérique », certes important, cache que l'enjeu fondamental, beaucoup plus large, réside dans l'informatisation des institutions et notamment des entreprises.

vendredi 23 août 2013

Tout ne va pas si bien que ça en Allemagne

Le premier de la classe est toujours détesté lorsqu'il s'enorgueillit des éloges des professeurs et se montre condescendant envers les autres élèves, qui le qualifient alors de fayot et de lèche-cul. Pour pouvoir être estimé il faut qu'il n'accorde aucune importance aux bonnes notes, qu'il soit bienveillant envers ses camarades et sache les aider à l'occasion.

L'hostilité envers l'Allemagne, si répandue, s'explique par ce phénomène. Notre presse y contribue en renforçant l'image d'un pays qui réussit (erfolgreich), où tout le monde est sérieux (ernst), honnête (ehrlich), travailleur (fleissig) et où des entreprises efficaces (wirksam) ne fabriquent que des produits fiables (zuverlässig)...

Mais il nous est impossible, à nous autres Français, d'éprouver de la tendresse pour un pays qui n'a aucun défaut. Pour que l'Allemagne nous semble aimable il faut qu'elle connaisse elle aussi la maladresse, la malhonnêteté, le manque de sérieux...

Or c'est le cas ! Pour s'en convaincre, il suffit de lire par exemple Der Spiegel. Certes les journalistes parlent plus volontiers de ce qui va mal que de ce qui va bien, mais on fait en les lisant une récolte impressionnante : certaines entreprises allemandes ne sont pas wirksam, leurs succès à l'exportation s'expliquent autant par la corruption (Bestechung) que par la Zuverlässigkeit de leurs produits, des personnalités éminentes n'ont dû leur titre de Doktor qu'au plagiat, nombre de leurs banques tournent le dos au bien commun...

Ainsi les Allemands ne sont pas des surhommes (Übermensch) comme nous semblons le penser et comme ils sont parfois tentés de le croire, mais des êtres humains aussi imparfaits que nous pouvons l'être et avec lesquels il nous est donc possible d'avoir des rapports chaleureux et cordiaux. Prosit !

mardi 13 août 2013

Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 2012

Simondon est un philosophe sérieux. Son écriture, qui suit le cours d'une pensée exploratoire, est rugueuse et parfois répétitive. Il faut s'y reprendre à plusieurs fois pour le lire : on ne peut absorber utilement que quelques dizaines de pages par jour, après quoi il faut prendre le temps de la réflexion.

Cela en vaut la peine. Une fois le livre terminé et annoté on se promet d'y revenir car Simondon a été beaucoup plus loin, plus profond que tous les autres. Je vais tenter de condenser ici ce que je retiens après cette première lecture.

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Parmi les objets techniques Simondon distingue les outils qui prolongent l'action du corps humain des instruments qui affinent ou complètent sa perception. Il distingue encore les éléments techniques, qui sont comme des organes ; les individus techniques, machines qui composent divers éléments en vue d'une action ; enfin des ensembles techniques, qui associent plusieurs individus techniques (l'usine en est un exemple).

L'objet technique est d'autant plus concret que les éléments qu'il comporte entretiennent une synergie plus poussée : ainsi dans un moteur de motocyclette les ailettes qui assurent le refroidissement contribuent à la solidité du carter. Le perfectionnement d'un objet technique progresse vers une concrétisation toujours accrue.

lundi 12 août 2013

Bulletin municipal de Sénéchas, juillet 2013

Le nouveau Bulletin municipal de Sénéchas vient de sortir (pour en savoir plus sur Sénéchas, cliquer ici).

Vous pouvez le télécharger au format pdf (307 Ko) en cliquant sur le lien suivant : Bulletin municipal de Sénéchas, juillet 2013.

Vous verrez que la vie culturelle est active dans cette commune de 246 habitants - auxquels s'ajoutent un grand nombre de vacanciers durant l'été.

Si notre commune éveille votre curiosité, voici des liens pour consulter les numéros précédents du Bulletin :

- Bulletin municipal de Sénéchas, juillet 2012 ;

- Bulletin municipal de Sénéchas, juin 2011 ;

- Bulletin municipal de Sénéchas, juin 2010 ;

- Bulletin municipal de Sénéchas, mai 2009 ;

- Bulletin municipal de Sénéchas, août 2008.

lundi 5 août 2013

Pavel Soudoplatov, Missions spéciales, Seuil 1994


Lire ce livre, c'est faire un voyage mental dans la Russie de Staline.

Pavel Soudoplatov a été directeur des « missions spéciales », service du NKVD chargé des sabotages, espionnages, assassinats et enlèvements hors des frontières dont Staline avait donné l'ordre. Il a notamment organisé l'assassinat de Trotsky, dirigé la lutte des partisans contre l'occupant nazi, monté le réseau qui a espionné les travaux américains en vue de la bombe atomique.

Il n'avait pas d'états d'âme : même en temps de paix l'URSS se considérait comme une nation en guerre. Assassiner ceux que Staline jugeait dangereux, c'était donc une action militaire qu'il lui fallait accomplir en soldat en utilisant les techniques et l'organisation les plus rigoureuses : pour ceux que cela intéresse, certains passages de ce livre constituent un véritable manuel.

samedi 3 août 2013

Michel Serres, Petite poucette, Le Pommier 2012

Michel Serres regarde, avec la sympathie émue du grand-père, une « petite poucette » jouer en virtuose avec le clavier de son téléphone « intelligent ». C'est un grand-père à la page : toutes les nouveautés lui sourient, les apports du Web l'enthousiasment.

Il se met ainsi dans une position inexpugnable. Qui en effet peut oser dire aujourd’hui que les enfants ne possèdent pas la sagesse innée ? que grand-père devrait réfléchir à deux fois plutôt que s'extasier, car il convient de faire un tri parmi des nouveautés dont certaines sont dangereuses ?

N'y a-t-il pas d'ailleurs quelque chose de puéril dans cet émerveillement sénile ? Alors qu'il faut un long apprentissage pour savoir jouer du violon, chacun peut produire une musique agréable avec sa chaîne Hi-Fi : mais le violoniste débutant est plus authentique, dans son effort vers la musicalité, que quelqu'un qui tourne un bouton. Je crains que la « petite poussette » qui impressionne tant son grand-père ne nous invite à rester au stade du presse-bouton.

vendredi 26 juillet 2013

Aux abonnés qui ne reçoivent pas les "nouvelles de volle.com"

Beaucoup de mes abonnés ne reçoivent pas les "nouvelles de volle.com" : les filtres anti-spam font du zèle. J'ai reçu de "Mail Delivery System" plus de 200 messages ayant pour titre "Undelivered Mail Returned to Sender" et contenant une phrase quelque peu désobligeante : "554 Your access to this mail system has been rejected due to the sending MTA's poor reputation. If you believe that this failure is in error, please contact the intended recipient via alternate means."

