samedi 29 janvier 2022

À quoi sert l’iconomie ?

L’iconomie est un modèle économique qui possède, comme un diamant, des facettes qui se complètent sans se contredire. Il rayonne une lumière qui éclaire notre situation.

Ce diamant, nous l’avons dans notre main. L’Institut de l’iconomie le tend à qui veut le prendre, c’est ainsi que les idées se diffusent.

La plupart se détournent cependant, comme si nous étions des mendiants et non les détenteurs d’une richesse que nous offrons en partage. Nous allons tâcher de comprendre pourquoi.

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Voici la définition de l'iconomie : l’iconomie est la représentation, ou « modèle », d’une économie et d’une société informatisées qui seraient par hypothèse parvenues à la pleine efficacité. Certains ne perçoivent pas ce qu’implique cette définition. Nous allons la méditer posément afin de l’assimiler et de la faire nôtre.

L’économie présente est l’économie informatisée : l’action productive s’appuie sur la synergie de la microélectronique, du logiciel, de l’Internet, et toutes les autres techniques – mécanique, chimie, énergie, biologie – progressent aujourd’hui en s’informatisant.

Mais cette économie n’est pas pleinement efficace. La plupart des systèmes d’information dans lesquels se concrétise l’informatisation des entreprises présentent des défauts manifestes, la culture et les habitudes sont souvent contraires à l’efficacité : les silos de l’organisation hiérarchique, par exemple, érigent entre les divers métiers des cloisons qui interdisent leur coopération, pourtant nécessaire.

L’iconomie n’est donc pas une description réaliste de la situation présente. Ceux qui le lui reprocheraient auraient tort de croire que c’est un défaut rédhibitoire : il en est de même de tous les modèles économiques1.

Nombreux sont par ailleurs dans le public ceux qui reprochent à la science économique d’être impuissante à prévoir l’avenir et se gaussent de l’écart que l’on constate entre la situation réelle et les prévisions des économistes. Ce reproche tombe à faux car le but de la science économique n'est pas de prévoir le futur, mais d'éclairer la situation présente. 

Ce même reproche pourrait être adressé à l’iconomie, mais il tomberait encore plus à faux car elle n’est absolument pas une prévision. Rien ne garantit en effet que l’économie informatisée atteindra un jour la pleine efficacité : il restera certainement toujours des inefficacités et il se peut même que l’économie dans son ensemble, la société tout entière, choisissent de tourner le dos à l’efficacité. Contrairement à ce que pensent des économistes trop optimistes, l'efficacité n’est pas en effet un attracteur vers lequel l’évolution conduit spontanément : elle ne peut être conquise que par un choix collectif lucide et un effort persévérant.

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Si l’iconomie n’est pas réaliste, si elle n’est pas une prévision, à quoi peut-elle donc servir ?

mardi 25 janvier 2022

Le piège du « low cost »

Les émissions de télévision et les discussions au café du Commerce sont admiratives pour ceux qui savent « acheter malin » et trouver le magasin qui vend les pommes de terre, les poulets, les tomates, le foie gras, les vêtements, etc. les moins chers.

Mais le foie gras le moins cher, est-ce du foie gras ou un mélange trop astucieux de pâtés divers ? Les tomates les moins chères ont-elles la saveur de la tomate ? La chair des poulets les moins chers est-elle goûteuse ?

Se poser ces questions, c’est considérer non seulement le prix du produit mais aussi sa qualité : celle du tissu, de la coupe, de la couleur et des coutures d’un vêtement ; celle du goût, de la fraîcheur et de la salubrité d’un aliment ; celle de la solidité, du confort et de l’esthétique des chaussures, etc.

Celle aussi des équipements ménagers : à quoi sert d’acheter un aspirateur, une machine à laver, un réfrigérateur, un téléviseur, un ordinateur, un four à micro-ondes, etc., si cet équipement tombe souvent en panne (le réparateur n’est pas gratuit), si sa durée de vie est courte, s’il faut le remplacer souvent ?

Le volume des équipements ménagers mis au rebut excède la capacité des entreprises de recyclage. Ils sont abandonnés dans la nature, jetés dans la mer, transportés vers des pays pauvres où ils s’entasseront. Certains consommateurs le sentent confusément et cela les met mal à l’aise : ils préféreraient donc que les équipements soient de meilleure qualité.

Un peu de raisonnement économique élémentaire. La qualité d’un produit, c’est le niveau de la satisfaction qu’il procure à son consommateur ou son utilisateur : les tomates savoureuses, les poulets goûteux, apportent plus de plaisir que des tomates fades et farineuses, que des poulets secs et fibreux.

Pour les produits durables (vêtements, chaussures, équipements ménagers) la satisfaction est étalée dans le temps. Si l’on savait la chiffrer il faudrait dire que la qualité du produit aujourd’hui, c’est la somme actualisée des satisfactions futures. De ce point de vue un produit dont la durée de vie est courte – des chaussures peu solides, des vêtements qu’il faudra bientôt jeter, des équipements fragiles – est de basse qualité.

