Cette exigence reste latente tant que l'automate fonctionne bien, mais elle s'éveille dès que le consommateur rencontre un problème qu'il ne sait pas surmonter. Amazon lui offre ainsi une relation par téléphone ou par « chat » avec un être humain capable de comprendre ce qui se passe et de répondre de façon intelligente et chaleureuse.
On observe par ailleurs l'exaspération du client lorsqu'il est confronté - à la Poste, à la SNCF, chez Orange, etc. - à un être humain que l'entreprise contraint à se comporter comme un automate.
Nous allons nous efforcer de tirer cela au clair : les changements que l'informatisation apporte à l'économie et à la société invitent à corriger les lacunes du raisonnement habituel.
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L'axiome d'Adam Smith exprime la mission de l'économie : « Consumption is the sole end and purpose of all production ; and the interest of the producter ought to be attended to only so far as it may be necessary for promoting that of the consumer. The maxim is so perfectly self evident that it would be absurd to attempt to prove it » (Wealth of Nations, Livre IV, chapitre 8).
Cet axiome contredit l'interprétation usuelle de la « main invisible » que Smith a évoquée dans le chapitre 2 du livre IV : le but de l'économie est de maximiser la satisfaction du consommateur et non le profit du producteur.
La science économique est une théorie de l'efficacité. Elle est résumée par le principe « faire au mieux avec ce que l'on a », « ce que l'on a » désignant les ressources naturelles et les techniques disponibles, le « mieux » désignant le bien-être matériel du consommateur, selon le critère de l'optimum de Pareto. Le bien-être matériel n'est pas le bonheur, l'optimum de Pareto est indifférent à l'équité : la science économique n'a pas réponse à tout, une limite s'impose aux prétentions de l'économisme. Cependant il serait bien bête d'être inefficace une fois connus les buts et valeurs qu'une société se donne.
L'utilité d'un produit, sa qualité, doit s'évaluer en considérant l'ensemble de sa relation avec le consommateur. Ce qui est produit par les entreprises, ce ne sont en définitive ni les biens, ni les services : c'est la satisfaction du consommateur. La production n'est pleinement achevée que lorsque le produit, placé dans les mains de l'utilisateur, lui procure des « effets utiles ». Elle ne doit donc pas être évaluée selon le volume qui est injecté dans le circuit de distribution, mais selon l'intensité des effets utiles : le PIB ne la mesure pas correctement.
L'individu, en tant qu'agent économique, n'est d'ailleurs pas seulement un consommateur. Il détient un patrimoine dont il ajuste la structure selon son évaluation des opportunités et risques que le futur comporte. Il a ainsi deux fonctions d'utilité et non une seule : l'une détermine son budget en fonction du revenu et de l'épargne qui alimente le patrimoine, l'autre détermine sa consommation en fonction du budget. Cette remarque est la clé de la théorie de la liquidité, ou « monnaie ».
La nature (ou « environnement ») est elle aussi un patrimoine, mais il est collectif.
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Revenons cependant à la consommation. Dans l'économie informatisée les produits se différencient en variétés et la satisfaction du consommateur dépend de son aptitude à trouver la variété qui lui convient le mieux. Or ce n'est pas facile. Il a besoin d'un intermédiaire qui, étant capable de diagnostiquer ses besoins et connaissant les variétés offertes, sache former le « couple » produit-individu qui procure à ce dernier le maximum d' « effets utiles » (l'analogie avec une agence matrimoniale n'est pas déplacée ici).
Nota Bene : ceci n'est pas contradictoire avec la « désintermédiation » qui, dans le commerce électronique, court-circuite certaines étapes de la distribution. Google, Amazon, Facebook sont d'ailleurs des plates-formes d'intermédiation, les partenariats ont besoin d'une intermédiation qui assure l'interopérabilité des partenaires, etc.
