lundi 24 septembre 2012

Investir massivement dans l'Iconomie pour créer les conditions d'une nouvelle compétitivité

Texte de l'intervention d'Alain Marbach pour la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Le positionnement des entreprises, leur compétitivité, sont de plus en plus influencées par la qualité de leur système d'information qui détermine la nature de leurs produits, la façon de les produire et la relation avec leurs partenaires. Le système d'information revêt donc une importance stratégique, il mérite toute l'attention des dirigeants. Or qu'entend-on dire par la plupart des dirigeants français ? « l'informatique, c'est de la technique, je n'y comprends rien, la seule chose que je sais c'est qu'elle coûte trop cher ».

Cette inconscience concerne il est vrai surtout les processus de gestion : chez un opérateur de téléphonie mobile, par exemple, et alors que les automatismes qui assurent l'acheminement du signal vocal sont hautement performante, l'informatique de gestion reste étonnamment négligée.

Il en résulte de graves conséquences. La dépense informatique annuelle des entreprises françaises se situe entre 60 et 80 milliards d'euros dont la moitié pour la production, et une moitié de la production est relative à des équipements en double ou qui ne sont pas au point, à des personnes qui doivent gérer les pannes en courant dans tous les sens. 15 milliards sont ainsi gaspillés chaque année. En outre plusieurs milliards d'euros pourraient être économisés si nos grandes entreprises et nos ETI savaient mieux gérer leurs licences logicielles : mon expérience professionnelle m'en apporte la preuve.

Il y a aussi des progrès à faire dans le recours aux SSII. L'abus de la régie confine au prêt illicite de main d’œuvre et l'appel systématique à des compétences externes interdit la capitalisation des compétences nécessaires à l'entreprise.

Une panne informatique peut d'ailleurs être mortelle : en octobre 2011, la panne qui a frappé le Blackberry sera peut-être pour Research in Motion l'équivalent de ce qu'a été Bhopal pour Union Carbide : l'accident de trop, qui conduit à la perte d'autonomie et à la fin de l'entreprise. Dans la finance, une grande grande entreprise peut être ruinée en quelques minutes par un algorithme mal supervisé : c'est arrivé récemment à Knight Capital.

Une étude de CA Technologie montre que les entreprises françaises subissent en moyenne trois pannes majeures chaque année, contre deux seulement en Allemagne, et qu'elles perdent ainsi quarante heures d'activité par an.

Dans son rapport de juillet 2012 sur la cyberdéfense, le sénateur Bockel dit que les entreprises françaises ne sont pas assez sensibilisées au risque d’attaque informatique : la sécurité des réseaux est leur talon d'Achille. Les administrations ne sont pas exemplaires non plus : peu de ministère ont mis en place une politique de sécurité et plusieurs d'entre eux ignorent la cartographie de leurs propres réseaux ou même, ce qui est pire, la finalité de leur système d'information. Or la qualité du fonctionnement nominal de l'entreprise ne peut s'acquérir qu'avec un système informatique supervisé, comportant des dispositifs de reprise automatique en cas d'incident et de fonctionnement en régime dégradé.

Manque de sécurité, pannes trop fréquentes et coûteuses : c'est déjà inquiétant, mais il y a plus. L'économie des effets utiles suppose un effort de conception du système d'information assimilable à de la R&D : il faut donc transformer les institutions en profondeur pour les adapter à l'iconomie qu'il s'agisse des entreprises ou des grands systèmes de la nation, enseignement, santé, emploi, justice etc.

Voici quelques exemples. Dans le câblage électrique, les quatre leaders européens sont allemands et chacun gère d'innombrables références : seule l'informatique permet de maîtriser cette complexité. Wieland, qui est le plus petit des quatre, a mis au point une chaîne informatique et logistique exceptionnelle. Il prend le plan d'un bâtiment, définit son schéma électrique et livre sur le lieu de construction, à la bonne date, tous les câbles taillés à la bonne longueur avec leurs terminaisons détrompées. Il fait gagner gagner au chantier de quinze jours à un mois.

Un autre exemple, c'est SEW, fabricant de moteurs électriques sur mesures lui aussi allemand. Au lieu de prendre la commande, puis de fabriquer les pièces et de les assembler – ce qui prenant plusieurs semaines – SEW a informatisé la gamme d'assemblage et le réseau de distribution : il est désormais capable de livrer en 24 heures un moteur conforme aux besoins du client.

Une entreprise comme Axon', qui produit en France des systèmes de câbles pour les satellites, les automobiles, les équipements médicaux etc., a misé sur la montée en gamme en s'appuyant sur l'innovation, les nouveaux matériaux et l'automatisation, ainsi que sur le contrôle strict des délais d’approvisionnement, dépannage, maintenance etc. Elle a ainsi conquis une place privilégiée sur le marché mondial.

Il nous faut donc « réinventer l'industrie » plutôt que réindustrialiser ! Il s'agit de faire émerger une « néo-industrie » s'appuyant sur l'automatisation et l'informatisation, d'industrialiser des produits nouveaux, de les entourer aussi de services de haute qualité.

Cela ne se fera pas tout seul. Les gouvernements allemands ont dès les années 80 gorgé leur industrie mécanique de subventions grâce à une structure créée à l'occasion du plan Marshall et toujours très active, le Kreditanstalt für Wiederaufbau. Cela a permis à leurs entreprises de prendre de l'avance en automatisation et en informatique de gestion.

L'informatisation conditionne la qualité des produits, l'interopérabilité des partenariats, l'effet utile perçu par le client ; elle conditionne ainsi l'efficacité de toutes les institutions et, en particulier, la compétitivité de l'industrie. Les retards et errements que l'on constate en France dans l'informatique sont une des causes et peut-être la cause principale de la dégradation de la balance commerciale. Les défaillances de pertinence, d'efficacité et de disponibilité de l’informatique créent en effet un handicap lourd et insidieux pour notre économie.

L'informatisation est devenue un point névralgique et crucial : l'industrie doit soigner aujourd'hui son informatique autant, ou même plus, que ses produits, ses usines et son commerce, car elle les conditionne tous.

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