J'écris aux gestionnaires de bases de données anti-spam pour protester : les lettres que j'envoie à mes abonnés ne sont pas du spam.

Certains demandent de l'argent pour ôter mon adresse IP de leur liste d'exclusion ! C'est une nouvelle forme de racket...

Par contre je ne peux rien faire contre les filtres installés dans les entreprises.

Si vous n'avez pas reçu les dernières "nouvelles", datées du jeudi 25 juillet 2013, la solution est de faire savoir à la personne qui administre la messagerie de votre entreprise qu'il ne convient pas de refouler mes envois.

Bon courage !

samedi 20 juillet 2013

L'imbécillité de l'intelligence

In English : "The stupidity of intelligence".

A la suite de l'affaire Snowden Le Monde a publié un article éclairant (Aymeric Janier, « Keith Alexander, le « pacha » de la NSA », Le Monde, 15 juillet 2013).

37 000 employés, un budget de l'ordre de 10 milliards de dollars, des moyens informatiques ultra-puissants, l'ambition de « tout intercepter sur tout, partout »... On devine dans le propos d'Alexander un délire bureaucratique : qui pourrait lui refuser toujours plus de budget, de puissance de calcul, de collecte, après le 11 septembre 2001, après que se soit répandue cette crainte obsessionnelle qui est la victoire des terroristes ?

Mais le renseignement, que les Anglo-saxons appellent « intelligence », s'appuie toujours sur un arbitrage entre l'observation et l'interprétation – ou, dans le langage des professionnels, entre la collecte et l'analyse. Collecter le maximum de faits ne sert à rien si l'on ne sait pas les interpréter, et les compétences nécessaires pour l'analyse diffèrent de celles qui servent à la collecte et au traitement des données.

vendredi 19 juillet 2013

Conférence le 26 septembre 2013

Les lecteurs de volle.com sont cordialement invités !
(attention : le nombre des places est limité...)



jeudi 18 juillet 2013

Comment lutter efficacement contre le terrorisme ?

Le but du terroriste est de terroriser une population, de la démoraliser, de déstabiliser ses institutions. En regard de ce but, les attentats qui tuent et qui blessent ne sont qu'un moyen.

Lorsqu'une population réagit à des attentats par la peur panique, elle donne la victoire aux terroristes. Lorsque l'Etat multiplie les mesures de "sécurité" qui aggravent encore la panique, il cède aux terroristes.

Une population, un Etat, sont victorieux lorsque les attentats les laissent impassibles, lorsque les médias n'en parlent pas. Le message alors envoyé aux terroristes est clair : vous ne parviendrez jamais à nous terroriser !

On dira que cette sagesse est impossible, tant les attentats sont odieux, tant le spectacle des corps mutilés est insupportable.

Mais pourquoi les médias montrent-ils les victimes du terrorisme, qui se chiffrent en quelques personnes par an, et non celles des accidents de la route (3 645morts, 37 337 blessés en 2012), du tabac (73 000 morts), de l'alcool (33 000 morts) ?

Si l'on avait le sens des proportions, on traiterait l'attentat terroriste comme un accident grave, on s'occuperait évidemment des victimes et de leurs familles. Il reviendrait à la police et aux services de renseignement d'identifier les auteurs, aux services spéciaux de les punir, mais on se garderait d'éveiller les émotions de la population.

Le but du terroriste est d'ailleurs de pousser l'Etat qu'il vise à sur-réagir. La "guerre contre le terrorisme" lancée par George W. Bush a ainsi conduit l'Amérique à faire une guerre lamentable en Irak, à s'enliser en Afghanistan, à se déshonorer en torturant des prisonniers, à violer ses propres lois et l'humanité à Guantanamo, à sombrer dans la paranoïa qui la pousse à espionner ses citoyens et le monde entier.

C'est ainsi que l'on donne la victoire au terroriste, c'est ainsi que l'on perd la "guerre contre le terrorisme".

lundi 15 juillet 2013

Retour à la statistique

Introduction

J'ai étudié et pratiqué la statistique de 1965 à 1978 puis je me suis tourné vers la science économique : même si de temps à autre il m'est arrivé de regarder des statistiques, ce n'était plus mon activité principale.

Je souhaite pouvoir ancrer de nouveau mon raisonnement dans le constat des faits : je vais donc me remettre à la statistique. Il me faut des outils puissants car compulser de volumineux tableaux de nombres pour les étudier à la main prendrait trop de temps. Je dois donc utiliser l'analyse des données.

Des logiciels existent pour cela (SAS etc.) mais je me méfie du logiciel en boîte, qui fait on ne sait comment des choses mystérieuses. Je vais donc commencer par écrire les programmes d'analyse des données, relançant ainsi le projet open source ANDON longtemps laissé en sommeil.

Les programmes que je publie en annexe sont proposés aux lecteurs de volle.com qui, conformément aux règles du logiciel libre, pourront si cela les intéresse les utiliser et les transformer à leur guise à la seule condition d'en indiquer la source.

jeudi 6 juin 2013

L'iconomie pour les Décideurs

Source : Entretien avec le magazine Décideurs, 15 mai 2013.

« Les tâches répétitives, physiques comme intellectuelles, ont vocation à être automatisées »

Décideurs. La désindustrialisation s’est imposée comme un sujet de préoccupation majeur dans le débat public français. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Michel Volle. Nous traversons une période de mutations profondes, et la disparition progressive de l’industrie en France ne se comprend que dans le temps long. Ce cycle débute au milieu des années 1970, au moment où le choc pétrolier introduit une volatilité nouvelle dans le prix des matières premières. Cet événement change la donne pour les États comme pour les entreprises, qui voient leurs modèles économiques remis en question. L’un des principaux moteurs de la croissance des années précédentes est cassé. En 1975, le secteur secondaire est à son apogée en termes d’emploi : à l’époque, environ 40 % de la population active travaille dans l’industrie. Nous ne retrouverons jamais ce niveau. Parallèlement, un autre bouleversement majeur est à l’œuvre : l’informatisation. Il s’agit véritablement d’une troisième révolution industrielle, qui implique le déploiement de systèmes d’organisation complètement nouveaux. Et cette transition est loin d’être terminée ! Malgré la massification rapide de l’Internet, nous n’avons parcouru que la moitié du chemin. Ce qui explique notre sentiment de confusion : les industries issues de la seconde révolution industrielle, fondées sur la mécanique, la chimie et l’énergie, subissent des crises répétées, alors que l’ « iconomie », basée sur la généralisation de l’informatisation, n’est en est qu’à ses balbutiements.