Les personnes qui préfèrent que le poulet qu’elles mangent soit savoureux accepteront de payer un prix plus élevé pour un meilleur poulet : elles choisissent donc selon « le rapport qualité/prix », et non selon « le prix le plus bas ».

jeudi 13 janvier 2022

Le cerveau d'oeuvre

 Dans l'économie actuelle l'acteur le plus important n'est ni l'être humain, ni l'ordinateur : c'est le couple qu'ils forment, résultat d'une symbiose qui lui permet de tirer le meilleur parti des qualités de l'un et de l'autre : puissance de calcul et fidélité de la mémoire de l'ordinateur, capacité à comprendre et créativité de l'être humain. 

On peut dire évidemment que l'être humain domine ce couple, et c'est vrai puisque l'ordinateur utilise des logiciels qui ont été programmés par des humains : oui, c'est vrai, et c'est heureux. Mais dans l'action quotidienne l'être humain n'a pas le loisir de reprogrammer l'ordinateur qu'il utilise, et donc il est légitime de distinguer ces deux acteurs afin de voir comment leur symbiose peut agir. 

Il suffit pour cela d'observer ce qui se passe en soi-même, dans les familles et dans les entreprises, puis d'en tirer les conséquences. Comment avez-vous assimilé les nouveautés que l'informatique vous a proposées (le traitement de texte, le tableur, la messagerie, le Web, les réseaux sociaux, etc.), comment se sont passés vos apprentissages ? Quelles leçons en tirez-vous pour les nouveautés futures ? 

À quoi vous sert votre smartphone, votre tablette (qui sont en fait des ordinateurs), comment les utilisez-vous ? À quoi vous servent le Web, les réseaux sociaux ? Combien de temps leur consacrez-vous chaque jour ?

Dans votre famille, comment partagez-vous l'accès aux ressources informatiques, leur usage ? Comment en parlez-vous ?

Dans votre entreprise, quelle est la part de votre temps que vous passez devant l'écran-clavier qui vous donne accès à un système d'information ? Quel est le partage du travail entre vous et la puissance de calcul et la mémoire informatiques ? Vous sentez-vous aidé ou contraint ? Les applications sont-elles d'un usage simple et commode ? La communication avec les autres personnes est-elle rendue facile et transparente, qu'elles appartiennent à votre direction ou à d'autres ? La relation avec les clients de votre entreprise, avec ses partenaires, avec ses fournisseurs, est-elle convenablement assistée par le système d'information ? 

Vous-même, enfin, sentez-vous que vous formez dans l'action un couple efficace avec la ressource informatique ? Ou bien pensez-vous que cela ne marche pas, que cela pourrait être amélioré, que le système d'information a été mal conçu ? 

Se poser ces questions-là (et quelques autres aussi, sans doute) permet d'éclairer la situation présente et de corriger des idées qui semblent bien enracinées dans l'opinion mais qui sont très critiquables. 

mardi 11 janvier 2022

Conversation avec un dirigeant

J'ai eu ces jours derniers une conversation instructive avec quelqu'un de très très important (disons : ministre ou équivalent). Je condense ici cet échange. 

J'ai posé trois questions à cette personne.
– Le numérique, c'est cool ?
(J'ai dit "numérique" alors que je préfère "informatisation", mais je sais que les gens à la mode croient ce dernier mot ringard.)
– Oh oui !
– Et les entreprises ?
– Aussi !
– Et les systèmes d'information ?
– Bof, non.
– Mais le numérique, dans une entreprise, c'est son système d'information !
– Ah bon !? (stupéfaction)

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J'ai à l'esprit un diagramme de Venn : deux patates, l'une pour le numérique, l'autre pour les entreprises, et leur intersection : le système d'information qui concrétise le "numérique" dans chaque entreprise, chaque institution. 

Comment se peut-il qu'une personne qui n'est pas plus bête que la moyenne, qui le serait même plutôt un peu moins, juge "cool" chacune des deux patates mais non ce qu'elles ont en commun et qui devrait donc être jugé deux fois cool, ou cool au carré ? Il y a là un de ces illogismes qui abondent et ferment aux dirigeants la compréhension de la situation présente. 

Le "numérique", c'est cool : si vous prononcez ce mot lors d'un dîner en ville on vous écoutera parce que l'on pense à Google, Amazon, Facebook, etc. 

Les entreprises, c'est pas cool pour ceux qui penchent vers LFI ou EELV, très cool pour ceux qui sont plutôt LR ou LREM, tandis que le PS est partagé et que le RN a d'autres priorités. Mon interlocuteur pense que les entreprises sont très cool : cela donne une indication sur sa couleur politique. 

Les systèmes d'information, par contre, c'est pas cool du tout : ils traînent  l'odeur des informaticiens, ces gens qui ignorent les utilisateurs et consomment un gros budget pour des choses que personne ne comprend. 

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Ainsi l'on vit, nous vivons, dans un monde d'images et de préjugés irréalistes et illogiques. Mais violer la logique, c'est violer la nature et elle se vengera. 

