vendredi 4 mars 2011

La France est-elle réellement endettée ?

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Pour savoir si la France est ou non endettée, et à quel niveau, ce n'est pas le rapport « dette de l'Etat / PIB » qu'il faut regarder – ce rapport est une chimère, voir « Un indicateur fallacieux » – mais la dette de la France tous acteurs réunis et donc en additionnant la dette des entreprises, des ménages et de l’État envers des acteurs situés hors de nos frontières.

La Banque de France publie chaque année un « compte des transactions courantes » qui décrit les échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants avec l'extérieur. Le solde de ce compte représente ce que la France a emprunté (ou prêté) chaque année. Son examen va nous montrer que la France n'est pas endettée, du moins pour l'instant...

Ce solde est évalué en euros courants et pour faire apparaître son intensité il faut donc le comparer à un flux en euros courants. Le rapport qui semble le plus intéressant est alors « solde des transactions courantes / PIB en valeur », que les séries disponibles sur les sites de l'INSEE et de la Banque de France permettent de calculer sur les années 1949 à 2010. Le graphique 1 décrit son évolution :

Graphique 1 : solde des transactions courantes / PIB

Jusqu'au début des années 1990 la courbe est très accidentée, il faudrait une analyse historique pour l'interpréter. L'évolution à partir de 1990 est par contre lisible et fortement contrastée : négatif en 1990 (-8 milliards d'euros), le solde s'améliore ensuite continument. Il devient positif en 1992 (3 milliards) puis augmente pour atteindre son maximum en 1999 (43 milliards). Ensuite il décroît rapidement et devient négatif en 2005 (-8 milliards). Il est à un niveau très bas en 2009 et 2010 (-37 et -40 milliards, soit un endettement annuel de l'ordre de 2 % du PIB).

Les années 1990 ont donc été de bonnes années du point de vue de l'endettement de la France mais cet avantage s'est réduit après 2000. À partir de 2005 la France s'est endettée chaque année un peu plus – c'est-à-dire qu'elle a eu de plus en plus tendance à consommer plus qu'elle ne produit (et à investir, mais l'investissement a été relativement faible ces dernières années).

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Assurément une telle conjoncture n'est pas saine car un pays ne peut pas vivre indéfiniment au dessus de ses moyens. Mais tout ceci concerne le flux de l'endettement annuel ; qu'en est-il de la dette ?

Pour l'évaluer il faut cumuler le solde des transactions courantes. Ce cumul est mesuré en nominal comme toujours lorsque l'on parle de dette : les valeurs anciennes compteront donc peu en regard des valeurs récentes car celles-ci sont gonflées par l'inflation.

L'endettement de la France n'était certainement pas nul en 1949, mais sa valeur nominale était faible en regard du flux nominal récent. Faisons donc comme si elle avait été nulle : l'évolution du solde des créances et dettes de la France est alors représentée par le cumul des transactions courantes depuis 1949 que montre le graphique 2 :

Graphique 2 : solde des créances et dettes de la France

Surprise ! Si l'on fait confiance à cet indicateur, la France n'est pas endettée aujourd'hui. Mais elle le sera sans doute bientôt...

La courbe est très plate jusqu'au début des années 1980 car l'image des valeurs passées est comprimée par l'inflation qui a suivi. La dette se creuse dans les années 1980 et atteint un maximum de 42 milliards en 1991. Ensuite les créances s'accumulent : la dette s'annule en 1996 et la France devient de plus en plus créancière, un maximum de 198 milliards étant atteint en 2004. Puis le flux d'endettement réduit rapidement la créance : à la fin de 2010 la France n'est plus créancière que de 47 milliards.

On peut tirer deux leçons de cet exercice rapide :
1) la conjoncture actuelle n'est pas bonne : la France s'endette d'une quarantaine de milliards d'euros par an, soit 2 % de son PIB, et cela ne pourra pas se prolonger indéfiniment ;
2) cependant elle est encore créancière de 47 milliards d'euros vis-à-vis du reste du monde grâce au stock de créances accumulées durant les années 1990, et qui n'a pas encore été entièrement dépensé.

Si la tendance actuelle est défavorable, il n'en reste pas moins que pour le moment la France n'est pas endettée, au contraire. Mais si cette tendance se prolonge le stock de créances sera bientôt dépensé : on peut prévoir que la France sera réellement endettée dans le courant de 2012.

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Mentionnons enfin une précaution nécessaire : nous avons fait comme si le solde des transactions courantes était une valeur certaine. Or la Banque de France publie chaque année un compte « erreurs et omissions » dont le montant n'est pas négligeable, et rien ne garantit que les erreurs se compensent.

Notre conclusion est sans doute qualitativement exacte dans la mesure où les ordres de grandeur du solde des transactions courantes le sont, mais l'évaluation quantitative du solde actuel des créances et dettes est forcément imprécise - pas plus toutefois que ne l'est celle du rapport « dette de l'Etat / PIB » dont tout le monde parle et qui est en outre logiquement absurde.