Décideurs. La mécanisation fut le cœur de la première révolution industrielle, l’énergie celui de la deuxième. Comment caractérisez-vous cette troisième révolution industrielle ?

samedi 1 juin 2013

L'entreprise dans l'appareil statistique de l’État

(Exposé du 24 mai 2013 au colloque de Cerisy "A qui appartiennent les entreprises ?")

Résumé

Les priorités de la politique économique se sont reflétées dans les nomenclatures : au XVIIIe siècle les activités industrielles sont classées selon la matière première employée ; lors des débats sur le libre-échange au milieu du XIXe siècle, selon la nature des produits ; lors de la phase d'investissement à la fin du XIXe siècle, selon les équipements utilisés. La nomenclature actuelle est conçue de façon à rapprocher données financières et données physiques.
L'évolution de l'observation est révélatrice : au début du XIXe siècle la monographie est préférée à la statistique ; quand prévaut le libéralisme seuls les prix sont observés ; sous le régime dirigiste de Vichy l'observation s'étend aux quantités produites.
L'observation est encore l'enjeu d'un conflit entre des orientations politiques opposées. Après l'abandon de la monographie ni la statistique, ni la théorie économique n'ont observé l'intérieur de l'entreprise (organisation, processus de production, système d'information, relations de travail etc.), considéré comme le champ clos du management et de la sociologie.


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La première opération statistique portant sur les entreprises est lancée par Colbert en 1669 qui prescrit de « constater, par des termes numériques, la situation des fabriques du royaume » [1]. Cette opération ne réussit que dans l'industrie textile, qui est de loin la plus importante. Il s'agit en fait moins de connaître les entreprises – qui, à l'époque, sont des négoces de produits fabriqués par des artisans à domicile – que d'évaluer la capacité productive de la France, celle de son « système productif ».

Ce point de vue va s'imposer longtemps : les entreprises et les établissements sont des points de collecte de l'information, et non des êtres que l'on observe et que l'on dénombre. Comme il faut évaluer la production, il faut savoir décrire la diversité des produits en définissant des agrégats sur lesquels le raisonnement puisse porter.

La limite de la statistique

En anglais : The limit of statistics

Nous savons que la statistique ne convient pas pour décrire une population de petite taille. On peut certes dénombrer les individus qui la composent mais il sera pratiquement impossible de passer de la description à l'explication.

En effet l'explication exige que l'on trouve dans l'observation statistique des « indices » (au sens qu'a ce mot dans l'enquête d'un détective) qui orienteront vers des hypothèses causales, entre lesquelles il faudra encore trier en s'appuyant sur le cumul des interprétations passées que fournit la théorie.

On trouvera ces « indices » dans la comparaison de la distribution d'un caractère entre des populations différentes (exemple : comparaison de la pyramide des âges entre deux pays ou deux époques du même pays) et dans la corrélation entre des caractères à l'intérieur d'une même population.

On peut extraire dans une population nombreuse un échantillon représentatif, c'est-à-dire tel que les distributions et corrélations observées sur cet échantillon ne soient pas sensiblement différentes de celles que l'on pourrait observer sur la population entière car les « indices » qu'elles fournissent conduisent aux mêmes hypothèses.

Voici donc le critère permettra de dire si une population a une taille suffisante pour qu'il soit possible d'interpréter sa description statistique : il faut qu'elle puisse être considérée comme un échantillon représentatif tiré dans une population virtuelle de taille infinie et dont la structure s'explique par mêmes causalités que la population considérée.

*     *

Certaines populations ne sont donc pas « statistisables », que l'on pardonne ce néologisme. On peut certes les dénombrer, calculer sur elles des totaux, moyennes, dispersions et corrélations puis publier tout cela dans des tableaux et des graphiques : mais il sera impossible d'interpréter ce fatras, de passer de cette description à une explication.

C'est le cas, par exemple, de beaucoup de statistiques sur les entreprises : il arrive souvent que la production d'une branche ou d'un secteur soit concentrée dans quelques grandes entreprises dont le nombre est trop faible pour que cette population soit « statistisable ».

Il reste un recours : quand il est impossible d'interpréter la statistique, on peut toujours utiliser la monographie. La recherche des causalités qui sont à l’œuvre dans la population considérée ne passera plus alors par l'examen des distributions et des corrélations, mais par celui de cas individuels considérés chacun dans son histoire particulière.

Certes, l'histoire ne procure jamais que des hypothèses car le passé est essentiellement énigmatique : mais après tout la statistique, elle aussi, ne fournit dans le meilleur des cas que des hypothèses... Mais elles ne sont pas de même nature, et la monographie exige une profondeur d'enquête dont la statistique dispense.

vendredi 31 mai 2013

Le monde de la nature est ultra-fractal

English version : The world of nature is ultra fractal.

Quelle que soit l'échelle à laquelle on les considère, les fractales ont le même degré de complexité. C'est par exemple le cas de la côte de la Bretagne : quelle que soit l'échelle de la carte, elle est aussi déchiquetée. Grossir le détail d'une fractale fait apparaître un dessin analogue à celui de l'ensemble.

L'examen d'un objet naturel – qu'il s'agisse de l'univers entier ou d'un grain de poussière – fait lui aussi apparaître, quand on change d'échelle, une succession de vues de même complexité mais contrairement aux fractales elles ne sont pas analogues.

La géométrie du Cosmos est non-euclidienne (courbure de l'espace). A l'échelle de notre expérience quotidienne, la géométrie est euclidienne. Nous trouvons dans le grain de poussière des amas de molécules. Plus loin nous rencontrerons des atomes, puis les ondes probabilistes de la mécanique quantique. Plus loin encore les particules apparaissent. Nous pourrions continuer, nous aurions pu aussi sélectionner d'autres échelles...

