dimanche 27 octobre 2013

La SNCF et le mythe du « numérique »

Guillaume Pepy a réuni le 12 septembre dernier 5 000 cadres de la SNCF pour présenter son plan stratégique « excellence 2020 » (Jacques Secondi, « SNCF contre Google », Le nouvel économiste, 17 octobre 2013).

S'agit-il de renforcer la qualité des voies et de la signalisation ? d'améliorer le confort et la ponctualité des trains ? d'en finir avec le déclin du transport du fret ? Nenni : il s'agit de « rivaliser avec Google » en exploitant les données que collecte voyage-sncf.com pour proposer au voyageur des solutions « porte à porte » assemblant train, bus, vélo, voiture en auto-partage et covoiturage de façon à répondre au mieux à ses besoins en termes de prix, disponibilité et confort. Pourquoi pas, en effet ? C'est une idée banale.

voyage-sncf.com pourra-t-il vraiment rivaliser avec Google pour inférer les besoins des clients à partir des données collectées ? La question n'est sans doute pas là : il s'agit plutôt de montrer que l'on est dans le coup, dans le « numérique », et donc capable d'accéder à la stratosphère de la « stratégie » en s'élevant bien au-dessus du terre-à-terre de l'entreprise.

Malheureusement la stratosphère est stérile, fût-elle « numérique » : l'expérience enseigne que toute stratégie efficace s'enracine dans l'humus du terrain, dans la connaissance approfondie des techniques, dans l'écoute des personnes.

*     *

Voici un fait qui révèle à lui seul que la SNCF s'oriente au rebours de l'efficacité : dans les petites gares, la vente des billets de train est désormais interdite les samedis et les dimanches.

Représentez vous la situation : l'agent de la SNCF est face au client, il est disponible et n'a rien d'autre à faire, il est désolé mais il n'a pas le droit de vendre. Pour être sûre d'être obéie l'entreprise a d'ailleurs bloqué son ordinateur pendant les week-ends : cela révèle une étrange conception du système d'information.

Cette situation est humiliante pour l'agent comme pour le client qui, invité à repasser en semaine, ne peut rien faire d'autre que de rédiger une protestation sur un formulaire. Le « chargé de relation client » de la SNCF lui répondra par un courrier standard que résume la phrase « vous n'avez qu'à acheter vos billets de train sur l'Internet ».

Est-ce cela, la « connaissance fine du client » que Pepy dit ambitionner ?

*     *

Rien n'est plus précieux, pour une entreprise, que ce qui se passe lorsqu'un agent se trouve en face d'un client, rien n'est plus important pour le système d'information que les observations rassemblées à cette occasion. Ignorer cela, c'est à terme la mort de l'entreprise.

L'analyse des données que recueille voyage-sncf.com permettra de peaufiner le « yield management », d'offrir au voyageur ces « miles » dont il est si difficile de tirer parti, de lui envoyer des « offres personnalisées » rédigées dans l'inimitable jargon de la SNCF : tout cela ne compensera jamais le ressentiment du client auquel l'agent, qui est lui aussi un être humain, a été contraint de refuser une vente.

8 commentaires:

  1. Bonjour,

    pour compléter votre exemple, nous pouvons également citer les gares de banlieue parisienne pourtant très fréquentées... Dans certaines, il n'y a plus de guichets grandes lignes, seulement une machine qui est très pratique lorsqu'il s'agit de récupérer un billet commandé sur internet mais qui ne permet pas de modifier ou annuler un billet. Il faut alors se rendre dans une gare avec un guichet grande ligne et patienter dans la file d'attente alors que l'agent juste à côté au guichet banlieue n'a pas de client (situation vécue plusieurs fois ces derniers mois)!

    RépondreSupprimer
  2. Pour rester dans les transports et prendre un peu de hauteur, je vous relate mon expérience vécue la semaine dernière à Orly entre Air France et sa nouvelle filiale à 100 % : Hop !

