mardi 5 janvier 2010

Lorraine Data, Le grand truquage, La découverte, 2009

La plupart des données qui peuvent intéresser le citoyen font l’objet d’une présentation fallacieuse : Lorraine Data, pseudonyme collectif choisi par des agents de l’INSEE, dénonce la manipulation des données relatives au pouvoir d’achat et à la pauvreté, à l’emploi et aux heures supplémentaires, à l’éducation, l’immigration et enfin la délinquance.

La qualité des statistiques, tout comme la qualité des archives, est un sûr indicateur de la maturité d'une nation. Une nation qui ne se soucie pas de s'observer elle-même ni d’observer sa propre histoire, et qui s'en remet donc à des mythes en guise de connaissance, ne peut pas en effet accéder à la maturité politique ni maîtriser son destin. Dans le concert diplomatique, elle s'exprimera de façon infantile et capricieuse : sa parole n'ayant aucune autorité, personne ne l'écoutera.

De ce point de vue la France n'est pas bien placée : la statistique est chez nous encore et encore « critiquée » par des crétins qui se parent d'une légitimité intellectuelle ou médiatique.

L'indice des prix ne veut rien dire, disent-ils par exemple, parce que c'est une moyenne. Mais une moyenne, cela ne dit pas rien ! Et si l'on s'intéresse non à la moyenne, mais à la dispersion, il faut utiliser d'autres indicateurs (quantiles etc.) que la statistique fournit également – mais ces paresseux, ces prétentieux ne se donnent pas la peine de les regarder.

Ce mépris envers la statistique, ce refus, ont des raisons culturelles et historiques profondes (voir Enjeux de la statistique). Ils inhibent notre maturation, ils nous privent du sens des proportions, ils nous font croire et dire des énormités (comme cette phrase, souvent entendue dans les médias : « la cause principale du décès des femmes, c’est le meurtre commis par leur compagnon » (voir Statistique et "political correctness").

Les politiques en profitent pour manipuler les données et produire des effets d'image fallacieux mais qui leur sont bien sûr favorables (voir Statistique et manipulation). Ce sont ces manipulations que Lorraine Data dénonce.

Lorsqu'on déteste la statistique, on ne s'exerce évidemment pas à l'utiliser : on ignore donc l'art de l'interprétation et plus encore celui de la compréhension, qui seul donne finalement son sens à l'observation. Mais l'incapacité des ignorants ne fait que renforcer leur mépris envers la statistique.


*     *

Les gens de l’INSEE tombent parfois, eux aussi, dans le piège du politiquement correct. René Padieu avait dit dans un article de La Croix que le nombre des suicides à France Telecom n’est pas plus élevé que dans l’ensemble de la population. Il avait raison, et énoncer un tel fait - qu'il faut certes interpréter - n'équivaut pas bien sûr à nier la souffrance des salariés de cette entreprise, ni celle de leurs familles.

Mais c’était aller imprudemment à l’encontre du sensationnel médiatique. Que n’avait-il pas fait là ! Les syndicats de l’INSEE l’ont réprimandé sans lui opposer – et pour cause – aucune donnée statistique...

René Padieu leur a répondu, sa réponse est intéressante : vous pouvez la télécharger sous Word 2002.

16 commentaires:

  1. Vous trouverez ci-dessous un essai modeste de contribution et nous remercions par avance toute personne qui voudra bien relever d'éventuelles erreurs de raisonnement et qui prendra la peine de les corriger.

    Il est possible aujourd'hui de contester la pertinence de l'indice des prix en France sans pour autant remettre en cause les principes et les méthodes de la statistique.

    La première chose que l'on peut dire c'est qu'il est matériellement impossible d'observer à un instant t tous les prix du moment or quand on a la liberté de pouvoir acheter ici et là des produits semblables, on note des écarts significatifs de prix. Est-ce une difficulté incontournable ? On pourait répondre "non" en disant qu'il est quand même possible de calculer un prix moyen sur un échantillon représentatif d'une famille de produits semblables et de prendre cette valeur moyenne pour prix observé. Supposons qu'il puisse en être ainsi.