Dans le moindre détail de la nature se rencontre ainsi, comme dans une fractale, une complexité équivalente à celle de l'ensemble. Cependant chacune des échelles obéit à une géométrie qui lui est particulière. A la complexité de la fractale s'ajoute ainsi un autre type de complexité. La nature, essentiellement complexe, est « ultra-fractale ».

dimanche 19 mai 2013

Rapport de l'académie des sciences sur l'enseignement de l'informatique

On trouvera ce rapport à l'adresse suivante : http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf.

Ce rapport est intéressant et utile mais il ignore l'iconomie : alors que l'informatisation transforme l'ensemble du système productif et des institutions, il se limite à la science informatique et ne considère ni les dimensions sémantique et procédurale de sa mise en oeuvre dans l'action, ni la délicate articulation du cerveau humain et de l'automate. L'expression "système d'information" est absente, ainsi que le mot "informatisation", et ces absences ne sont pas fortuites : elles sont délibérées.

En effet les académiciens n'ont pas voulu tenir compte de la critique que Maurice Nivat et moi leur avons adressée lors d'une audition à l'INRIA. Ils semblent enclins à cultiver une "science pure" de l'informatique semblable aux "mathématiques pures", et aussi méprisante envers les "applications" qu'elles ne le sont dès lors que ces applications sortent du domaine de l'automatisme et de l'algorithmique. Ils confondent incidemment "information" et "données", ce qui est sans doute conforme à l'usage des techniciens mais révèle chez des académiciens un étonnant manque de réflexion.

Il faut pourtant souhaiter que ce rapport soit entendu car l'enseignement de l'art de la programmation, la maîtrise des algorithmes, sont conditions nécessaires de l'informatisation même si elles ne sont pas suffisantes. Le slogan "apprendre à lire, écrire, compter, raisonner et programmer" est judicieux, ainsi que l'exigence d'un "bon sens informatique" chez les métiers d'une entreprise - exigence dont l'évocation aurait dû conduire à celle de la maîtrise d'ouvrage d'un système d'information.

Des risques restent cependant ouverts. Lorsque l'on confond "information" et "données", lorsque l'on n'est pas sensible au préalable sémantique de toute informatisation ni à la nécessité d'articuler les ressources du cerveau humain à celles de l'automate programmable, on ne peut être qu'un médiocre informaticien. Les bons informaticiens que je rencontre dans les entreprises sont avertis de l'importance de ces questions-là, ils savent les traiter intelligemment et elles occupent une part importante de leur temps de travail.

Il est regrettable qu'un rapport consacré à l'enseignement de l'informatique les ignore délibérément.

vendredi 17 mai 2013

Une récession pour rien



En voulant ménager la chèvre et le chou, le gouvernement a perdu sur tous les tableaux. L’austérité light n’a servi à rien : ni à rétablir l’équilibre des finances publiques, ni à retrouver la compétitivité, ni à préserver le pouvoir d’achat et l’emploi.

Le couperet est en effet tombé : la France est en récession et vient d’enchaîner deux trimestres consécutifs de baisse, avec un recul de 0,2 % du PIB au 1er trimestre. Mais ce n’est même pas le plus grave. Le détail des chiffres montre clairement les défaillances de l’économie française. Il y d’abord les investissements des entreprises qui plongent pour le 5ème trimestre consécutif. Un investissement dans le rouge qui révèle à la fois l’absence de perspectives mais aussi l’écrasement des marges des entreprises. Fin 2012 ces marges étaient tombées à leur plus bas niveau depuis 1985.

Dans ces conditions, difficile de rester compétitif avec des équipements vieillissants et un coût du travail trop élevé. Le résultat se paie cash, comme le révèle notre contre-performance à l’extérieur. Non seulement, nos exportations ont reculé de 0,5 % mais nos importations ont augmenté de 0,1 % alors même que la demande intérieure, c’est un comble, reculait !

La conclusion est implacable : nos entreprises perdent non seulement des parts de marché à l’international mais cèdent aussi du terrain à l’intérieur. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que le marché du travail soit bloqué. La montée du chômage est inexorable : on devrait s’approcher de 12 % de la population active fin 2013 selon les prévisions de Xerfi.

D’ailleurs les ménages broient du noir. Certes, le recul de la consommation n’est que de 0,1 % en début d’année. Mais attention : cette résistance doit pour beaucoup au rebond des dépenses exceptionnelles et désagréables d’énergie, conséquence d’un hiver particulièrement rude. Et soyons réalistes, la priorité des ménages, c’est d’épargner, pas de dépenser. C’est bien ce que montre l'écart entre l'opportunité d'épargner et celle de faire des achats qui ne cesse de se creuser pour s'installer à un niveau inédit depuis 1972.

Alors bien sûr, la sortie de crise sur laquelle mise le gouvernement viendra tôt ou tard. Certainement pas en 2013 selon notre scénario, qui prévoit une baisse de 0,5 % du PIB. Probablement en 2014, avec un tout petit +0,3 %. Pour la suite, soyons réalistes : le délitement de notre tissu productif et les pressions sur le pouvoir d’achat ne permettront pas de dépasser 0,5 % en moyenne pour les années à venir, c’est désormais notre croissance potentielle.

Après les erreurs du précédent quinquennat, cette première année ne prépare pas le rebond. Le virage décisif pour mener enfin les réformes indispensables se fait attendre. Il y a des récessions utiles, celles qui s’inscrivent dans une stratégie pour réparer les erreurs du passé et préparer le rebond. Mais il y a aussi, hélas, des récessions pour rien.

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Quelle conclusion tirer de l'exposé d'Alexandre Mirlicourtois ?

Penser que "la reprise finira bien par venir", c'est du fatalisme béât. Face à la crise économique et sociale la seule attitude raisonnable consiste (1) à comprendre que la nature a changé, car elle a été transformée depuis 30 ans par le changement du système technique que provoquent l'informatisation et l'Internet ; (2) à définir en conséquence et l'orientation stratégique, et la tactique qui permet de bousculer, surmonter ou contourner les obstacles.

Tant que l'on ne saura pas faire cela, la crise se prolongera avec tous les dégâts qu'elle entraîne.

La véritable dette de la France

On dit « la dette de la France » (ou « de l'Espagne », « de la Grèce » etc.) alors qu'il s'agit de la dette de l'État français, espagnol, grec. Or la dette d'un État et celle d'un pays sont deux choses différentes : outre l’État, un pays comprend des ménages et des entreprises, et sa dette est la somme de celle de ces trois acteurs.

