jeudi 17 septembre 2009

A propos de la crise chez France Telecom

On peut expliquer la crise du secteur des télécommunications, et notamment celle de France Telecom, par une erreur stratégique fondamentale.

Nota Bene : Pour répondre aux questions de certains lecteurs, j'ai développé l'analyse de cette crise dans Le suicide d'une entreprise.

Quand on introduit de force la concurrence dans un secteur qui, pour des raisons techniques et physiques (cohérence des protocoles de communication et des investissements), constitue un monopole naturel, on viole la nature. Elle se venge en provoquant des catastrophes dont on voudra expliquer chacune, ensuite, par des mécanismes sociologiques et des erreurs humaines - mais ces mécanismes n'auraient pas joué, ces erreurs ne se seraient pas produites (ou du moins leur probabilité aurait été fortement réduite) si, au départ, l'erreur stratégique n'avait pas été commise aux États-Unis, puis en Europe, enfin en France.

On peut faire endosser l'erreur stratégique par les économistes. Mais plus fondamentalement elle s'inscrit dans le grand mouvement institutionnel reaganien de démolition des services publics : il s'agit d'une orientation d'origine politique, en regard de laquelle les économistes n'ont été que des instruments trop dociles sans doute, ou trop naïfs, ou encore trop sensibles à la mode. 

Voici la collection des chroniques que j'ai consacrées à France Telecom au fil du temps. Elle contient des éléments qui éclairent, me semble-t-il, la crise actuelle de cette entreprise :

- chronologie économique et stratégique conduisant à  la débâcle de mars 2000 :  France Telecom, sortir du gouffre (septembre 2002)

- commentaire de l'article de Jean-Louis Vinciguerra dans Le Monde : « Grandeurs et misères de France Telecom » (septembre 2002)

- le "plan de redressement" de Thierry Breton : Les Télécoms en plan (janvier 2003)

- commentaire du livre de Jean-Jérôme Bertolus, Jean-Michel Cedro et Thierry del Jesus : Qui a ruiné France Telecom ? (mai 2003)

- la qualité du service vue par la modeste lunette du client : Qualité de service (juillet 2003), Qualité de service (suite) (février 2005), La boucle locale du réseau téléphonique (décembre 2006)

- l'espoir à l'arrivée de Didier Lombard : Bon vent pour France Telecom ! (février 2005)

- commentaire du livre de Pierre Musso : Les télécommunications (mars 2008)

- la fin des espérances (et de mes chroniques) : France Telecom, suite et fin (mai 2009)

17 commentaires:

  1. Je n'ai pas lu les neuf chroniques que vous proposez en fin de billet mais me suis posé plusieurs questions en lisant son début. De quelle "crise du secteur des télécommunications" parlez-vous précisément, s'il vous plaît (celle-ci n'est pas définie) ? de quelles "catastrophes" (idem) ? Parlez-vous d'une crise de l'ensemble des activités économiques de télécommunications en France ou surtout de celle de l'entreprise France Telecom ? Dans le premier cas, nos concitoyens, grands consommateurs de télécommunications comme l'indiquait encore le quotidien Les Échos ce matin, partageraient-ils votre avis ? Comment, précisément, la concurrence a-t-elle été introduite "de force" dans le secteur en question ? Pourquoi cette introduction peut-elle être qualifiée de la sorte dans notre démocratie représentative ? Si cette "crise" et ces "catastrophes" renvoient aux derniers suicides qui ont été médiatisés ces derniers jours, peut-on en conclure que le "grand mouvement institutionnel reaganien" dont vous parlez (ou "les économistes") en est (sont) la cause principale ? Si oui, sur quoi cette conclusion est-elle fondée solidement ? Si oui, sauriez-vous, s'il vous plaît, si des suicides ont aussi été imputés principalement (et avec force arguments) à ce mouvement (ou à cette profession) dans le secteur de télécommunications américain et dans d'autres secteurs de même type ailleurs en Europe ? D'avance, merci pour vos réponses. (Il est possible que plusieurs réponses (voire toutes) à mes questions se trouvent dans vos neuf chroniques que je n'ai pas lues. Dans ce cas, je vous prie de vouloir bien m'en excuser.)

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  2. « Face au « mal-être » chez France Telecom », « le blog telecoms » recueille le sentiment du secteur privé des telecoms sur http://telecoms.zeblog.com »

    Lyon, le 21 septembre 2009 – les professionnels du secteur privé des telecoms vont pouvoir exprimer librement leur sentiment et leurs attentes dans un secteur en pleine mutation.

    la suite sur http://telecoms.zeblog.com/418228-communique-de-presse-face-au-mal-etre-chez-france-telecom-le-blog-telecoms-recueille-le-sentiment-du-secteur-prive-des-telecoms-sur-http-telecoms-zeblog-com/

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  3. @Moggio
    En effet, la réponse à vos questions se trouve dans mes chroniques. Je vous excuse bien volontiers !

