Nous avons tous été émus par les événements de cette semaine. Il faut cependant dominer cette émotion car elle donne de mauvais conseils. Il ne convient pas de parler de « guerre » quand on a affaire à des assassins : les combattre est la mission de la police et non celle de l'armée. Il ne faut jamais dire que l'on a peur car cela réjouit les terroristes dont le but est précisément de terroriser. Il ne faut d'ailleurs pas avoir peur : certes ils sont odieux, mais ils ne pourront jamais nous tuer autant que ne le font notre laisser-aller dans la consommation d'alcool, de tabac, et notre chère automobile...
Ceux qui, à tort ou à raison, estiment que la société les ignore croient ne pouvoir exister que si l'on parle d'eux dans les médias. Par ailleurs notre culture confond souvent l'énergie avec la violence et accorde à celle-ci une prime de prestige : ne voyons-nous pas des dirigeants proclamer « je suis un tueur » et se comporter en brutes, comme cela s'est passé à France Télécom, comme cela se passe encore dans d'autres grandes entreprises ?
Alors tenir une arme dans ses mains, menacer et tuer des personnes sans défense donne au plus pauvre des imbéciles une illusion de puissance. Il est mal venu de parler du « professionnalisme » des tueurs, de leur « froide efficacité », de leur « savoir-faire » : de telles expressions sont pour ces esprits faibles autant de compliments délicieux. Accumuler des mesures sécuritaires qui bloquent l'économie et entravent la circulation, stigmatiser les Français dont la religion est l'islam, ce serait leur donner la victoire. Relativiser la menace n'empêche pas de les combattre mais permet de « raison garder ».
Cela n'interdit pas de travailler, réfléchir, comprendre. L'islamisme, dit Abdelwahab Meddeb, est la maladie de l'islam et cette maladie est épidémique. Quelle est son origine ? Comment se répand l'épidémie ? Comment la stopper ?
Pour pouvoir la comprendre il faut la situer dans le tableau des pathologies. Les chrétiens ont connu des maladies analogues : que l'on pense aux croisades, aux guerres de religion, etc. Pendant des siècles l’Église, assemblée des fidèles, a conféré au clergé une autorité qui confinait à l'idolâtrie. La séparation de l’Église et de l’État nous a libérés du cléricalisme : la quasi-disparition de la pratique religieuse montre à quel point celle-ci était superficielle et mondaine.
La laïcité et la science peuvent procurer à la foi des fondations plus solides que ne le font la lecture littérale des Écritures et le respect des traditions. La laïcité invite chacun à honorer en son cœur un Dieu dont aucun culte n'épuise l'immensité, ce qui implique le respect envers les autres cultes et une fidélité intérieure plus authentique que les simagrées liturgiques ou vestimentaires. Des génuflexions, la longueur d'une barbe, la forme extravagante d'un pantalon ou d'une robe expriment non la fidélité à une parole mais le particularisme jaloux d'une secte.
Le conflit entre la science et la religion a opposé l'autorité des clercs à celle du constat des faits. La démarche expérimentale respecte en effet le caractère infini de ce qui existe, « se tient debout en dehors » de la pensée, et l'écart que le chercheur observe entre l'illimité de l'existant et la finitude de sa pensée l'oriente, à sa grande surprise, vers la découverte de Dieu.
Il reste que les sociétés auront toujours besoin de la cohésion autour de valeurs communes, service que la religion leur rendait naguère. Cette cohésion, nous autres Français pouvons la trouver dans la laïcité et la science, dans une lecture philologique des Écritures, dans la conscience d'une nature et d'un destin devant lesquels les êtres humains sont tous égaux.
C'est une conquête et elle n'est pas achevée. Lorsque Jean-Paul II a dit « France, qu'as-tu fait de ton baptême ? », nous aurions pu lui répondre « et toi, Église, qu'as-tu fait de la parole du Seigneur Jésus ? ». C'est le sens, en effet, de la leçon que le pape François a infligée récemment aux Éminences de la Curie.
Les valeurs de la laïcité et de la science expérimentale se proposent à quiconque entend être fidèle à une parole qu'il a reçue dans son cœur. On ne doit cependant pas exiger que les sociétés dont la culture a été modelée par l'islam fassent en quelques années un chemin qui nous a demandé des siècles de sacrifice humain. Leur situation historique les soumet d'ailleurs à une pression douloureuse : comment peuvent-elles, tout en assumant leur identité, accepter les valeurs de la laïcité et de la science alors que l'Occident s'est longtemps comporté et se comporte encore, contrairement à ces valeurs, en puissance méprisante et dominatrice ?