On évalue par ailleurs le niveau d'endettement d'un État par le ratio « dette brute / PIB », choisi lors des accords de Maastricht. Ce ratio est un monstre conceptuel car il compare un stock d'un acteur (le niveau de la dette brute d'un État) à un flux d'un autre acteur (la valeur de la production annuelle du pays, mesurée par le PIB). La « dette nette », écart entre la valeur des dettes d'un acteur et celle des créances qu'il détient sur d'autres acteurs, est d'ailleurs plus significative que sa dette brute.

Le ratio qui permettrait d'évaluer sa crédibilité serait « dette nette / valeur des actifs » car celui qui possède un actif important peut, s'il le faut, vendre pour rembourser. Il faudrait fouiller les comptes nationaux pour évaluer les actifs de la France et ni le citoyen, ni les économistes ne possèdent la technicité requise car certaines données essentielles manquent : comment évaluer, par exemple, cette part de l'actif d'un État qu'est sa capacité à lever de nouveaux impôts ?

Nous allons donc focaliser notre attention sur la dette nette de la France. Dans la dette nette d'un pays les dettes internes s'annulent, puisqu'à une dette d'un acteur correspond une créance d'un autre : seules comptent les dettes et créances avec d'autres pays.

On connaît la dette nette de la France : la Banque de France publie chaque année un « compte des transactions courantes » qui décrit les échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants avec l'extérieur. Le solde de ce compte représente l'écart entre ce que la France a emprunté et prêté chaque année.

Regardons l'évolution de ce solde (comme toujours quand on parle de dette il faut considérer les valeurs nominales : l'image des dettes anciennes est donc comprimée par l'inflation qui a suivi) :

Graphique 1 : solde des transactions courantes 1949-2012 (milliards d'euros)

vendredi 3 mai 2013

Le bal des hypocrites

« La vraie morale se moque de la morale » (Pascal, Pensées)

Le flot d'indignation qui se déverse sur Dominique Strauss-Kahn, Gilles Bernheim, Jérôme Cahuzac, Claude Guéant etc. a quelque chose d'écœurant. Faut-il donc que nous soyons tous vertueux pour que la foule condamne ces personnes !

Apparemment nous sommes tous impeccables : nous avons toujours respecté la foi conjugale, nous sommes des associés loyaux, des amis fidèles, nous remboursons ponctuellement nos dettes, nos déclarations d'impôts sont exactes, nous n'avons jamais fréquenté de prostituée, nous n'avons jamais abusé de notre pouvoir, jamais commis aucune injustice ! Dans le secret de la solitude, nous ne nous sommes même jamais masturbés.

C'est du moins, apparemment, ce que nous pensons de nous-même et c'est du haut de cette vertu impeccable que nous jugeons et condamnons ces personnes.

« Je méprise ton action », a dit Paris de Bollardière à Massu qui organisait la torture lors de la bataille d'Alger. Cette phrase est précise : il ne dit pas « je te méprise », mais « je méprise ce que tu fais ».

Il se peut que les actes de ces personnes soient méprisables, mais pouvons-nous mépriser les personnes elles-mêmes ? Si nous sommes honnêtes, si notre mémoire n'a pas soigneusement effacé tout souvenir gênant, il nous faut pourtant bien reconnaître que nous aussi avons commis des choses dont nous ne sommes pas fiers. « Non, aucune », me dites-vous ? Hypocrite !

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Ce qui nous sépare en fait de ces personnes c'est qu'elles se sont fait « pincer », comme on dit dans les pièces de Labiche, alors que personne ne nous a jamais « pincé ». C'est ce qui surnage lorsque l'on pousse la discussion à fond : « Si Strauss-Kahn (ou Cahuzac, ou Bernheim etc.) s'est fait prendre, me dit-on, c'est qu'il n'était pas digne (ou pas capable) d'occuper ses fonctions ». Autant dire que notre morale se résume à « pas vu, pas pris ».

La faute d'autrui, démasquée et révélée, nous invite à contrôler le Mal qui est à l’œuvre chez chacun et même chez ceux qui prétendent être de petits saints. Plutôt que de condamner – laissons au juge cette tâche pénible – mieux vaut se tourner vers soi-même pour examiner ce que nous faisons.

Je ne peux jamais lire Jean 8,3-11 sans émotion :

Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qui a été surprise en train de commettre l'adultère. Ils la font avancer et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Or dans la Loi Moïse a ordonné de lapider ces femmes-là. Qu'en dis-tu ? » Jésus s'était baissé et, du doigt, traçait des traits sur le sol. Comme on persistait à l'interroger il se redressa et dit : « Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Sur cette réponse ils s'en allèrent l'un après l'autre en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t'a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur ». Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et ne pèche plus ».

mardi 30 avril 2013

Géopolitique d'Internet

(Postface de David Fayon, Géopolitique d'Internet : qui gouverne le monde ?, Economica, 2013.)

Quand on pense à la géopolitique d'Internet un empilage de dimensions diverses mais en relation mutuelle se présente à l'esprit : une question d'architecture technique se trouve avoir des implications stratégiques, des choix purement pratiques ont des conséquences économiques et sociologiques.

Ainsi lorsque Louis Pouzin a indiqué le principe du protocole TCP/IP à Vint Cerf celui-ci a malheureusement cru devoir donner à l'adresse d'un ordinateur le rôle d'un identifiant. Cette erreur de principe a eu des conséquences pratiques dommageables et la redresser est l'un des défis que rencontrent ceux qui s'emploient à faire progresser l'architecture d'Internet1.

Ce n'est qu'un des multiples problèmes que celle-ci pose. Il est de nature technique et sémantique, d'autres sont comme la « neutralité du Net » de nature économique, sociologique, politique, et l'absence de solution – ou les solutions bancales – n'a pas fini de nous empoisonner : c'est qu'Internet bouscule les institutions, déconcerte le législateur et frappe la jurisprudence d'anachronisme.

Il a en effet rassemblé l'image documentaire du monde en un point, espace de dimension nulle auquel il procure l'ubiquité. Il offre aux acteurs économiques une place de marché qui, comme les autres, ne peut fonctionner que si les règles qui garantissent l'équité des transactions et le respect des engagements sont respectées. Il s'insinue dans la vie quotidienne et dans la vie civique en procurant à chacun l'accès à une ressource informatique personnelle, ce qui pose d'évidentes questions de sécurité et de confidentialité.

dimanche 28 avril 2013

Les deux fonctions d'utilité

English version : Two utility functions

La théorie économique classique (Debreu, Theory of Value, 1959) s'appuie sur trois éléments : la fonction d'utilité, la fonction de production, la dotation initiale qui répartit la propriété des biens entre les acteurs. On en déduit le vecteur de prix relatifs qui, orientant l'échange, guidera l'économie vers un optimum de Pareto.