    Probablement dans la confusion du lancement de Hop !, ma mère (83 ans) s'est vu facturer deux fois un même vol : une fois par Air France et une fois par Hop ! Après plusieurs lettres et coups de fils infructueux, on profite du prochain départ pour demander (calmement) à de "vrais gens".

    Le personnel de Hop ! nous disent qu'ils ne peuvent rien car ils n'ont aucune information en dehors de l'embarquement en cours, et nous conseille d'aller voir l'agence commerciale d'Air France qui est à ... 30 mètres.

    Nous demandons donc à la personne du guichet qui nous répond que Hop ! est une compagnie différente d'Air France, qu'il n'est au courant de rien (dixit : pas moins, pas plus que si c'était British Airway) et ne peux donc rien faire sauf à dire qu'il n'y a aucun problème du point de vue d'Air France ... ce que je veux bien le croire !

    Ces personnes qui travaillent à 30 mètres l'un de l'autre et qui appartiennent à la même société ne se (re)connaissent pas et sont donc incapables (au sens où l'organisation et le SI ne leur en a pas donné les capacités) de répondre à la moindre demande de leur client.

    Je ne m'imagine pas une telle situation avec un américain, un japonnais ou un chinois !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'imagine très bien une telle situation avec un américain, un japonnais ou un chinois !
      Le cloisonnement, la division, la taylorisation hélas se déploient internationalement
      Le jour ou chacun appliquera à la lettre toutes les consignes et que les consignes qui lui sont prescrites, qu'arrivera-t-il ?

      Supprimer
  3. Haute sphères numériques et l'expérience client entre un site SNCF et le guichet.
    Entre la tarification sur écran PC à la maison et la tarification au guichet, il y a déjà un décalage numérique. Avant d'utiliser le RER, je regarde à la maison, le tarif pour 4 personnes. C'était raisonnable, je décide donc de choisir le RER D pour aller au stade de France. Le jour du déplacement, le tarif est différent et en + à la hausse... La personne au guichet me dit "certaines personnes sont dans l'incompréhension comme vous". What else ?
    La prochaine fois : métro pour nous 4, moins rapide, quoique, moins cher et surtout tarif fixe et connu à l'avance.
    Solution 2 :Aller chercher ses billets à l'avance, la veille par exemple, m'aurait permis de changer d'avis et prendre le métro : un client heureux (cycliste/motard/automobiliste, petit consommateur de la SNCF)

    RépondreSupprimer
  4. Certes, le comportement de la SNCF semble absurde si on s'arrête à l'hypothèse intuitive que le client de la SNCF est le "voyageur" (personne qui achète les billets). Mais si l'on en vient à considérer que le vrai client de la SNCF est le ministre, tout devient beaucoup rationnel.

    RépondreSupprimer
  5. Ces ambitions mirobolantes seraient crédibles si la SNCF se montrait capable de faire déjà correctement son travail courant. Or elle plante ses clients, les fait attendre (il faudrait calculer les millions d'heures de travail perdues en files d'attentes, en retards ou en suppressions de trains) et n'a cessé de dégrader son service – insécurité, inconfort et malpropreté dans les trains et les gares, suppression de nombreux wagons-restaurants et trains de nuit. Après beaucoup de mauvaises expériences, quand je veux voyager en Europe, je m'adresse aux chemins de fer Suisses, qui me trouvent des trains français que "Voyages.SNCF.com" ignore !

    RépondreSupprimer
  6. Un bien beau billet… ou quand le miroitement de la représentation numérique du monde, fait oublier qu'il existe sous ces avatars acheteurs de trajets, des voyageurs ayant réellement besoin d'aller d'un endroit à un autre !

    RépondreSupprimer
  7. Pareil à La Poste, c'est affreux pour les clients, et je me sens mal à l'aise face à la personne au guichet, qui il y a 2 an encore se montrait compétent et rapide.

    RépondreSupprimer