Ce rapport de l'institut Montaigne prend un recul utile par rapport au débat actuel sur l'âge de la retraite : le situant dans un contexte plus large, il nous permet de mieux l'interpréter.
Le système français de formation, d'emploi et de retraite s'appuie sur des décisions prises en 1945 pour fonder la retraite par répartition. La vie de l'individu est découpée en trois périodes successives : formation, travail, repos. Ce système pouvait fonctionner lorsque les jeunes, pour une large part, commençaient à travailler à 14 ans et que la durée de la retraite était en moyenne de trois ans.
Il n'en est plus de même aujourd'hui : les études sont plus longues, la durée moyenne de la retraite est de 19 ans, le travail productif est réalisé par la classe d'âge de 25 à 54 ans qui comprend 41 % seulement de la population et les projections démographiques sont inquiétantes.
Mais le modèle qui sépare la vie de l'individu en trois phases séparées perdure avec ses corollaires : cloison étanche entre les études et le monde du travail et donc difficulté de la première insertion pour les jeunes, hausse du salaire à l'ancienneté (qui contribue à rendre les seniors "non rentables"), statuts rigides qui protègent ceux qui en bénéficient mais excluent les autres (cadres, CDI etc.).
samedi 25 septembre 2010
vendredi 24 septembre 2010
Les économistes atterrés
English version
Le manifeste des économistes atterrés (http://economistes-atterres.blogspot.com/) est judicieux et intéressant. Je l'ai signé.
Le nœud de leur raisonnement est le suivant : alors que sur le marché des produits destinés à la consommation et à l'investissement les prix convergent vers leur niveau d'équilibre par le jeu de l'offre et de la demande, sur le marché des biens patrimoniaux (produits financiers, bâtiments, stocks de matières premières), par contre, les prix divergent.
Sur ce dernier marché, en effet, le constat d'une hausse de prix nourrit l'anticipation d'une hausse future (« ça monte, donc ça va continuer à monter »). L'espoir d'une plus-value suscite une hausse de la demande qui fait encore monter le prix, jusqu'au moment où l'anticipation se retourne (« ça a trop monté, ça ne va pas pouvoir continuer »). Alors le prix s'effondre, traverse le niveau d'équilibre sans s'y arrêter et baisse jusqu'à un nouveau retournement de l'anticipation (« ça a trop baissé, ça ne va pas pouvoir continuer ainsi »).
Le prix des biens patrimoniaux subit ainsi de larges oscillations tandis que pour les produits destinés à la consommation ou à l'investissement, au contraire, une hausse du prix de l'offre provoque (sauf peut-être pour les produits de luxe) une baisse de la demande qui la tempère.
Il était donc follement périlleux de lâcher les rênes du marché financier et de confier de facto aux institutions financières (banques, assurances, fonds de pension, sociétés d'investissement, agences de notation etc.) la direction de l'économie. C'est pourtant ce qui a été fait, de façon persévérante, depuis plusieurs décennies.
Le manifeste des économistes atterrés (http://economistes-atterres.blogspot.com/) est judicieux et intéressant. Je l'ai signé.
Le nœud de leur raisonnement est le suivant : alors que sur le marché des produits destinés à la consommation et à l'investissement les prix convergent vers leur niveau d'équilibre par le jeu de l'offre et de la demande, sur le marché des biens patrimoniaux (produits financiers, bâtiments, stocks de matières premières), par contre, les prix divergent.
Sur ce dernier marché, en effet, le constat d'une hausse de prix nourrit l'anticipation d'une hausse future (« ça monte, donc ça va continuer à monter »). L'espoir d'une plus-value suscite une hausse de la demande qui fait encore monter le prix, jusqu'au moment où l'anticipation se retourne (« ça a trop monté, ça ne va pas pouvoir continuer »). Alors le prix s'effondre, traverse le niveau d'équilibre sans s'y arrêter et baisse jusqu'à un nouveau retournement de l'anticipation (« ça a trop baissé, ça ne va pas pouvoir continuer ainsi »).