8 commentaires:

  1. Ca serait intéressant d'voir les mêmes courbes pour les autres pays (Allemagne et les autres "gros" pays d'europe, USA, Chine, Japon... et aussi Russie, Inde, Brésil pour les tendances récentes)

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  2. Bonjour,
    juste une petit message pour souligner qu'utiliser le prétexte d'une imprécision du discours politique ('La France est endettée' à la place de 'L'Etat français est endetté'), pour laisser penser qu'il n'y a pas de sujet de finances publiques en France est à mon avis fallacieux.
    D'une part l'historique des déficit publics français démontre une incapacité structurelle au désendettment de l'Etat (un des rares pays de l'OCDE à n'avoir connu aucune année de surplus budgétaire depuis 1974). D'autre part, le niveau des ressources publiques (ETAT+collectivité locales+APU) représentant déjà presque 50% du PIB (seule la Suède le dépasse me semble-t-il) la capacité de l'Etat français à lever plus de ressources pour financer son endettement apparaît très limitée. Evidemment votre analyse tendrait à suggérer que la solution serait simplement de confisquer du patrimoine privé pour désendetter l'Etat. Si une telle chose était constitutionnelle (ce qui n'est pas le cas) on pourrait effectivement se soucier uniquement de la situation nette du pays sans se préoccupper des comptes de chaque acteur. Ce n'est pas le cas.
    Bref, le compte courant et la situation nette d'un pays sont tous deux des facteurs clefs pour évaluer sa compétitivité et ses marges de manœuvre économiques. Il est même probable que celui-ci soit un facteur plus important que le déficit public per se. Mais cela ne résous pas le problème de finances publiques qui est devant nous, ni n'épuise le débat sur la fiscalité.
    Auriez-vous un point de vue sur ces questions (poids des dépenses public dans l'économie, réforme fiscales, réduction des dépenses) ?

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  3. La coût de la dette qui constitue le deuxième poste du budget résulte d'un solde négatif des recettes eu égard aux dépenses. Autrement dit, plus les recettes diminuent, plus l'État risque de devoir emprunter pour compenser la diminution (organisée) de ses rentrées (réductions d'impôts, bouclier fiscal, tva des restaurateurs).

    A qui l'Etat emprunte-t-il si ce n'est a ceux qui ont de l'argent à prêter ?

    Et qui sont-ils pour partie ces créanciers de l'État ? Ces mêmes à qui ont accorde des cadeaux fiscaux !

    Et d'où provient l'argent qu'ils prêtent à l'Etat ? Eh bien de la cagnotte supplémentaire que ces personnes ont pu constituer en étant moins redevables à l'Etat au titre de l'impôt !

    Autrement dit, les dirigeants de l'État ont gérer les intérêts du pays sur un mode pour le moins étrange. Sans même faire de procès d'intention en clientélisme voire en clantélisme (cf le Premier cercle de l'UMP qui se confond pour partie avec la bande du Fouquet's), force est de reconnaître que le résultat de cette gestion est carrément un échec !


    Plus sur cet aspect de la dette nationale :

    Si la dette est bien un problème, ce n’est pas celui que l’on prétend
    par Raphaël THALLER et Lilian BRISSAUD

    ==> http://humanite.fr/17_11_2010-si-la-dette-est-bien-un-problème-ce-n’est-pas-celui-que-l’-prétend-458004

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  4. @Axel
    "L'imprécision" du discours politique - qui est aussi le discours médiatique - n'est pas innocente en l'occurrence et elle a des effets sur l'opinion. Il fallait remettre les choses à leur place.
    Nous nous rapprochons me semble-t-il dans votre conclusion. Et pour répondre à votre question : oui, j'ai une opinion sur la place de l'Etat dans notre économie, sur la fiscalité et sur les déficits publics ; mais il faut que je travaille encore sur ce sujet avant de pouvoir publier.

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  5. @Pascal
    Ne faudrait-il pas donner l'équivalent d'un point Godwin à ceux qui évoquent le fameux dîner du Fouquet's ?
    Plus sérieusement : le gros de la dette de l'État français est détenu par des acteurs étrangers et non par des Français privilégiés. Le circuit que vous décrivez ne s'est donc pas amorcé.

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  6. Sauf que ces mêmes Français achètent de la dette étrangère avec cette ristourne généreusement (et indument accordée) par un certain type de pouvoir ! Autrement dit, quelque part, le circuit que je décris conserve sa pertinence. Les cadeaux fiscaux accordées depuis plusieurs années coûtent cher au budget de l'Etat !

    Point Godwin ? pourquoi pas ; néanmoins ça se discute et je suis sûr que vous conviendrez qu'on peut trouver incongrü pareil événement en pareille circonstance. Aussi de mon côté si je consens à recevoir ledit point, je n'en attend pas moins que vous le justifiiez en mettant sur la table vos arguments ! Car toute sentence doit être motivée ;)

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  7. @Pascal
    Je reconnais qu'un point Godwin, c'était peut-être un peu excessif... Mon argument, le voici : pour évaluer la présidence de Nicolas Sarkozy, mieux vaut considérer ce qui s'est passé depuis 2004 plutôt que l'événement symbolique inaugural du Fouquet's.

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  8. Merci de m'avoir signalé ce billet qui m'avait échappé.

    Votre solde proche de 0 ressemble, sans doute est-ce un hasard, au "patrimoine financier net" calculé par l'INSEE à -33 milliards pour l'ensemble de la Nation à fin 2009 :

    http://insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=T11F122

    L'INSEE calcule aussi une "série longue" mais qui commence en 2008 ;-)

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