dimanche 16 avril 2017

Boycottons les « revues à comité de lecture » !

Je ne me suis jamais soucié de publier dans des revues à comité de lecture et si cela m'arrive, c'est par accident. Mes écrits sont en effet destinés à des lecteurs et non à des algorithmes qui classent les chercheurs selon le nombre de leurs publications dans des revues jugées crédibles.

Ce système pervers encourage la paresse et la fraude. La paresse, puisqu'il permet de classer les chercheurs sans jamais devoir lire leurs textes. La fraude, qui se manifeste dans des tactiques pour multiplier le nombre des articles et obtenir de nombreuses citations, au prix parfois d'une tricherie sur la qualité des résultats présentés : le « publish or perish » incite à la malhonnêteté.

Lorsque j'étais chercheur à l'INSEE un collègue m'a décrit ces tactiques qu'il utilisait habilement. Il m'a semblé impossible de concilier, avec la qualité de la recherche et la liberté de la pensée, le temps et l'attention que ces tactiques exigent, le conformisme aussi auquel il faut se plier pour séduire un de ces fameux « comités de lecture ». J'ai donc décidé de n'avoir aucune complicité, aucune complaisance avec ce système.

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J'écris des textes honnêtes. Cela ne veut pas dire qu'ils soient exempts d'erreurs (je ne suis pas infaillible), mais qu'ils sont de bonne foi : ils présentent, de la façon la plus simple et la plus claire possible, des hypothèses que je crois judicieuses, des raisonnements que je juge exacts, des conclusions qui me semblent pertinentes. Je ne suis jamais plus heureux que lorsqu'un lecteur me présente une objection qui m'aidera à progresser.

De vrais lecteurs, ceux qui savent lire, ont dit ce que mes textes leur avaient apporté. Un universitaire informaticien, économiste de formation, a découvert sa vocation en lisant De l'Informatique ; un autre universitaire, philosophe, a nourri sa pensée avec Le métier de statisticien ; Le Parador a permis à un chercheur en physique d'entrevoir l'intimité de l'entreprise ; un sociologue a trouvé dans Analyse des données le seul livre qui soit, selon lui, « compréhensible quoique rempli d'équations », etc.

Ceux de mes collègues économistes qui se soumettent au « publish or perish » se gardent, sauf exception rarissime, de commenter mes travaux : ce serait leur attribuer une légitimité que ces travaux ne méritent pas, puisqu'ils ne sont pas publiés dans des revues à comité de lecture, et ce serait en outre injuste puisque je ne me suis pas astreint, comme ces collègues, à l'effort pénible que cela demande. Je vois cependant parfois, et cela me fait sourire, quelque reflet de mes écrits dans leurs livres ou articles : cette corporation a pour règle tacite « ne jamais citer celui que l'on pille ».

Revenons aux lecteurs qui savent lire, qui savent pénétrer un texte jusqu'à partager l'intention de son auteur au moins pendant la durée de la lecture. La rencontre fraternelle avec ces personnes rares, et cependant nombreuses, est le seul but et la récompense de l'effort qu'exige l'écriture.

4 commentaires:

  1. Bravo Michel !
    J'ai quitté le milieu de la Recherche scientifique au début des années 1970 rigoureusement pour les raisons que tu exposes ici.
    J.Kott

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    1. Tu as quitté le "milieu" mais tu as continué ta recherche !

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  2. Merci Michel.
    Grigori Perelman https://fr.wikipedia.org/wiki/Grigori_Perelman est un contre exemple pour l'univers des récompenses scientifiques (Clay institute + 1000000 $; Medails Fields, etc.), du « publish or perish » et du « revues à comité de lecture ».

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  3. Si vrai! Et encore pire chez les chercheurs en management. Lire cet article proprement incroyable:
    http://www.letudiant.fr/educpros/enquetes/ipag-les-secrets-d-une-progression-fulgurante-en-recherche.html

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