Ne rien comprendre à l'informatique, c'est ne rien comprendre à l'information, l'automate programmable et leur articulation.
Ne rien comprendre à l'informatisation, c'est ne percevoir ni la dynamique qui propulse notre histoire, ni le ressort tendu dans la situation présente.
Ignorer les systèmes d'information, c'est rater la façon dont l'informatisation se manifeste dans l'action organisée et productive. 

Certes il faut faire un effort pour comprendre l'informatique : il faut lire, étudier, écouter, réfléchir, bref surmonter les obstacles que rencontre toujours un apprenti - et nous sommes tous des apprentis, même à l'âge le plus mûr, lorsque nous entreprenons d'apprendre des choses nouvelles. 

Les personnes qui ont accédé aux fonctions les plus hautes ont auparavant, pour la plupart, étudié pour passer des examens et des concours. Mais maintenant qu'elles ont "réussi" (croient-elles) elles n'éprouvent plus, pour la plupart encore, le besoin d'apprendre. 

Vous êtes docteur ? Agrégé ? Professeur des universités ? PDG ? Directeur ? Ministre ? Président ? 

Eh bien il faut, pour pouvoir faire face à la situation historique présente, que vous acceptiez de redevenir un bizut, de vous mettre à l'école de gens dont la position sociale vous semble peut-être inférieure à la vôtre mais qui savent, eux, des choses que vous ignorez. 

Si vous êtes de ceux dont l'intellect se limite à la lecture du journal quotidien, vous vivez dans un monde que vous ne pouvez plus comprendre, dans lequel vous ne pourrez pas vous orienter. Certes cela ne vous empêchera pas de faire carrière si vous savez jouer sur l'échiquier du pouvoir, car l'instinct y suffit, mais cela empêchera assurément vos étudiants, votre entreprise, votre direction, votre ministère, votre pays, de sortir de l'ornière où vous les aurez laissés. 


dimanche 9 janvier 2022

Dans les batailles de rue au Kazakhstan, des signes d’un affrontement au sein de l’élite

(Traduction de Ivan Nechepurenko and Andrew Higgins, « In Kazakhstan’s Street Battles, Signs of Elites Fighting Each Other », The New York Times, 7 janvier 2022, )

Les raisons de la crise sanglante en Asie centrale restent obscures mais les experts disent que le mécontentement populaire pourrait masquer une lutte de pouvoir à l'ancienne au sein de la faction au pouvoir.

BISHKEK, Kyrgyzstan — Ce n'était pas une grande surprise lorsqu'une ville pétrolière en ruine dans l'ouest du Kazakhstan a manifesté dimanche dernier, 10 ans après que les forces de sécurité y aient tué plus d'une douzaine de travailleurs qui avaient fait grève à cause de leurs salaires et de leurs mauvaises conditions de vie.

Mais il est mystérieux que des manifestations pacifiques contre la hausse des prix du carburant le week-end dernier à Zhanaozen, colonie crasseuse de l'ère soviétique près de la mer Caspienne, se soient soudainement propagées sur plus de deux mille kilomètres sur toute la longueur du plus grand pays d'Asie centrale, transformant la ville kazakhe la plus grande et la plus prospère en une zone de guerre jonchée de cadavres, de bâtiments incendiés et de voitures incinérées.

Les violences de cette semaine à Almaty, ancienne capitale et toujours centre commercial et culturel du Kazakhstan, ont choqué à peu près tout le monde – pas seulement son président qui, fortifié par les troupes russes, a ordonné vendredi aux forces de sécurité de « tirer sans avertissement » pour rétablir l'ordre, mais aussi les détracteurs du gouvernement qui ont longtemps critiqué la répression et la corruption généralisée dans ce pays riche en pétrole.

La crise a coïncidé avec une lutte pour le pouvoir au sein du gouvernement, faisant penser que les personnes qui se battaient dans les rues étaient des partisans de factions rivales de l'élite politique. On spécule aussi sur l'ingérence du Kremlin et sur une foule d'autres causes possibles et obscures. La seule chose qui soit claire, c'est que les convulsions du pays impliquent plus qu'un simple affrontement entre des manifestants exprimant leur mécontentement et l'appareil sécuritaire d'un régime autoritaire.

Le Kazakhstan étant désormais largement isolé du monde extérieur – ses principaux aéroports sont fermés ou réquisitionnés par les troupes russes tandis que les services Internet et les lignes téléphoniques sont pour la plupart en panne – les informations sont rares.

Faisant écho au refrain des dirigeants répressifs du monde entier lorsqu’ils sont confrontés à des manifestations, le président Kassym-Jomart Tokayev a fustigé vendredi les libéraux et les défenseurs des droits de l’homme et déploré que les autorités aient été trop laxistes.

Peu de gens l’approuvent, d'autant plus que ce message est soutenu par la Russie qui a envoyé jeudi des troupes pour aider M. Tokayev à reprendre le contrôle et qu’elle a une longue tradition d'interprétation de toutes les expressions de mécontentement chez elle et dans d'anciens territoires soviétiques comme l’œuvre de fauteurs de troubles libéraux mécontents.

Mais il y a de plus en plus de preuves que le chaos à Almaty, épicentre de la tourmente de cette semaine, a été plus qu'une simple folie des manifestants.