mercredi 23 décembre 2009

C. G.Jung, The Red Book, Norton & C°, 2009

Ce livre de grand format est une petite merveille éditoriale. Ce sera sans doute une de ces raretés que les bibliophiles s'arrachent et que l'on est fier d'avoir dans sa bibliothèque.

Il comporte d'abord la reproduction fac simile d'un manuscrit dans lequel Jung a consigné sa démarche la plus intime mais qu'il n'a jamais publié car il craignait de ne pas être compris.

Ce manuscrit est resté longtemps dans un coffre-fort et seuls quelques très rares initiés ont été autorisés à le consulter. De tels livres maudits sont souvent les plus intéressants : que l'on pense aux Mémoires de Casanova et au Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki !

Le texte, en allemand, est écrit dans une calligraphie aussi soignée que celle des copistes du moyen-âge et en usant d'abréviations auxquelles on s'habitue assez vite. Il est orné d'enluminures et de miniatures qui illustrent les visions de Jung et où se déploie son talent de dessinateur.

Ce fac simile, dont la lecture est tout de même un peu fatigante, est heureusement suivi par une traduction en anglais qui le complète par d'autres textes que Jung n'avait pas transcrits sur parchemin. Une introduction éclaire utilement ses intentions et sa démarche.

Ces intentions, cette démarche, sont marquées par l'époque qui précède la guerre de 14-18 et qu'Hugo Ball a décrite ainsi : "Dans le monde et la société de 1913, la vie semble complètement confinée et bloquée. Une sorte de fatalisme économique prévaut : à chaque individu, qu'il soit d'accord ou non, est assigné un rôle qui détermine son caractère et ce qui l'intéresse. L'église est considérée comme une "usine à rédemption" sans importance, la littérature comme une soupape de sécurité... Jour et nuit se pose une question brûlante : existe-t-il quelque part une force assez puissante pour mettre un terme à cette situation ? Et si non, comment lui échapper ?"

Cent ans après, cette description s'applique presque exactement à l'époque présente, comme si nous étions de nouveau à l'orée d'un massacre. Les préoccupations de Jung, si datées qu'elles soient, sont donc aujourd'hui d'une parfaite actualité.

Il s'efforce de comprendre la relation entre l'individu et la société qui l'entoure, ainsi qu'avec la communauté des morts ; de comprendre les effets psychologiques et historiques du christianisme ; d'anticiper l'évolution religieuse future de l'Occident. Pour explorer ces questions The Red Book aborde une grande diversité de thèmes : la connaissance de soi ; la nature de l'âme ; la relation entre la féminité et la masculinité, entre la magie et la raison ; la valeur des études et de la science ; la signification des symboles etc.

Pour mener une recherche qui porte sur la structure de la personnalité humaine en général, Jung a pris sa propre personne pour laboratoire : il s'est livré ainsi à des expériences mentales périlleuses.

En se lançant dans l'exploration de l'inconscient, Jung découvre la structure de celui-ci et expérimente en soi-même (et, à travers sa personne, en chacun) le fonctionnement et l'influence des symboles et des mythes dont certains sont aussi anciens que l'humanité elle-même. Il quitte ainsi le terrain rassurant et bien balisé du rationalisme pour être plus authentiquement fidèle à la Raison - laquelle, loin de se satisfaire d'un développement formellement correct, exige d'élucider l'orientation qui lui confère à la fois son sens et son énergie.

Ceux qui ont de la Raison une conception étroitement scolaire (ils sont légion) ne peuvent voir dans The Red Book que l'œuvre d'un illuminé : on comprend que Jung ait hésité à le publier et que ses héritiers l'aient si longtemps tenu secret.

Ceux qui par contre s'en font une conception plus exigeante, plus organique aussi (voir L'intelligence créative), liront The Red Book avec passion : ils y trouveront la réponse à certaines des questions qui les tracassent le plus et, en tout cas, de quoi nourrir et approfondir leur réflexion.

Qu'y a-t-il de plus important en effet, pour chacun d'entre nous, que le rapport entre notre action (ou notre refus d'agir) et notre pensée (ou notre refus de penser) ? Et, plus profondément, qu'y a-t-il de plus important que ce foyer commun de l'action et de la pensée qui, situé au plus intime de chacun, y manifeste une volonté qui dépasse notre individualité ?

5 commentaires:

  1. Cher Michel

    Merci pour ce commentaire mais qu'apprend-on de ce livre de Jung finalement ?
    Quelles sont donc les questions et les réponses à ces questions qui tracasseraient tant les gens ?
    Tu commences à nous donner l'eau à la bouche mais au final on ne sait pas trop à quoi s'attendre avec ce livre.
    Merci

    Olivier PIUZZI

    RépondreSupprimer
  2. @Olivier Piuzzi
    J'ai résumé de mon mieux les questions que Jung se pose, ce n'était pas facile.
    Il s'efforce d'élucider les intentions qui orientent la volonté et la pensée. Les réponses qu'il apporte ressemblent au compte rendu d'un explorateur plus qu'à la solution d'un problème de mathématiques, et ce compte rendu est plein d'enseignements précieux...

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour,

    Question bassement matérielle : comment un livre de 500 pages peut-il coûter 134 € ? le contenu ? le contenant ?
    Existe t-il en langue française ? ( je ne maitrise pas assez l'anglais pour lire un tel livre)

    merci

    Hervé

    RépondreSupprimer
  4. @Hervé
    Le prix s'explique par le format du livre, qui est de grande taille, ainsi que par une impression particulièrement soignée. Mais il est élevé, c'est vrai !
    Il n'existe pas encore à ma connaissance d'édition en français. Il existe une édition en allemand, Das rote Buch, qui reproduit le texte original.

    RépondreSupprimer
  5. Pour les gens qui ne supportent pas le "mystique" Jung, je propose la lecture de "Psychologie de la motivation" de Paul Diel. Diel est un vrai génie méconnu du grand public, ses livres sont accessibles à tous en format de poche).

    RépondreSupprimer