Il est sans doute trop tentant pour des personnes immatures ou perverses de compenser cette pression en se réfugiant dans un fondamentalisme violent qui, réduit à quelques préceptes vestimentaires, alimentaires et autres, ignore tout de la profondeur de la foi. Il n'était de la part de Charlie Hebdo ni charitable, ni très intelligent, d'attiser cette tentation en publiant des caricatures provocatrices. La liberté de pensée et d'expression a des limites qui sont celles de la responsabilité : pensons au délire des négationnistes.
Il ne faut pas s'y tromper toutefois : les blasphémateurs ne sont pas ceux qui ont voulu ridiculiser le formalisme d'une secte, mais les soi-disant « islamistes » qui, inspirés par l'esprit du Mal, assassinent, torturent, violent et se suicident tout en prétendant être seuls fidèles à Dieu.
J'apprécie particulièrement cette phrase : << Cette cohésion, nous autres Français pouvons la trouver dans la laïcité et la science, dans une lecture philologique des Écritures, dans la conscience d'une nature et d'un destin devant lesquels les êtres humains sont tous égaux >>. "La lecture philologique des Écritures", c'est le but de mes deux blogs, http://www.hemmelel.fr/blog/ (rubriques Concordances et La Révélation et http://www.judeopedia.org/blog/( rubriques Lieux, Personnages, Savez-vous que ?)
RépondreSupprimerMerci pour ce texte. Mais l'affirmation suivante me pose problème:
RépondreSupprimer"l'écart que le chercheur observe entre l'illimité de l'existant et la finitude de sa pensée l'oriente, à sa grande surprise, vers la découverte de Dieu."
Je serais plus à l'aise avec : "oriente certains d'entre eux, quelque fois à leur grande surprise ...".
Il est toujours loisible de refuser une orientation.
Supprimer"la quasi-disparition de la pratique religieuse montre à quel point celle-ci était superficielle et mondaine."
RépondreSupprimerMais est-ce que cette disparition est forcément un bien ? Est-ce que quelques cours de catéchisme, autour des dix commandements, de la notion de pardon, du respect de la vie et d'un minimum de culture religieuse liée à l'histoire de l'Europe et à ses arts, n'apporteraient pas quelque chose à la société ? D'ailleurs, vous le dites presque :
"Il reste que les sociétés auront toujours besoin de la cohésion autour de valeurs communes, service que la religion leur rendait naguère."
Le gouvernement essaie par exemple de relancer une "morale laïque". N'est-ce pas un peu réinventer l'eau tiède ? Dans d'autres pays, il y a encore au collège des cours de religion, d'ailleurs pas forcément pris très au sérieux (pas plus que ne le seront les cours de morale, sans doute).
Il ne s'agit pas de remettre en cause la laïcité, surtout maintenant. Mais sa conception en France avait peut-être autant à voir avec le sectarisme et l'agressivité de la gauche française, qui d'ailleurs persiste à l'égard de l'église catholique, qu'avec un besoin objectif et incontournable. D'autres pays européens ont d'ailleurs procédé différemment.
"On ne doit cependant pas exiger que les sociétés dont la culture a été modelée par l'islam fassent en quelques années un chemin qui nous a demandé des siècles de sacrifice humain."
C'est un argument que l'on entend souvent, mais il est superficiel. Modifier la place de la religion, sur les grandes querelles scientifiques par exemple, demandait une percée intellectuelle. Mais celle-ci étant faite, les musulmans ont seulement à se l'approprier, et n'ont pas à la réinventer, pas plus qu'ils n'auraient à passer cinq siècles pour réinventer les découvertes scientifiques depuis la Renaissance.
"accepter les valeurs de la laïcité et de la science alors que l'Occident s'est longtemps comporté et se comporte encore, contrairement à ces valeurs, en puissance méprisante et dominatrice ?"
Les nazis étaient très opposés à un rôle quelconque des clercs en politique, et férus de développements scientifiques et techniques. Et la IIIe République laïcarde et positiviste n'est-elle pas celle qui a conquis la plupart des colonies françaises, précisément pour leur apporter ces progrès ? Y-a-t-il vraiment contradiction entre laïcité/sciences d'un côté, agressivité et arrogance de l'autre ?
Quel plaisir de lire des propos humains et empreints de Respect,
RépondreSupprimerJe pense qu'il convient de faire une distinction entre religiosité avec ses dogmes, us et coutumes et la spiritualité.
Par ailleurs il est intéressant de se demander pourquoi donner tant d'importance à ce qui aurait pu n'être traité à la limite que comme un faits divers.
A qui profite le crime ?