    Surgit une autre difficulté : peut-on faire ce travail pour TOUS les produits (et services) ? Même si nous disposons aujourd'hui d'automates d'enregistrement et de calcul très puissants, il n'est pas possible de prendre en compte tous les produits. Ici, il faudra nécessairement choisir et ne retenir qu'un éventail.

    Apparaît alors une nouvelle difficulté : comment constituer un panier de référence ? Autrement dit, quel poids attribuer aux produits et services retenus pour le calcul de l'indice ? Quel poids donner au carburant dans la consommation d'un ménage ? Quel poids donner aux dépenses de coiffeur ? ... Selon les poids adoptés, on peut obtenir des indices nettement différents. Ainsi en est-il par exemple d'une moyenne générale d'un élève selon quelle est calculée en pondérant de manière égale les moyennes des différentes matières ou bien en attribuant à certaines dentre elles des coefficients plus élevés.

    Si l'on en revient maintenant à l'indice des prix. Les remarques précédentes entraînent les questions suivantes (on désignera par "élément" une famille de produits ou de services semblables. Par exemple : des pommes):

    1. Sur quels critères fonde-t-on aujourd'hui la constitution de l'échantillon observable d'un élément ? Dans notre exemple : quels sont les lieux de distribution où l'on va suivre le prix d'un kilogramme de pommes ?

    2. Comment et selon quelle fréquence vérifie t-on que l'échantillon est toujours représentatif de la situation en cours ? Dans l'exemple : comment la liste des lieux de distribution des pommes est-elle mise à jour ?

    3. Pourquoi et comment décide-t-on que tel élément figurera dans le panier et que tel autre n'y figurera pas ? Dans notre exemple : pourquoi choisir les pommes et pas les oranges ?

    4. Pour chaque élément du panier, quel poids attribue t-on à chacun et pour quelles raisons a t-on choisi ce poids plutôt qu'un autre ? Dans l'exemple : les pommes vont-elles représenter 1% des achats de la ménagère ou 0,1% ? Et pourquoi 1% et pas 0,1% ?

    Si l'on développe maintenant ces questions pour un poste préoccupant pour les ménages, le logement, on peut se demander en bref comment l'indice des prix tient compte de l'évolution de son prix et quelle part il réserve à ce poste. Alors qu'il est manifestement de plus en plus difficile de se loger à un prix supportable, comment se fait-il que l'indice des prix indique une faible inflation générale depuis plusieurs années ?

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  2. @Anonyme
    Je publie ce commentaire parce qu'il est représentatif : beaucoup de gens s'interrogent gravement, mais sans faire le moindre effort pour s'informer.
    La réponse à vos questions et à quelques autres se trouve dans la documentation que publie l'INSEE sur www.insee.fr. Lisez, réfléchissez, après quoi vous vous poserez des questions moins naïves.

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  3. Le message d'anonyme pose des questions sur l'obtention de l'IPC (indice des prix à la consommation) mais pas seulement. Répondre à propos de l'IPC n'apportera pas de lumière sur la question plus grave de savoir pourquoi il est devenu si difficile aujourd'hui pour les ménages de devenir propriétaires.

    Le poids du logement étant compté dans l'IPC pour environ 25%, même un doublement des prix de l'immobilier sur dix ans (ce qui correspond grosso modo au constat fait entre 1999 et 2009 par l'INSEE sur les zones géographiques où les ménages peuvent espérer trouver un emploi) n'entraîne pas une hausse spectaculaire de l'IPC.

    Cet indice à lui seul ne traduit pas toutes les conséquences qu'entraîne l'envolée des prix de la pierre. L'une d'elles est assez facile à comprendre et mérite d'être citée : le doublement du prix d'acquisition pour celui qui veut devenir propriétaire engendre un surcroît de dépenses insupportable pour un budget familial moyen. Il doit emprunter davantage et à plus long terme. Finalement il rembourse beaucoup plus. Comble d'infortune, il le fait dans un contexte beaucoup moins favorable : l'inflation étant faible, il ne peut espérer s'enrichir deux fois comme la génération qui l'a précédé. Une fois en empruntant une monnaie perdant rapidement de la valeur ce qui facilite le remboursement. Une seconde fois en ayant acquis des biens à des prix abordables et qui aujourd'hui ont une valeur marchande ... impressionnante !