Le prix des biens patrimoniaux subit ainsi de larges oscillations tandis que pour les produits destinés à la consommation ou à l'investissement, au contraire, une hausse du prix de l'offre provoque (sauf peut-être pour les produits de luxe) une baisse de la demande qui la tempère.
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Il était donc follement périlleux de lâcher les rênes du marché financier et de confier de facto aux institutions financières (banques, assurances, fonds de pension, sociétés d'investissement, agences de notation etc.) la direction de l'économie. C'est pourtant ce qui a été fait, de façon persévérante, depuis plusieurs décennies.
lundi 13 septembre 2010
Prédation et prédateurs (suite)
Suite à la publication de Prédation et prédateurs, Xerfi m'avait aimablement invité à faire une conférence le 22 avril 2009 (voir la vidéo). J'ai décrit alors sommairement le mécanisme du blanchiment, procédé crucial pour les prédateurs et auquel l'informatique procure une efficacité décisive.
Un banquier qui assistait à la conférence, et dont le nom importe peu ici, me reprocha de n'y rien entendre : « le patron d'une banque, affirma-t-il, n'a aucune envie de se trouver embarqué dans une affaire de blanchiment ». Il ignorait apparemment qu'un professionnel peut se trouver parfois contraint, pour garder son emploi, de faire des choses qu'il n'a aucune envie de faire...
L'article de Robert Mazur (« Follow the Dirty Money », The New York Times, 12 septembre 2010) apporte des informations précises qui résultent d'une expérience professionnelle peu contestable : lorsqu'il était agent du FBI, Mazur a infiltré l'organisation du blanchiment et participé à de ces négociations qui ne laissent pas de trace écrite et que les enquêteurs ont tant de mal à reconstituer.
Les preuves qu'il a rassemblées on conduit en 1991 à la fermeture de la BCCI, septième banque privée du monde, et permis de comprendre comment Manuel Noriega avait caché la fortune que lui procuraient les cartels colombiens de la drogue.
Il faut lire son témoignage : j'en traduis et condense ci-dessous l'essentiel (on peut lire l'article d'origine en cliquant ici).
Un banquier qui assistait à la conférence, et dont le nom importe peu ici, me reprocha de n'y rien entendre : « le patron d'une banque, affirma-t-il, n'a aucune envie de se trouver embarqué dans une affaire de blanchiment ». Il ignorait apparemment qu'un professionnel peut se trouver parfois contraint, pour garder son emploi, de faire des choses qu'il n'a aucune envie de faire...
L'article de Robert Mazur (« Follow the Dirty Money », The New York Times, 12 septembre 2010) apporte des informations précises qui résultent d'une expérience professionnelle peu contestable : lorsqu'il était agent du FBI, Mazur a infiltré l'organisation du blanchiment et participé à de ces négociations qui ne laissent pas de trace écrite et que les enquêteurs ont tant de mal à reconstituer.
Les preuves qu'il a rassemblées on conduit en 1991 à la fermeture de la BCCI, septième banque privée du monde, et permis de comprendre comment Manuel Noriega avait caché la fortune que lui procuraient les cartels colombiens de la drogue.
Il faut lire son témoignage : j'en traduis et condense ci-dessous l'essentiel (on peut lire l'article d'origine en cliquant ici).
samedi 11 septembre 2010
La nature et nous
English version
On peut voir la nature selon au moins deux points de vue différents :
- soit on pense qu'elle constitue l'ordre physique du monde, ordre qui obéit à des lois immuables et qui est extérieur à la connaissance et l'action humaines ;
- soit on pense qu'elle est « l'état des choses », c'est-à-dire tout ce qui se présente devant nos intentions et nos désirs comme obstacle ou comme outil : alors elle est transformée par l'extension de nos connaissances ainsi que par notre action.
Le premier point de vue considère la seule nature physique, avec sa complexité qui est un défi pour la connaissance : il nous est impossible d'atteindre la connaissance absolue, complète, de cette nature car notre savoir ne découpe qu'une sphère finie dans un espace illimité. La nature physique est, dans l'absolu, aussi inconnaissable que ne l'est Dieu pour le judaïsme.