Il faut en outre que le consommateur reçoive les informations qui lui permettront d'utiliser au mieux le produit. Les concepteurs s'efforcent de doter les produits informatisés d'interfaces homme-machine simples et commodes, encore faut-il que l'utilisateur les connaisse : il doit donc être informé et parfois même formé. L'Internet des objets favorisera la traçabilité, la maintenance, le remplacement en fin de durée de vie. Des notices bien rédigées sont nécessaires mais elles ne sont pas entièrement suffisantes.
Si la variété choisie est celle qui correspond le mieux aux besoins du consommateur, elle ne leur correspond pas parfaitement car un écart subsiste toujours entre la segmentation du marché et une personnalisation exacte. Le consommateur poussera donc l'utilisation du produit dans des directions que ses concepteurs n'ont pas prévues et qui mettent ses possibilités sous tension. Des conseils lui sont alors utiles. En retour, ils indiquent à l'entreprise des pistes pour l'innovation.
Aucun automate n'étant parfait, des incidents et pannes interrompent et annulent les effets utiles. Le dépannage doit donc être immédiat et garanti dès l'acquisition ou la location du produit. Lors du dépannage, l'entreprise collectera encore des informations qui l'aideront à définir ses futures innovations.
Lorsque le produit comporte une composante matérielle dotée d'une masse et d'un volume, ce bien est doté d'une durée de vie au terme de laquelle il devient un déchet. L'injection dans la nature des déchets que provoque la production compromet le patrimoine naturel, bien commun de la société.
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Les services que nous venons d'énumérer nécessitent une intervention humaine et une régulation. Un automate, aussi « intelligent » qu'il soit, ne peut pas diagnostiquer en effet les besoins d'un individu, ni répondre à des questions éventuellement déroutantes, ni corriger des pannes imprévisibles, ni repérer des faits donc la connaissance contribuera aux innovations futures. Le recyclage des déchets nécessite l'exploitation attentive des informations que fournit l'Internet des objets, suivie d'une collecte.
La protection de la nature est cependant l'affaire de la société tout entière, plus que celle du consommateur ou de l'entreprise. Il faut donc que le recyclage des déchets soit imposé par une réglementation puis contrôlé par un régulateur. La régulation doit porter aussi sur la durée de la garantie et la rapidité des dépannages.
Les services et la régulation contribuent à la qualité du produit et à la satisfaction du consommateur (immédiate et individuelle pour les services, à terme et collective pour la régulation). Mais ils ne pourront être offerts que si le consommateur est sensible à la qualité. S'il estime qu'« un poulet égale un poulet » et ne perçoit pas ce qui distingue un poulet fermier goûteux d'un autre qui sent la farine de poisson, la variété la moins coûteuse aura un monopole. S'il est indifférent à la pollution de la nature sous un flot de déchets, la régulation ne pourra pas s'instaurer.
Nota Bene : il se peut que le consommateur manque de discernement : il faut distinguer les besoins de la demande. Osons une comparaison : un consommateur est certes le porteur authentique de ses besoins, mais c'est à la façon dont un malade est le porteur authentique de sa maladie. Il n'est pas nécessairement le mieux placé pour poser sur ses besoins un diagnostic exact. Il sera satisfait si quelqu'un, le « formant à sa propre satisfaction », les lui révèle et lui montre comment leur répondre au mieux.
Les plates-formes d'intermédiation, les forums des utilisateurs, s'appuient sur des outils informatiques mais ils doivent ménager la possibilité d'une interaction avec un être humain compétent par messagerie, "chat" ou téléphone en cas de problème. C'est là en effet que culmine la qualité du service. Les entreprises qui automatisent à 100 % la relation avec le consommateur commettent une erreur.
L'iconomie suppose donc à la fois une informatisation et une automatisation efficacement intelligentes, et un consommateur exigeant et capable de discernement. Son équilibre est semblable à celui d'une voûte, qui suppose que les deux moitiés s'appuient l'une sur l'autre.
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