    Il y a aujourd'hui dans l'impossibilité de devenir propriétaire un signe inquiétant et l'on peut comprendre que cela soit source d'angoisse : il est clair pour ceux qui s'interrrogent gravement qu'un travail même qualifié ne permet plus, non seulement de devenir propriétaire mais encore d'espérer une retraite suffisante.

    La réponse au premier message nécessite donc une longue réflexion et des changements radicaux.

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  4. @Avicenne
    Avant de commencer à réfléchir il faut avoir lu la documentation, sinon on ne sait pas de quoi l'on parle.
    L'indice dont nous parlons évalue le prix de la consommation. Or l'achat d'un logement n'est pas une consommation, mais un investissement. Il est donc normal que cet indice ne tienne pas compte de l'évolution du prix des logements.
    Il en résulte bien sûr que l'indice des prix à la consommation ne suffit pas pour se faire une idée exacte de l'évolution du pouvoir d'achat des ménages. Les statisticiens le disent et le répètent, mais on ne les écoute pas.
    Pour trouver les informations qui vous manquent, allez sur le site de l'INSEE et suivez la piste suivante : "Accueil > Thèmes > Conjoncture > Indicateurs de conjoncture > Indice des prix à la consommation > Questions-réponses > Pourquoi ne prend-on pas en compte les coûts liés à l'achat du logement dans l'indice des prix ?"
    Chemin faisant, vous trouverez d'autres indications utiles.

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  5. Merci pour cette précision utile et nécessaire.

    La page que vous mentionnez est claire. Elle indique notamment : "... un bien immobilier a une durée de vie longue et voit souvent sa valeur augmenter avec le temps". Ce qui s'éclaire en effet quand on tient compte des conséquences financières de sa durée de vie probable : au moins 50 ans et souvent beaucoup plus. De sorte qu'en étant amorti linéairement sur 50 ans seulement, il ne perdrait que 2% de sa valeur soit moins que le taux d'une inflation modérée.

    Il est donc mécaniquement difficile de devenir propriétaire lorsque l'inflation est faible et que les prix des biens immobiliers augmentent comme hier plus qu'ils ne devraient en raison d'une pénurie de l'offre et d'une augmentation de la demande. C'est d'ailleurs un heureux effet de la crise, si l'on peut dire, que d'avoir entraîné une baisse récente de l'immobilier. Elle serait vraiment heureuse si la crise ne conduisait pas tant de personnes au chômage et tant d'entreprises à la faillite, ruinant au passage l'espoir de ceux qui envisageaient de mieux se loger.

    Subsiste pourtant la difficulté radicale de se loger même si l'on a renoncé à devenir propriétaire : la hausse alarmante des prix de la pierre entraîne aussi celle des loyers. Quel investisseur ou même quel propriétaire consentirait à la diminution du rendement locatif de son bien ? Peut-être celui qui, prenant la juste mesure de la crise actuelle dans le logement donnerait, avec d'autres, le coup d'envoi d'une nouvelle donne salutaire pour tous à long terme (*). Un Etat hyper endetté et au bord de la faillite ne peut guère jouer ce rôle de mécène. Il faudra que ceux qui ont davantage acceptent tôt ou tard de partager ou ... d'aider ceux qui ont moins. Et ce sans que l'Etat n'en vienne comme cela fut rapporté récemment à imposer un blocage des loyers.

    L'Etat a déjà pris des mesures intéressantes comme l'exonération fiscale des droits de succession.

    (*) Il faut notamment penser aux mamans qui renoncent à un troisième ou à un quatrième enfant faute de place et qui en viennent parfois à préférer l'IVG. Quoiqu'en pense l'un de nos politiques abusé par des considérations follement malthusiennes, un nouvel être humain a une valeur incomparablement supérieure aux coûts qu'entraînent sa croissance, son éducation, son entretien et ses activités.