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  4. @Moggio : je trouve vos questions très pertinentes

    @Michel Volle : je trouve vos réponses trop faciles, trop courtes, trop nostalgiques du schéma préexistant. (je fais très court, SVP, ne le prenez pas mal, j'apprécie par ailleurs grandement vos efforts de partage sur vos sites)

    L'ouverture du marché des télécom a aussi apporté des bénéfices liés à la diffusion accélérée des services de communication : où en serait les réseaux de télécommunication en France si la porte n'avait pas été ouverte à Free et autres innovateurs de technologies et de services ? (et avec tous les impacts induits sur le développement et la stimulation du développement économique, et de création de richesse pour tous).

    Par ailleurs je suis (comme vous je suppose) convaincu qu'il faut améliorer le service minimal commun, améliorer la qualité (e ces moyens) du régulateur, faciliter l'adpatation des mamouths au climat qui change... dans la mesure du possible...

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  5. Bonjour, la question d'Arno permet de préciser le point, j'imagine.

    Il y a dans les télécoms une concurrence fictive qui au font, consiste à partager entre différents acteurs privés une rente de monopole (Cf. le deal de minutes, le découpage des Etats-Unis en régions télécoms...). Il y a une concurrence réelle qui est la concurrence entre technologies. Laquelle suppose, bien entendu, un accès aux infrastructures de base qui porteront ces technologies. Le succès de Free témoigne bien de ce bénéfice.

    Et il y a des concurrences de théâtre, oligopolistiques, de nature à bloquer l'entrée de ces mêmes nouveaux acteurs en leur bloquant l'accès aux réseaux. Le marché français du mobile en a été, et en reste à mon avis, un bel exemple.

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  6. @Arno
    Je n'éprouve aucune nostalgie ! Mais je constate une évolution qui était prévisible...
    Je vais devoir rédiger une chronique de plus. Voici son plan :
    1) ce qu'est un monopole naturel
    2) sur le territoire français, le réseau télécom est un monopole naturel
    3) la concurrence fait baisser les prix (effet positif immédiat) mais inhibe la R&D (effet négatif à terme)
    4) l'entreprise étant désorientée, la "création de valeur pour l'actionnaire" devient son seul repère
    6) pour produire l'apparence d'un cash flow elle détruit deux composantes du capital que la comptabilité ignore : la conscience professionnelle des salariés, la confiance et la fidélité des clients.

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  7. 1) ce qu'est un monopole naturel

    >> thèse : c'est relatif, ça dépend des technologies disponibles et de l'organisation de la régulation : par exemple si l'entité de régulation a suffisamment de moyens pour créer un marché équitable et réellement opérant d'achat de capacités du réseau, ce n'est plus un monopole dit "naturel". Certes peut-être qu'on n'y est pas encore...

    2) sur le territoire français, le réseau télécom est un monopole naturel

    >> peut-être, peut-être pas ? pourquoi tant de certitude ?

    3) la concurrence fait baisser les prix (effet positif immédiat) mais inhibe la R&D (effet négatif à terme)

    >> proposition : elle inhibe la R&D chez les acteurs dont l'objet social est la recherche de profit à court terme, c'est à dire les entreprises dirigés par des administrateurs rémunérés sur leur performance court-terme. Mais rien n'interdit de créer d'autres acteurs dont l'objet est de faire de la R&D d'amorçage. Ni de mettre en place d'autre mécanismes de gouvernance.

    4) l'entreprise étant désorientée, la "création de valeur pour l'actionnaire" devient son seul repère

    >> cf proposition précédente, je crois que c'est surtout les anciennes administrations qui mélangeaient différentes missions et qui sont maintenant des "sortes d'entreprise" à la mission autre qui sont fortement désorientées.

    6) pour produire l'apparence d'un cash flow elle détruit deux composantes du capital que la comptabilité ignore : la confiance et la fidélité des clients.

    >> n'est-ce pas le problème spécifiquement des entreprises qui n'ont pas encore compris leur ADN ? celles-ci vont sans doute mourir.

    Ma conclusion : "prévisible ?" oui, sans doute. Mais surtout, et maintenant que fait-on pour améliorer les choses, pourquoi ne pas rajouter un point 7) pour proposer des directions de travail ?

    Au plaisir de vous lire, et merci d'ouvrir et d'animer la discussion.

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  8. @Arno
    Vous êtes comme Lucky Luke, qui tire plus vite que son ombre !
    Je n'ai fait qu'indiquer un plan : il faut me laisser le temps de rédiger son développement et cela va me prendre quelques jours.