L'élégante simplicité de ce modèle lui confère une grande puissance. L'équilibre général se détaille en équilibres partiels, chaque marché étant le théâtre d'une offre et d'une demande. On peut le compléter en y introduisant le temps : la fonction de production est alors modifiée par l'investissement.

Dans « A Suggestion for Simplifying the Theory of Money » (Economica, février 1935) John Hicks a cependant proposé de combler une lacune de cette théorie. Il observe que chaque agent a en fait deux fonctions d'utilité : l'une décrit la satisfaction que lui procure sa consommation ; l'autre, celle que lui procure la possession d'un patrimoine d'actifs.

Les actifs peuvent être classés selon leur liquidité. La monnaie, qui est la liquidité à l'état pur, est immédiatement disponible et ne présente aucun risque mais elle ne procure aucun revenu. Les actifs non liquides procurent un intérêt ou un loyer mais leur prix évolue : leur possession présente donc un risque de moins-value - et aussi la possibilité d'une plus-value.

mercredi 17 avril 2013

jeudi 4 avril 2013

Pour comprendre l'iconomie

English version : Understanding the iconomy.

Avis au lecteur : ce texte ne conviendra qu'à ceux qui acceptent l'austérité de l'abstraction. Les autres le jugeront sans doute pauvre et trop affirmatif.

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Pour comprendre l'économie contemporaine, qui est évidemment complexe, il faut avoir posé quelques concepts simples qui permettront de bâtir un raisonnement (cf. Qu'est-ce qu'un « concept » ?).

Dégager ces concepts simples est l'affaire d'une méditation elle-même complexe qu'alimentent l'expérience, les conversations et les lectures. Le long parcours de cette méditation ne laissant pas de trace dans la sécheresse des concepts, seul le commentaire peut leur rendre un peu de chaleur.

Nous allons donc procéder more geometrico. Nous présentons d'abord les six concepts qui procurent un cadre théorique à la modélisation de l'économie actuelle, puis neuf concepts qui lui donnent un contenu. Ensuite nous rappelons chaque concept en le faisant suivre par un commentaire qui l'explicite.

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Six concepts économiques
  1. l'économie a pour but le bien-être matériel de la population ;
  2. toute action jugée utile ou nécessaire par la société est réalisée par une institution dont elle constitue la mission ;
  3. l'entreprise, institution économique industrielle, a pour mission de produire efficacement des choses utiles ; elle assure dans la biosphère l'interface entre la société et la nature ;
  4. la réalisation de la mission d'une institution nécessite une organisation ; celle-ci a un rapport dialectique avec la mission ;
  5. l’État, institution des institutions, définit leurs missions, suscite leur création et régule la dialectique de la mission et de l'organisation ;
  6. une révolution industrielle transforme la nature, donc la mission des institutions ainsi que les conditions pratiques de leur organisation.
Neuf concepts pour comprendre l'économie contemporaine
  1. le système productif s'appuie sur le système technique contemporain (STC) dont les techniques fondamentales sont la microélectronique, le logiciel et l'Internet ; le STC a succédé vers 1975 au système technique moderne développé (STMD) ;
  2. l'émergence du STC suscite une cascade de conséquences anthropologiques ;
  3. les tâches répétitives sont automatisées ;
  4. l'essentiel de l'effort que demande la production est accompli lors de la phase initiale d'investissement ;
  5. le marché obéit au régime de la concurrence monopolistique ;
  6. les produits sont des assemblages de biens et de services, élaborés chacun par un réseau de partenaires ;
  7. le bien-être matériel du consommateur dépend de la qualité de sa consommation ;
  8. les prédateurs sont d'habiles utilisateurs du STC ;
  9. la crise s'explique par l'inadéquation du comportement des agents économiques envers le système productif que fait émerger le STC.
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samedi 30 mars 2013

L'X refuse de nous parler en français

J'ai reçu début mars de l’École polytechnique un call for papers pour une « Conference on digital enterprise design & management ». Je reproduis ci-dessous les messages échangés avec des gens de cette école. Les interlocuteurs sont signalés par leurs initiales, cela leur permettra de se reconnaître tout en préservant leur identité. Je suis signalé par les initiales MV.

MV, 5 mars

Pourquoi cet appel à contribution est-il en anglais ? Pourquoi n'est-il pas accompagné d'une version en français ? Je regrette de voir mon ancienne école tomber dans ce piège vulgaire.

AP, 5 mars

L’appel à contribution de la conférence DED&M est en anglais, car bien qu’hébergée à Paris, il s’agit d’une conférence internationale, autrement dit, toutes les présentations sont en anglais avec des conférenciers et des participants internationaux. Cela permet ainsi de donner un rayonnement des travaux de recherche sur l’entreprise numérique, le digital, l’architecture des systèmes d’information etc. de la France à travers le monde entier.

En outre, nous donnons la possibilité aux auteurs français qui le souhaitent de soumettre leur travail en français. Par contre, s’ils souhaitent être publiés chez Springer Verlag, ils doivent réécrire leur article en anglais comme nous l’impose notre éditeur.

Enfin, cet envoi part en anglais également pour des raisons de praticité. En effet, cela nous évite de réaliser des envois différents pour chacun de nos contacts français et étrangers (gain de temps, optimisation de notre processus de communication). Toutes les personnes (chercheurs et professionnels) impactées par cet appel à soumission utilisent la langue anglaise au quotidien. Ce qui ne pose donc généralement absolument aucun problème.

Qu'est-ce qu'un « concept » ?

English version : What is a "concept"?

« Qu'est-ce qu'un concept ? », m'a dit un jour une de mes amies. Je venais d'utiliser ce mot tandis que nous parlions d'économie.

Cette amie a comme moi subi le cours de philosophie en terminale. Il se peut qu'elle n'ait pas été attentive, il se peut que son professeur ait été un philosophe médiocre ou un médiocre pédagogue. Pour comprendre la philo, m'a dit d'ailleurs un philosophe qui pensait à sa propre expérience, il faut avoir atteint au moins l'âge de trente ans, avoir formé une famille, eu des enfants et pratiquer un métier... Que peut-on y comprendre à dix-huit ans, quand on est élève en terminale ?

