samedi 13 juin 2015

Comprendre le « yield management »

Le yield management (en français « segmentation tarifaire ») a été inventé au milieu des années 1970.

Les grandes compagnies aériennes américaines étaient alors vigoureusement concurrencées par des charters qui pouvaient pratiquer un prix bas parce que leurs avions ne volaient qu'une fois remplis par la réservation. Les avions d'American Airlines volaient à moitié vide.

« Why don't we pretend the empty part of our plane is a charter ? » s'exclama lors d'une réunion Bob Crandall, CEO d'American Airlines1 : il ne s'agissait pas de diviser l'avion en classes de service différentes, mais de vendre certains sièges à un prix réduit. Le défi était de ne vendre ces sièges-là qu'à des passagers sensibles aux prix, qui n'auraient donc pas pris l'avion autrement, tout en continuant à vendre cher des sièges identiques à d'autres passagers.

La clé du procédé réside dans le comportement des clients : contrairement aux hommes d'affaire, les vacanciers réservent leur vol des semaines à l'avance et restent habituellement une semaine ou davantage dans leur ville de destination. Il était possible de différencier le prix selon ces deux critères.

Mais comment décider à l'avance le nombre de sièges que l'on pourrait vendre à prix réduit ? Si l'on en vendait trop, on risquait ne plus avoir assez de place pour les hommes d'affaire qui, eux, auraient payé le prix fort, et si l'on n'en vendait pas assez l'avion risquait de voler avec des sièges vides.

Il fallait pour prendre la décision la plus juste une analyse statistique fine, tenant compte du jour de la semaine, de l'heure du vol, des événements sportifs et autres, etc. – et en outre la décision devait pouvoir évoluer jusqu'au dernier moment avant le vol : la segmentation tarifaire est aujourd'hui assurée par des opérateurs dont les moyens informatiques ressemblent à ceux d'une salle de marché.

Elle a permis à American Airlines de combattre victorieusement les charters tout en augmentant son chiffre d'affaire et son profit (cf. le petit modèle ci-dessous). Le procédé a été adopté par les autres compagnies aériennes, les chemins de fer, les chaînes d'hôtel, etc.

Certes, les clients s'étonnent lorsqu'ils constatent que le même billet, la même chambre d'hôtel etc. peuvent être vendus à des prix différents, mais petit à petit la segmentation tarifaire est entrée dans les mœurs.

Un petit modèle

Considérons une entreprise dont le coût de production est un coût fixe C, indépendant du volume produit q (c'est pratiquement le cas pour un transporteur aérien, la SNCF, un hôtel, etc.).

Supposons que la demande pour le service considéré obéisse à une fonction affine  :

p(q) = b – aq, où q est la quantité consommée et p le prix.

Si le prix est p, le chiffre d'affaires est :

qp(q) = bq – aq2,

qui est maximal pour q* = b/2a et p* = b/2. Le maximum du chiffre d'affaires est donc :

CA* = p*q* = b2/4a.

Le profit maximal est P* = CA* - C.


Supposons que l'entreprise pratique une segmentation tarifaire parfaite, de sorte qu'elle puisse vendre à chaque client exactement au prix maximal qu'il est prêt à payer.

Dans ce cas, le chiffre d'affaire est égal non pas à la surface p*q* du rectangle ci-dessus mais à l'intégrale de la fonction p(q) de 0 à b/a, c'est-à-dire à la surface de tout le triangle qui se trouve sous la courbe de demande :

CA** = b2/2a = 2CA*.

Le profit est P** = CA** - C.

La segmentation tarifaire parfaite procure donc dans ce cas un chiffre d'affaires qui est le double de celui que l'entreprise réaliserait en pratiquant le seul prix p*. Le profit, lui, est plus que doublé.

Remarques :
  • il se peut que la fonction de demande ne soit pas affine. Dans ce cas une segmentation tarifaire parfaite peut multiplier le chiffre d'affaires par un nombre différent de 2 ;
  • la segmentation tarifaire n'est en pratique jamais parfaite : les entreprises utilisent divers procédés pour segmenter la demande de façon approximative (classe, date de réservation, etc.). Le multiplicateur du chiffre d'affaires est donc en pratique toujours inférieur à ce qu'il serait si la segmentation était parfaite.
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1 Thomas Petzinger, Hard Landing, Random House, 1996, p. 82.

2 commentaires:

  1. Simple et limpide. Merci. Un billet prochain traitera-t-il des "divers procédés" dont vous parlez à la fin ?

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    1. Pour le transport aérien : durée du séjour (en cas de billet aller-retour), détention d'une carte de fidélité, etc. Des cinémas segmentent selon l'âge (réduction pour les jeunes et les seniors). On peut aussi segmenter selon la commune de résidence (réduction aux habitants du lieu), etc.

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