    Pour ce qui concerne les "directions de travail", celles qui me semblaient judicieuses sont déjà indiquées dans mes "chroniques".

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  9. OK, c'est noté, bon courage.
    De mon coté je vais donner à manger à Joly Jumper et je reviens pour poursuivre cette agréable discussion.

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  10. Bonjour,
    j'arrive un peu tard dans ces échanges.
    Mais j'y étais très tôt: jetez un coup d'oeil sur mes propos de mai 1995 en http://www.oules.com/performance.htm qui étaient justement écvrits pour maires, patrons de PME et citoyens curieux, et qui concernaient autant les télécoms ou l'énergie, que La POSTE pour laquelle j'ai vu dimanche dernier des maires "libéraux" faciliter la votation qui n'est que l'aboutissement des portes ouvertes en 1985 par Jacques Delors (à Bruxelles) et Laurent Fabius (1° ministre à Paris)...
    Bonne lecture:
    Denis Oulés, Fontainebleau.

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  11. @Arno
    J'ai fait mon possible pour tenir parole.
    Les développements promis se trouvent dans la page Le suicide d'une entreprise, et dans l'arborescence des liens qu'elle comporte.

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  12. Bonjour à tous..;
    J'arrive un peu tardivement dans vos échanges. Je trouve qu'expliquer le suicide d'individus par la crise des télécoms est un raccourcis un peu rapide.
    De nombreux salariés ont vécus, vivent, le chômage, les difficultés financières et familiales, les plans sociaux, les changements (brutaux) de postes, les délocalisations sans pour autant se suicider.
    Ne faudrait il pas aussi rappeler la responsabilité des personnes qui entourent la personne en mal être : ses collègues, son manager direct, son RH, l'équipe de direction de l'entreprise....

    Par ailleurs, faire porter la responsabilité sur un seul homme est aussi un raccourcis d'autant plus que cette personne n'a pas été officiellement démise de ses fonctions mais a quitté son poste de son "propre gré".

    Bien à vous.

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  13. @ChDessus
    Êtes-vous sûr de m'avoir lu ?
    1) Je ne parle pas du suicide des individus, mais celui d'une entreprise.
    2) Je ne fais pas porter la responsabilité à un seul homme (lequel ?), mais à un mécanisme institutionnel - et, aussi, à une mode, et la mode est un phénomène collectif.

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  14. Bonjour,
    Je fais un reproche majeur à cette analyse: elle est franco-française, pour ne pas dire franchouillarde. Certes FT connaît des problèmes réels mais est-ce vrai pour tous les opérateurs du monde entier? Je pense que la réponse est négative. Surfant longuement sur Internet,je n'ai pas lu un seul article en langue anglaise faisant la même analyse que la vôtre mais mon moteur de recherche est peut-être biaisé.
    Dès lors,les affirmations telles que "le secteur des télécom est un monopole naturel" ou bien "une erreur stratégique a été commise aux Etats-Unis, puis en Europe et enfin en France" ou encore "le grand mouvement institutionnel reaganien de démolition des services publics" ne relèveraient elles pas de pétitions de principe plutôt que d'une analyse objective de la situation des télécom dans le monde?
    Par ailleurs la diabolisation des privatisations et la nostalgie des services publics(ah, le bon temps du 22 à Asnières immortalisé par Fernand Raynaud) confirment que nos élites françaises sont à jamais marquées par le colbertisme et le culte de l'Etat. La vulgate de l'économie administrée tient toujours le haut du pavé chez la plupart de nos intellectuels et de nos économistes.Là encore,cela donne lieu à des débats très franco-français (exemple de la récente pseudo "votation" sur la Poste).
    Bien à vous.

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  15. @Philippe F
    Je suis très heureux d'être français et les adjectifs qui se veulent péjoratifs comme "franchouillard" ou "franco-français" ne me touchent pas.
    Vous n'avez pas trouvé le monopole naturel des télécoms sur votre moteur de recherche : cela se peut, le Web ne recueille pas tous les articles d'économie.
    Évoquer le 22 à Asnières n'était déjà plus de mise en 1980, après que la DGT ait rattrapé le retard du réseau de distribution...
    Enfin, il semble que vous soyez satisfait de la qualité des télécoms. Beaucoup d'autres ne le sont pas, et pour de bonnes raisons. Si la privatisation et la concurrence avaient apporté la qualité de service et le flot d'innovations que l'on nous annonçait, je vous donnerais raison avec plaisir.

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  16. Pourquoi n'y-at-il pas ces problèmes chez les deux autres principaux opérateurs que sont SFR et Bouygues, problème de management?

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  17. @Anonyme
    SFR et Bouygues Telecom n'ont ni la même histoire, ni la même culture que France Telecom. Je prépare un texte sur la dimension historique de la crise chez cette entreprise.

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