J'admire le choix et la profondeur des lectures de cette amie, sinon leur étendue, mais cette personne fine et intelligente a gardé du cours de philo un souvenir si désagréable que ses oreilles se ferment dès qu'elle entend l'un des termes du vocabulaire technique et en particulier « concept ».

Il est donc normal qu'elle ignore ce qu'il signifie. Je n'ai pu moi-même l'entrevoir que lorsque, travaillant à l'INSEE, je me suis interrogé sur la pertinence de la nomenclature des activités puis sur la relation entre la statistique et la théorie économique.

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« Un concept, lui ai-je donc répondu, c'est une idée associée à une définition ».

Comme cela ne lui disait rien, il a fallu développer.

mardi 19 mars 2013

Prospective de l'iconomie

(Exposé lors du colloque de l'institut Xerfi le 27 mars 2013).

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La société a connu des épisodes de découragement alors même que se préparait un boom que personne ne voyait venir. Les révolutions européennes de 1848 ont été provoquées par le désespoir : personne n'anticipait la croissance qui s'est poursuivie de 1850 à 1875, personne ne voyait venir la lampe électrique, le moteur électrique et le moteur à essence qui allaient faire apparaître la grande entreprise, changer le rapport à l'espace et jusqu'à la vie quotidienne.

Nous entendons aujourd'hui des témoignages d'un découragement analogue : c'est pourquoi il est nécessaire de se représenter la dynamique de l'iconomie.

Faisons rapidement le point. L'Internet a déjà supprimé nombre des effets de la distance géographique ; le système productif confie de plus en plus l'exécution des tâches répétitives à des automates ; un système d'information sert désormais de pivot à la stratégie de chaque entreprise, de chaque institution.

L'informatisation a ainsi transformé notre rapport avec la nature. Elle a aménagé la nature elle-même : l'iconomie n'est rien d'autre que la perspective offerte par cette nouvelle nature.

jeudi 14 mars 2013

Eric J. Hobsbawm, L'ère des révolutions, Pluriel, 2011

Ce livre qui couvre l'histoire du monde de 1789 à 1848 (un monde alors dominé par l'Europe) est le premier d'une série de quatre ouvrages : il est suivi par L'âge du capital (1848-1975), L'âge des empires (1875-1914) et L'âge des extrêmes (1914-1995).

Comme tout travail d'histoire couvrant un très large périmètre celui-ci est encyclopédique : il s'appuie autant ou davantage sur des lectures et sources de seconde ou troisième main que sur les recherches propres de l'auteur. Son apport réside donc moins dans le compte rendu des faits que dans la vigueur de la synthèse et la qualité de sa présentation.

De ce point de vue, on est comblé. Il existe peu de livres d'histoire aussi intéressants. Les diverses dimensions de la vie économique, sociale, diplomatique, intellectuelle, artistique, religieuse, scientifique etc. sont présentées et toutes sont articulées autour de ce que l'on peut appeler le style propre à chaque époque, ce style que l'on sent lorsqu'on lit les romans, écoute la musique et regarde l'architecture d'une époque, que l'on rencontre jusque dans les travaux scientifiques, mais que l'on aurait tant de mal à définir.

jeudi 7 mars 2013

Ecologie et iconomie


Lors de cet entretien avec Laurent Faibis j'ai omis l'argument qui me semble avoir le plus de poids : s'il est vrai que le caractère non renouvelable des énergies d'origine fossile impose une limite à la croissance telle que nous la connaissons, il est vrai aussi que l'informatique tire parti d'une ressource naturelle renouvelable et illimitée : le cerveau humain. La qualité des produits, l'intelligence de leur conception, peuvent en effet croître sans limite.

L'informatisation apporte donc une nouvelle forme de croissance, la croissance intelligente, qui implique un changement dans la façon dont nous produisons, consommons et vivons. Un consommateur sensible à la qualité, donc sobre en termes de quantité, choisira par exemple les produits qu'il consomme selon leur rapport qualité / prix et non en recherchant systématiquement le prix le plus bas.

dimanche 24 février 2013

La troisième guerre mondiale est en cours


Nota Bene : placer le curseur à 00:07:40 pour un accès direct à l'exposé proprement dit.

Dans sa conférence du 10 octobre 2011 à l'IHEDN, qui n'a pas pris une ride, Jean-Michel Quatrepoint décrit la stratégie mercantiliste de la Chine et de l'Allemagne. Cette stratégie a pour but d'accumuler une réserve de change en développant l'exportation à marche forcée, et elle a pour effet d'étouffer les autres économies. A cette stratégie offensive et, peut-on dire, pacifiquement guerrière, répond une absence de stratégie de la part des autres pays.

Quatrepoint dit que cette situation porte en germe une troisième guerre mondiale et qu'il faut tout faire pour l'éviter. Ne doit-on pas plutôt dire que la troisième guerre mondiale est déjà en cours ? Il ne s'agit certes pas d'une attaque avec des chars et des avions, mais le système productif des nations visées est progressivement détruit, leur force de travail condamnée au chômage, leurs meilleures entreprises achetées et prises en main, leur capacité intellectuelle stérilisée. Cela se fait avec la complicité d'une cinquième colonne financière et multinationale qui, à défaut de stratégie, applique une tactique rémunératrice à court terme mais destructrice à long terme.

La commission européenne et de l'OMC croient qu'il suffit, pour que tout soit au mieux, de pratiquer le libre échange dans un contexte de concurrence parfaite. Il convient au contraire de conquérir sur des niches du marché mondial une position de monopole temporaire que l'on protégera par le secret, puis que l'on renouvellera par une innovation continue. Une telle réorientation de la stratégie suppose une volonté ferme et persévérante s'appuyant sur une analyse lucide de la situation.

samedi 23 février 2013

France : les signaux du sursaut


Faut-il ou non parler d'iconomie entrepreneuriale ? Non, disent certains, car le mot entrepreneur est entouré de connotations négatives : l'entrepreneur, c'est "le patron qui s'en met plein les poches", "le dirigeant capteur de stock-options", "le prédateur"...

Vincent Lorphelin constate dans la France d'aujourd'hui l'émergence d'une classe nouvelle d'entrepreneurs animés par une passion brûlante : ce sont des innovateurs, des créateurs. Il leur donne la parole dans l'ouvrage collectif qu'il a dirigé, Le rebond économique de la France.

