mercredi 27 janvier 2010

Retour (pénible) sur notre histoire

Un entrefilet du Monde m'a fait sursauter : la préfecture de Police de Paris a cru devoir, sur la base d'une règlementation étrange, mettre en doute la nationalité d'Anne Sinclair (voir son témoignage).

Ainsi il est demandé à chacun de prouver qu'il est bien français : ceux qui pour une raison ou une autre (papiers perdus etc.) ne pourront pas apporter cette preuve seront-ils dépouillés d'une qualité qui leur avait toujours été reconnue ?

Cela rappelle le régime de Vichy, qui a déchu de nombreuses personnes de la nationalité française (entre autres : De Gaulle, Leclerc et Mendès-France...).

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Mon père était professeur de philosophie au collège de Bergerac. En 1940 le principal le convoque et lui dit "Il va falloir que vous quittiez vos fonctions puisque vous êtes juif".
"Mais je ne suis pas juif !" s'exclame mon père : en effet il n'avait pas cet honneur.
"Prouvez-le", répond le zélé fonctionnaire.

Il a fallu que mon père apporte, je ne sais comment, cette preuve infâme.

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La loi du 3 octobre 1940, avec laquelle le maréchal Pétain a devancé les désirs des nazis, définit ainsi la "race juive" : "est regardé comme juif toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif". Entre autres interdictions elle a fermé aux juifs l'accès aux corps enseignants : les professeurs juifs ont dû quitter leurs fonctions dans les deux mois qui suivaient sa promulgation.

Il y a, dans les tracasseries qu'occasionne aujourd'hui le renouvellement d'une carte d'identité, quelque chose qui rappelle à ma mémoire cet épisode de l'histoire de ma famille, de l'histoire tout court - un épisode auquel je ne peux pas penser sans que ma gorge ne se serre de honte et de chagrin.

5 commentaires:

  1. Tout ceci n'est pas nouveau.
    Ma mère est d'origine italienne par son père et espagnole par sa mère. Elle est et a toujours été de nationalité française.
    Elle a travaillé toute sa vie dans l'enseignement public, professeur des collèges et donc fonctionnaire.
    Il y a 2 ou 3ans, ayant besoin de refaire sa carte d'identité, elle s'est vue refusée le renouvellement au motif qu'elle n'était sans
    doute pas française. Il lui a fallu 6 à 8 mois pour reccueillir tous les éléments de preuves de nationalité de mes grands-parents. ACes derniers avaient été naturalisés dans les années 1940-50. Mais, avoir une carte d'identité française n'est
    pas une preuve de nationalité. Ma mère a fini par obtenir gain de cause. Et lorsque moi même j'ai fait refaire ma carte d'identité, j'ai eu la surprise d'avoir à prouver ces mêmes éléments...
    Jusqu'à combien de générations devront nous prouver notre nationalité ?

    Cordialement.

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  2. Bigre ! J'ai deux grand-parents italiens naturalisés, j'espère que je ne perdrai pas ma carte d'identité...

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  3. J'ai eu le même souci lorsque j'ai du faire faire ma première carte d'identité plastifiée et réputée infalsifiable il y a une dizaine d'années. Je me suis fait établir à l'occasion un certificat de nationalité.
    Heureusement pour moi, mes parents ont toujours soigneusement conservé les références de leurs décrets de naturalisation et me les avaient communiqués à toutes fins utiles. Je les ai toujours conservés avec mes papiers d'état-civil. La formalité est simple, on va au greffe du Tribunal d'Instance de son domicile, on fournit les références des décrets et deux semaines après on reçoit le précieux document.
    Ce qui me choque dans ce contrôle tatillon qui fleure bon la plus pure tradition pétainiste de l'Administration est que rien ne m'a été demandé au moment de mon service militaire, que je dispose d'un livret militaire en bonne et dûe forme et que ce document n'est en rien considéré comme une preuve de nationalité. Mais pour moi, le pire est pour les gens nés dans nos ex-colonies avant leur indépendance. Il ne sont pas reconnus comme étant nés en France, ce qui veut dire que la République Française nie sa propre histoire.

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  4. Nous sommes malades avec d'autres pays d'Europe d'une triste maladie : la peur du lendemain. Cette peur gangrène tout. Elle fait choisir le meurtre de l'innocent pour éviter quelques difficultés dans l'avenir. Elle rend la vie du citoyen ordinaire de plus en plus compliquée comme s'il dérangeait !

    Cette peur oublie simplement que notre territoire a une densité de population faible (moins de 120 habitants au km2 tandis que Monaco atteint 32.000 habitants au km2 !) et que la France peut accueillir à bras ouverts tous ceux qui cherchent un asile sûr. Notre pays est sur le globe terrestre l'un des plus cléments pour l'homme : climat tempéré, terres abondantes, réserve sans fin de trésors d'ingéniosité et de sainteté accumulés au fil des siècles. Que nous soyons si peu nombreux sur ce sol hospitalier devrait nous paraître tout à fait surprenant. Avec la densité de Monaco, nous serions plus de 17 milliards ! Oui, bien sûr, c'est sans compter la surface agricole pour nourrir ce monde-là mais tout de même.

    Pour lutter contre les aberrations administratives que vous signalez à juste titre, il ne suffira pas malheureusement de les corriger à la marge mais il faudra renouveler collectivement et en profondeur notre façon de penser et d'agir.

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  5. bonjour,
    De telles histoires sont en effet légion. En voici deux :
    1/ j'ai un camarade qui est entré à Polytechnique (pas comme élève étranger) et a donc été un temps officier d'active ; puis il est devenu fonctionnaire civil dde l'Etat (ce qui impliquait la nationalité française) Bien des années après, i pour je ne sais quelle obscure raison, il a eu à prouver sa nationalité : en effet, son prèe était n' en Alsace avant 1918, c'est à dire à l'étranger.
    2/ j'ai un neveu de mère française et de père belge, qui jusqu'à trente ans a vécu en France comme français, avec une carte d'identité française. Il l'a un jour perdue et s'est heurté à la même exigence de proouver sa nationalité. Il faut dire qu'il était né à Goma (Congo). Il a alors traversé la rue, est allé au consulat de Belgique et une demi-heure après en est ressorti avec une carte d'identité belge Depuis, il est belge...
    Il esiste en droit une notion sage qui s'appelle la prescription. Après au maximum trente ans de jouissance paisible de quelque chose, vous en devenez propriétaire. De même en droit pénal. Ne serait-il pas intelligent d'étendre cette notion à tous domaines ? Le fait crée le droit. De plus, dans le cas de la prescription trentenaire, si je me rappelle quelques anciennes notions de droit, il se fait au bout de dix ans un renversement de la charge de la preuce : avant, c'est à vous de prouver que vous êtes propriétaire du terrain que vous occupez ; après, c'est à qui le conteste de prouver que vous ne l'êtes pas.

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