dimanche 26 juin 2011

Manipulation gouvernementale

Voici les déclarations successives de Claude Guéant :

A - « Les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés » (Europe 1, 22 mai 2011)  ;

B - « C’est vrai qu’il y a deux tiers des enfants d’immigrés qui se trouvent sortir de l’appareil scolaire sans diplôme » (Assemblée nationale, 25 mai 2011)  ;

C – Dans une lettre à Libération (27 mai 2011), Guéant revient à sa première affirmation : « deux tiers des enfants qui sortent de l’école sans qualification sont des enfants de familles immigrées ».

Les deux premières déclarations ne sont évidemment pas équivalentes, mais on doit charitablement supposer qu'à l'assemblée nationale la langue du ministre a fourché.

Guéant dit s'appuyer sur une étude de l'INSEE. L'adresse de cette étude est http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/immfra05f.PDF. Regardons ce qu'elle dit.

Les pourcentages sont indiqués à la p. 99 de l'étude : 10,7 % des enfants de familles immigrées sortent de l'enseignement secondaire sans qualification (Guéant a dit à l'assemblée nationale qu'il y en avait 66,7 %). Cette proportion est de 6,1 % parmi les enfants de familles non immigrées. La différence est significative mais non exorbitante : le fait est que près de 90 % des enfants d'immigrés sortent de l'enseignement secondaire avec une qualification, ce qui montre tout à la fois que ces enfants sont en majorité travailleurs et que cet enseignement est plutôt efficace.

Examinons la première déclaration de Guéant, celle à laquelle il tient le plus puisqu'il l'a répétée dans sa lettre à Libération.

Notons X le nombre des enfants d'immigrés dans la population scolaire, Y le nombre des enfants de familles non immigrées, x et y les pourcentages respectifs de ceux qui sortent de l'école sans qualification.

D'après l'étude, « à la rentrée 1995, près d'un entrant en sixième sur dix appartient à une famille d'immigrés » (p. 98). Donc X = Y/9, tout au plus. La proportion des familles mixtes n'étant pas indiquée dans l'étude de l'INSEE, nous n'en tiendrons pas compte. Ces deux approximations auront pour effet de maximiser la part des enfants de familles immigrées dans l'échec scolaire, le résultat de notre calcul sera ainsi biaisé par excès.

Le pourcentage des enfants de famille immigrées parmi ceux qui sont sortis de l'enseignement secondaire sans qualification est donc inférieur à :
xX/(xX + yY) = 10,7/(10,7 + 6,1*9) = 16,3 %,
et non égal à 66,7 % comme le prétend Guéant.

*     *

Je ne pense pas que Guéant ignore la règle de trois : s'il énonce une contrevérité évidente, ce n'est pas par erreur. En émettant un signal qui flatte les préjugés de la partie la moins éclairée de la population, il espère conforter la position de son parti lors de la prochaine élection présidentielle.

Qu'importent les faits, leur mesure, qu'importe la logique elle-même lorsqu'on est lancé dans la course aux voix ! Qu'importe si en violant les faits et la logique on détruit le pays, car la nature se venge toujours quand on la viole....

Il n'est que trop clair que Guéant nous prend pour des crétins. L'expérience montrera s'il a tort ou raison, mais en attendant je déplore le silence du directeur général de l'INSEE et j'approuve les protestations de l'intersyndicale.

Accorder plus d'autorité à un ministre qu'à l'institut de statistique pour le constat des faits, c'est inverser en effet la relation entre expert et décideur et prendre le risque de glisser vers un totalitarisme.

Post-Scriptum du 27 juin 2011 : je découvre le communiqué de presse de l'INSEE enfin sorti ce matin. Il remet Guéant à sa place qui est celle d'un ministre et non d'un expert.

4 commentaires:

  1. Et si M. Guéant avait simplement fait le rapport des pourcentages : 10.7/(10.7+6.1) # 2/3 ?

    Révélant ainsi, outre son populisme, son ignorance crasse.

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  2. @Anonyme
    Je crains bien en effet que ce soit là le calcul qu'a fait Guéant... J'y vois une manipulation plutôt qu'une erreur, car celle-ci serait trop énorme.

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  3. Règle de 3 mise à part, les deux conclusions elles-mêmes

    "il y a deux tiers des enfants d’immigrés qui se trouvent sortir de l’appareil scolaire sans diplôme"

    et

    "deux tiers des enfants qui sortent de l’école sans qualification sont des enfants de familles immigrées"

    sont tellement aberrantes par rapport au sens commun, pour qui a une connaissance même très vague de jeunes scolarisés ou de familles immigrées, que seulement deux explications me semblent possibles :

    1) au niveau où se situe (où croit se situer) M. Guéant, la réalité sociale n'a plus aucune importance (même si l'Intérieur aurait la mission d'en rendre compte), le "plus c'est gros plus ça passe dans les journaux" est la seule réalité politique qui compte ;

    2) dans le vocabulaire politique, le lien entre chiffre et réalité n'est pas pertinent ; même une statistique aussi simple et basique que "deux tiers" n'est pas supposée renvoyer à une réalité, elle joue uniquement une fonction rhétorique et amplificatrice, elle souligne l'intention sous-jacente de l'orateur : dénoncer la place de l'immigration dans notre société.

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  4. Un autre exemple de chiffre aberrant.
    Dans le Monde daté du 2 août, long article de Maryline Baumard sur Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne.
    A la fin de l'article :
    " Dans sa tête (celle de L. Bigorgne) il y a toujours ces deux équations insupportables :
    - la première, c'est qu'un fils d'ouvrier a quatorze fois moins de chances qu'un fils de cadre de décrocher le bac,
    ....
    Si on cherche à nier ces réalités-là, on se plante."
    Ceci voudrait dire que si 100% des fils de cadres obtenaient leur bac, les enfants d'ouvriers ne seraient que 7%. Chiffre évidemment aberrant (rappelons qu'environ 70% de la classe d'âge décroche le bac).
    Si on regarde la statistique ministérielle - RERS 2010 de la DEPP page 139 - http://media.education.gouv.fr/file/2010/16/9/RERS_2010_152169.pdf
    - parmi les enfants de cadres et d'enseignants entrés en 6ème en 1995, 88% ont obtenu leur bac,
    - parmi les enfants d'ouvriers 49%.
    Comme presque tous les enfants entrent en 6ème, le rapport est donc 1,8 (ce qu'on peut parfaitement considérer comme encore trop élevé) mais certainement pas de 14.
    Le lecteur moyen du Monde gobe le 14, car la présentation des tests PISA par ce journal dit "de référence" et le reste de la presse française l'a persuadé que l'enseignement français était un des plus anti-sociaux de la planète.

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