Le deuxième point de vue ajoute à la nature physique la sphère de nos savoirs, savoir-faire et artefacts, sphère dont l'extension progressive transforme les obstacles et outils que la nature nous présente. L'art de la navigation transforme l'océan, le tracé d'une route transforme le désert, la construction d'une maison transforme le terrain, nos déchets polluent le sol, l'eau et l'atmosphère.
Ce point de vue étend la notion de nature en englobant, outre la nature physique, la nature humaine et la nature sociale : c'est en ce sens-là que Durkheim disait « il faut considérer les faits sociaux comme des choses ».
On peut voir la nature selon au moins deux points de vue différents :
- soit on pense qu'elle constitue l'ordre physique du monde, ordre qui obéit à des lois immuables et qui est extérieur à la connaissance et l'action humaines ;
- soit on pense qu'elle est « l'état des choses », c'est-à-dire tout ce qui se présente devant nos intentions et nos désirs comme obstacle ou comme outil : alors elle est transformée par l'extension de nos connaissances ainsi que par notre action.
Le premier point de vue considère la seule nature physique, avec sa complexité qui est un défi pour la connaissance : il nous est impossible d'atteindre la connaissance absolue, complète, de cette nature car notre savoir ne découpe qu'une sphère finie dans un espace illimité. La nature physique est, dans l'absolu, aussi inconnaissable que ne l'est Dieu pour le judaïsme.
Le deuxième point de vue ajoute à la nature physique la sphère de nos savoirs, savoir-faire et artefacts, sphère dont l'extension progressive transforme les obstacles et outils que la nature nous présente. L'art de la navigation transforme l'océan, le tracé d'une route transforme le désert, la construction d'une maison transforme le terrain, nos déchets polluent le sol, l'eau et l'atmosphère.
Ce point de vue étend la notion de nature en englobant, outre la nature physique, la nature humaine et la nature sociale : c'est en ce sens-là que Durkheim disait « il faut considérer les faits sociaux comme des choses ».
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Economie,
Informatisation
lundi 6 septembre 2010
Avant et après 1968
Nous vivions, avant 1968, dans un monde qui appartient à l'histoire tant il diffère du monde actuel et nous devons faire effort pour nous le remémorer. C'était un monde mensonger et 1968, loin de nous faire accéder à la vérité de la condition humaine, nous a fait passer d'un mensonge à l'autre.
Avant 1968, la classe moyenne donnait pour idéal à ses enfants d'être « quelqu'un de bien » et les « gens bien » se reconnaissaient à certains traits qu'il fallait donc acquérir.
Tout d'abord, ils étaient visiblement « à l'aise » : il habitaient une belle maison, possédaient une belle voiture, s'habillaient bien, avaient au moins une femme de ménage, parfois une bonne et même une cuisinière. Puis ils parlaient bien, ayant acquis une « bonne éducation » qui se remarquait aussi dans leur maintien et leur tenue à table.
Nous autres enfants de la classe moyenne étions tenus à distance des enfants de familles ouvrières ou paysannes : « ne joue pas avec eux, ils ne sont pas de notre monde », nous disait-on, « ils ne sont pas fréquentables ».
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Avant 1968, la classe moyenne donnait pour idéal à ses enfants d'être « quelqu'un de bien » et les « gens bien » se reconnaissaient à certains traits qu'il fallait donc acquérir.
Tout d'abord, ils étaient visiblement « à l'aise » : il habitaient une belle maison, possédaient une belle voiture, s'habillaient bien, avaient au moins une femme de ménage, parfois une bonne et même une cuisinière. Puis ils parlaient bien, ayant acquis une « bonne éducation » qui se remarquait aussi dans leur maintien et leur tenue à table.
Nous autres enfants de la classe moyenne étions tenus à distance des enfants de familles ouvrières ou paysannes : « ne joue pas avec eux, ils ne sont pas de notre monde », nous disait-on, « ils ne sont pas fréquentables ».
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