L’iconomie, c’est « le modèle d’une économie informatisée par hypothèse efficace ». Ce modèle se compare à celui de l’équilibre général qui décrit lui aussi une économie par hypothèse efficace, mais dans un monde antérieur à l’informatisation.
Le modèle de l’équilibre général s'appuie sur l’hypothèse du rendement d’échelle décroissant, selon laquelle le coût unitaire de la production s’accroît lorsque le volume produit augmente. Or les produits de l’informatique ne respectent pas cette hypothèse (par exemple le coût de reproduction d’un logiciel est pratiquement nul), et il en est de même des autres produits selon la part qu'a l’informatique dans leur coût de production.
Il en résulte, nous l’avons démontré, que l’économie informatisée n’obéit pas au régime de la concurrence parfaite qui est celui de l’équilibre général, mais au régime de la concurrence monopolistique.
Qu’apporte l’open source sous un tel régime ?
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L’économie de l’open source a confronté les économistes à un paradoxe que Lerner et Tirole ont levé en s’appuyant sur la théorie des incitations1 : les programmeurs ne sont pas rémunérés en argent, mais la réputation qu’apporte leur contribution leur attire le respect de leurs pairs et favorise leur carrière.
Cela est vrai quel que soit le régime de l’économie mais l’open source apporte autre chose. Sous le régime de la concurrence monopolistique chaque produit se diversifie en variétés qualitativement différentes, destinées chacune à un segment de clientèle sur lequel elles ont un monopole. Cette diversification est active car la frontière des segments est bousculée par l’innovation de sorte que les monopoles sont temporaires : le téléphone mobile a ainsi été supplanté par le « smartphone », et celui-ci s’est diversifié en variétés qui se font concurrence.
Le logiciel est (en schématisant) produit sous deux formes différentes : un code objet opaque et non modifiable, produit par des entreprises ; un code source lisible et ouvert aux modifications, produit par des individus.
L’action productive prend dans les entreprises une forme organisée et soumise à une décision hiérarchique. Le logiciel ainsi produit atteint le degré de différenciation qui résulte de l’initiative des entreprises, de la façon dont elles perçoivent les besoins et les possibilités techniques. L’open source n’est donc pas absolument nécessaire pour que le régime de la concurrence monopolistique atteigne un équilibre.
Mais il apporte à la différenciation un degré d’intensité supplémentaire. La perception des besoins et des possibilités, décentralisée jusqu’au niveau des individus, est en effet plus fine que celle que peuvent avoir des entreprises : beaucoup de logiciels open source ont été produits par un individu qui avait rencontré dans son activité une difficulté pratique et s’était appliqué à la surmonter, modifiant ainsi l’étendue des possibilités offertes à d’autres individus.
Il en résulte un autre équilibre, plus efficace, du régime de la concurrence monopolistique car accroître la différenciation, c’est répondre aux besoins d’une façon plus précise et donc accroître la satisfaction des utilisateurs.
L’open source contribue ainsi à l’efficacité de l’économie informatisée et donc à l’iconomie.
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1 Josh Lerner et Jean Tirole, « The simple economics of open source », NBFR, mars 2000.
Cher Michel,
RépondreSupprimerMerci pour ton analyse, qui replace bien le logiciel libre dans le contexte général de l'économie informatisée, autrement dit l'iconomie.
Ton texte envisage principalement les contributions individuelles au mouvement du logiciel libre, qui en constituent bien sûr un élément central. Il convient de noter que de plus en plus d'entreprises, et non des moindres, contribuent au développement de logiciels libres, et en premier lieu du noyau Linux (ce qui ne contrarie d'ailleurs pas ton analyse). Considérons l'article “Linaro in top five for most active contributors to the 6.0 Linux Kernel Release” https://www.linaro.org/blog/linaro-in-top-five-for-most-active-contributors-to-the-6-0-linux-kernel-release/, qui donne le palmarès des contributions au noyau Linux regroupées par employeur, si l'on compte par le nombre de composants affectés on trouve le classement suivant : Intel, Google, Linaro, AMD, Red Hat, Huawei, Meta, Nvidia, Suse, Oracle, IBM, ARM, MediaTek. Si l'on classe par nombre de lignes modifiées, on trouve les mêmes dans un ordre légèrement différent.
Remarquons que Microsoft, longtemps très bien classé dans ce palmarès, n'y figure plus : il est normal en effet qu'une entreprise contribue intensément pendant une période afin d'assurer la compatibilité de Linux avec ses produits, et ralentisse ses efforts une fois le résultat obtenu. En l'occurrence, on peut supposer que Microsoft souhaitait adapter le noyau Linux à sa plate-forme d'infonuagique Azure, dont les clients souhaitent souvent, si ce n'est en majorité, utiliser Linux. On observe ainsi des fabricants de matériels, par exemple de cartes graphiques, qui contribuent régulièrement pour assurer le bon fonctionnement de leurs cartes sous Linux. Si Linux peine en effet à conquérir le grand public, il est de plus en plus présent dans les Systèmes d'information des entreprises, dans l'informatique embarquée, dans les systèmes de calcul intensif, dans les services en nuage, bref, dans toute l'informatique professionnelle.
Ces contributions d'entreprises de premier plan aux logiciels libres (Linux n'est qu'un exemple parmi d'autres) assure la pérennité de ce modèle d'activité, parfaitement compatible, ainsi que le souligne ton analyse, avec les principes de l'iconomie.