C'est précisément parce que les vrais entrepreneurs sont rares parmi les dirigeants (j'estime leur proportion à 10 %) qu'il faut soigneusement les distinguer des prédateurs et autres parasites, avec lesquels ils sont d'ailleurs en conflit. Tant que nous les confondrons avec eux, nous serons incapables de promouvoir et défendre les entreprises dont notre pays a besoin.

L'entrepreneur véritable est, comme le dit Lorphelin, porteur d'une passion brûlante : explorer, créer, organiser, bref agir. Il a partie liée avec les animateurs, ces salariés qui partagent avec lui la passion de l'action efficace, de la belle ouvrage, du produit de qualité et de la satisfaction du client. Les animateurs sont dans l'entreprise aussi rares que les entrepreneurs dans la société mais c'est eux qui donnent son âme à l'entreprise, sa raison d'être.

Les entrepreneurs, les animateurs, n'ont pas besoin d'être dorlotés ni encouragés : ils rayonnent. Mais il ne faut pas leur mettre trop de bâtons dans les roues. Une société ne peut parvenir au bien-être matériel que si elle est une pépinière d'entrepreneurs et d'animateurs : c'est un défi pour les systèmes éducatif, législatif et judiciaire.

vendredi 15 février 2013

Alain Desrosières

Je viens d'apprendre le décès d'Alain Desrosières. C'était un ami très cher.

Nous étions de la promotion 60 de l'X où j'ai fait sa connaissance. Il était "de gauche" et argumentait avec passion, secouant le garçon "de droite" que j'étais alors par un bouton de sa veste.

Nous avons fait l'ENSAE ensemble, nous avons été ensemble administrateurs de l'INSEE. Beaucoup de nos camarades ont cédé aux délices de l'ambition, pas lui. Il s'intéressait sincèrement à la statistique, à la sociologie, à l'histoire. Il est donc sorti de la tour de Malakoff pour tisser des liens avec d'autres corporations. Il m'a ainsi conduit chez Pierre Bourdieu ainsi que dans les bureaux du Nouvel Observateur où nous avons rencontré Claude Perdriel, Jean Daniel et André Gorz : il s'agissait alors d'apporter aux analyses sociologiques, fût-ce au prix de quelque pédantisme, le renfort et la caution de la technique statistique.

Desrosières était d'une générosité littéralement adorable. Vous aviez une conversation avec lui : "Ah, disait-il, mais alors il faut que je te mette en relation avec Untel", ou bien "il faut que tu lises tel article" - et quelques instants après un rendez-vous était organisé, une photocopie de l'article vous parvenait. Ce que beaucoup de personnes lui doivent est immense. Il était au sens exact du terme un animateur, quelqu'un qui donne une âme à une institution, et les passerelles qu'il établissait inlassablement, ainsi que ses livres, ont apporté à l'INSEE une ventilation salubre.

De cette générosité, de cette animation, de cette ouverture, l'INSEE ne lui a comme de juste su aucun gré. Alors qu'il avait fait pour la statistique bien plus que n'importe quel inspecteur général il est parti à la retraite simple administrateur. Indigné, je lui en ai fait la remarque et il m'a regardé avec étonnement. Ces histoires de carrière lui étaient parfaitement indifférentes.

Comme beaucoup d'hommes droits, il était naïf : c'est le défaut des anges. Sa droiture a parfois fait de lui la dupe de personnes dont il ne pouvait pas même entrevoir la perversité.

On croira peut-être que je sacrifie ici à la règle qui veut qu'un discours posthume soit excessivement élogieux. Il n'en est rien. Ce que je viens d'écrire, je le pense depuis longtemps et l'ai souvent dit de son vivant.

Je termine ce petit texte les larmes aux yeux et la gorge serrée : adieu, camarade généreux ! Tu seras toujours présent dans le cœur de ceux qui t'ont connu.

TO THE HAPPY FEW

Il faut que tu apprennes à co-mu-ni-quer, dit un ami journaliste. Il faudrait que tu sois plus convaincant, dit une amie. Il faut que, il faudrait que...

J'observe ceux qui savent paraît-il « communiquer » et qu'entends-je ? De l'emphase et de la confusion. Pour procurer à celui qui écoute une agréable sensation de bien-être il leur suffit en effet de jouer sur les connotations qui entourent leur propos d'un halo familier. L'auditeur sent alors ses préjugés fondre comme s'il était plongé dans un bain tiède. Il est prêt à se laisser convaincre, mais de quoi ? Une fois sorti du bain, il aura tôt fait de tout oublier.

mercredi 13 février 2013

Entretien avec L'Express

(Entretien avec Bruno Abescat, rédacteur en chef du service Économie, et Benjamin Masse-Stamberger, grand reporter à L'Express, publié dans le numéro du 20 février 2013 ).

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En 1953, la France comptait moins de 200 000 chômeurs, 1 % des ménages Français possédaient un téléviseur, un sur cinq une automobile, près de 30 % de la population travaillaient la terre… Parle-t-on encore du même pays ?

Oui, la France a changé en quelques décennies. On imagine mal aujourd’hui ce qu’était la vie dans un pays où le téléphone était rare et l’ordinateur inexistant, où nombre de logements demeuraient insalubres, où l’on utilisait la lessiveuse pour laver le linge.

Que s’est-il passé ?

Il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour comprendre ces bouleversements. Le pays ayant été largement détruit, les Français ont d’abord voulu retrouver le niveau de vie d’avant-guerre. Cet objectif, qui semblait inaccessible, a été atteint dès 1948. Ils se sont alors donné pour but de rattraper le niveau de vie américain dont le cinéma montrait une image flatteuse. Les ventes d’automobiles, réfrigérateurs, téléviseurs et lave-linge ont explosé. Dès 1963, Carrefour a ouvert le premier hypermarché à Sainte-Geneviève-des-Bois, puis les grandes surfaces se sont multipliées.

Le Club Med a vu le jour aussi en 1950, la Fnac en 1954 et, l’année suivante, Renault a accordé la troisième semaine de congés payés…

L’essor des loisirs et du tourisme a en effet été un des marqueurs de cette époque, mais la principale rupture a été apportée par l’automobile. Il n’y a qu’à voir, pour s’en convaincre, la croissance du nombre annuel des morts sur la route : il culmine à 16 000 au début des années 1970. Il faudra attendre les années 1980, avec le lancement du TGV et la baisse du prix des voyages en avion, pour que les modes de transport rapides soient mis à la portée de tous.