samedi 12 janvier 2013

Christian Saint-Etienne, France : état d'urgence, Odile Jacob, 2013


J'espère que ce livre sera lu par nos politiques, auxquels Christian Saint-Etienne distribue des gifles méritées et instructives. Il dynamite le politiquement correct en dénonçant la « médiocrité consentie » dans laquelle notre pays se complaît. Au lieu de cultiver notre « droit à être » républicain, dit-il, nous revendiquons un « droit à avoir ».

Qu'est-ce que ce « droit à être » ? C'est le droit à agir de façon responsable, à entreprendre, à créer ; c'est l'héritage le plus précieux de notre République, qui a proposé à chaque Français d'adhérer aux valeurs de courage, dignité, réserve et droiture qui étaient celles de la noblesse tout en les détachant des privilèges auxquelles elles avaient été liées.

Qu'est-ce que le « droit à avoir » ? C'est le droit à recevoir aides et soutiens, le droit à bénéficier (en se disant « puisque j'y ai droit ») de tout effet d'aubaine qui se présente. Ce droit-ci résulte, dit Saint-Etienne, d'une représentation déterministe du destin humain : si l'on suppose que chacun est conditionné par son origine sociale et son éducation, l'appel à la responsabilité et à l'effort sur soi est incongru et il convient d'être compatissant, fût-ce avec un mépris secret, envers ceux que le sort a défavorisé.

Saint-Etienne date des années 1980 l'émergence de ce « droit à avoir » comme règle commune de comportement. Il en fait porter la responsabilité à Mitterrand et à Chirac (il est moins critique envers Sarkozy).

Il me semble pourtant que l'on doit remonter plus loin. L'esprit républicain implique en effet une exigence très haute. Il est donc naturel qu'il ait rencontré un refus qui a pris des formes diverses : autoritaire et hiérarchique sous Pétain (« élite » concentrée au sommet), dogmatique sous les « trente glorieuses » (la constellation du marxisme, de la psychanalyse et de la sociologie pesait alors sur les esprits comme un couvercle), molle et niveleuse aujourd'hui (l'exigence est entièrement bannie).

Chacun de ces refus trahissant ce que l'histoire nous a légué de meilleur, cette suite de trahisons nous a laissés sans ressort devant les possibilités et les dangers qu'apporte l'informatisation, devant la perspective d'une « iconomie entrepreneuriale ». Comme en 1938 lors des accords de Munich nous préférons refuser de voir les choses en face : nous souhaitons à la fois la décroissance et la fin du chômage, un « revenu de vie pour tous » et la préservation nostalgique de tout ce qui est ancien associée à la virginité restaurée de la nature...

De ce désordre dans nos idées et dans nos désirs résulte une incapacité collective à prendre les décisions les plus nécessaires. Saint-Etienne décrit des réformes qu'il serait utile d'apporter à la fiscalité et aux institutions européennes. Il faut souhaiter que ces dispositions très techniques soient méditées par ceux qui détiennent les pouvoirs législatif et exécutif, mais quelle sera leur faisabilité politique en France ? Comment surmonter les obstacles qu'élèveront les multiples « droits à avoir » qu'elles bousculent ?

Cette incapacité, cette cécité collective nous confrontent cependant à un mur : l'économie part en lambeaux, le système productif se rétrécit, le chômage est devenu massif, la balance des transactions courantes est déficitaire et il en résulte un endettement croissant du pays, phénomène dont on parle peu et qui est beaucoup plus grave que l'endettement de l’État, dont on parle trop.

Le risque d'une catastrophe prochaine nous présente une chance à saisir : il invite chacun à revendiquer son « droit à être », à trouver en soi-même des ressources de responsabilité, de créativité et d'énergie.

Le plein emploi ne s'obtiendra pas en faisant de chaque entreprise une garderie de salariés, mais en multipliant le nombre des entreprises et en encourageant leur croissance. La prospérité ne viendra pas du maintien des techniques obsolètes que chérissent les corporations, mais de l'exploitation hardie des possibilités qu'offre l'informatisation. L'efficacité ne sera pas atteinte par une automatisation brutale, mais par une articulation intelligente entre les ressources de l'automate et celles, illimitées, qu'offre le cerveau humain. Enfin l'entrepreneur ne pourra être efficace que s'il rencontre, dans l'entreprise, de ces animateurs qui se trouvent parmi les scientifiques, les ingénieurs et les organisateurs.

Il faut donc, pour engager une croissance intelligente, revendiquer l'« élitisme pour tous » qu'a annoncé Diderot, promesse de notre République et exact contraire de l'élitisme sélectif qui se cache aujourd’hui sous le masque de la compassion et qui pourrait adopter de nouveau demain la forme autoritaire.

3 commentaires:

  1. J'en ai félicité séparément CSE, qui vous tient manifestement en haute estime ; c'est donc mutuel (... mais désespéré ?)

    pierrebouteille@wanadoo.fr

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  2. Sur son site :

    "- Lutter pour l'environnement selon les principes de la croissance durable.

    Il faut appliquer le protocole de Kyoto et mettre en place un plan de développement durable dans les Pays en Voie de Développement afin de les aider à acquérir des technologies écologiquement propres."

    Ca ressemble a du greenwashing, en tout cas pas de remise en cause de du mode de vie occidental (responsable de notre empreinte écologique non-durable) qui est malheureusement le modèle pour les Pays en Voie de Développement...
    Il s'en remet comme beaucoup de monde aux technologies (certaines sont indispensables, mais en tout cas pas suffisantes. L'exemple le plus frappant étant l'énergie : les renouvelables et l'efficacité des techno ne suffiront pas si il n'y a pas aussi un effort de sobriété), c'est triste.

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    1. Vous avez mal lu CSE.
      "Appliquer le protocole de Kyoto", ce n'est pas en effet "s'en remettre aux technologies". C'est précisément "remettre en cause le mode de vie occidental" en faisant "un effort de sobriété".
      La preuve : les Américains s'y refusent.

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