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  6. Tout à fait d'accord avec Michel Volle pour rappeler que l'IPC ne suffit pas. Le site de l'INSEE précise bien : "Pour évaluer le taux d'inflation on utilise l'indice des prix à la consommation (IPC). Cette mesure n'est pas complète, le phénomène inflationniste couvrant un champ plus large que celui de la consommation des ménages."

    Ne serait-il pas opportun, dans ces conditions, de construire et de proposer un nouveau baromètre capable de mesurer avec plus de sensibilité et de justesse la pression économique subie par les ménages ?

    Pour aller plus loin, pourquoi ne pas envisager de proposer sur le site de l'INSEE des outils de calcul du type "Calculez vos impôts" que l'on trouve sur le site du Ministère des finances et qui permettraient aux ménages qui le souhaiteraient d'évaluer leur situation ?

    Il y aurait par exemple un outil pour évaluer l'inflation subie par un ménage tenant compte de son profil de dépenses. Profil qu'un ménage entrerait en indiquant les pourcentages de ses principaux postes de dépense.

    Après une collecte si large d'informations et si détaillée par l'INSEE, il est sûrement possible de programmer des algorithmes permettant une exploitation diversifiée des données connues.

    L'intérêt immédiat pour les ménages serait de pouvoir réorienter leurs dépenses chaque fois qu'ils en ont la faculté à la fois pour profiter des baisses de prix et pour éviter les secteurs trop inflationnistes.

    L'intérêt pour l'INSEE serait de valoriser un patrimoine statistique impressionnant et d'offrir une vitrine mettant à l'honneur le travail considérable accompli par ses agents.

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  7. @Anonyme
    Une fois de plus, il faut lire la documentation !
    Ce que vous demandez existe déjà : l'INSEE publie un indice des prix par catégorie de ménage ()http://www.insee.fr/fr/indicateur/indic_cons/indic_categ.htm. Et comme dans une même catégorie de ménage la situation d'un ménage peut présenter des particularités, vous verrez sur cette page que l'INSEE met à disposition un simulateur qui permet à chacun de calculer son propre indice de prix personnalisé.

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  8. Formidable !

    Manque juste de quoi calculer la véritable pression économique qui ne se réduit pas à la consommation !

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  9. @Anonyme
    Très juste ! Mais il faut alors raisonner dans un espace multidimensionnel : ainsi plus on réfléchit, plus la question devient difficile.
    On finit d'ailleurs par découvrir que le bien-être n'est pas le bonheur, même s'il y contribue : il ne faut donc pas croire que l'économie, fût-elle même prospère, puisse nous l'apporter.
    Il faudra le chercher ailleurs...

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  10. Merci pour cette lettre de René Padieu. J'apprécie beaucoup René et son humour aussi empathique que tranchant - et pourtant j'ai été surpris par son carreau d'arbalète final, ô combien justifié dans le cas d'espèce.

    Le conservatisme se nourrit de faux-semblants.

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  11. La question que je me pose est comment faire pour améliorer cette qualité des statistiques. Il y a bien sûr la qualité même des données, la transparence des traitements qu'il y a derrière (au hasard la non-réponse), mais aussi une qualité globale (compréhension large de la statistique par les citoyens et utilisation honnête de celle-ci par les politiques et autres communicants). Bien sûr il y a ce livre dont vous parlez et votre site, mais ça semble pas suffisant.

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  12. @Anonyme
    En fait vous pensez non à la qualité des statistiques elles-mêmes mais à la qualité de leur utilisation, de leur compréhension.
    C'est un problème culturel : pour des raisons historiques les Suédois comprennent bien la statistique (après les guerres de Charles XII la Suède a utilisé le recensement pour mener une politique systématique de repeuplement). Les statisticiens suédois sont les meilleurs du monde... les Canadiens sont également très bons.
    Comme je suis de culture gallo-romaine il m'a été très difficile de comprendre ce que sont les probabilités et la statistique. Cela m'a demandé beaucoup de temps et de travail mais cette connaissance, une fois acquise (ou à peu près), a changé et enrichi ma vision du monde.
    Voici donc la réponse à votre question : oui, il est difficile pour un Français de comprendre la statistique et de l'utiliser : notre histoire ne nous y a pas préparés. Cela demande un effort mais il vaut la peine.
    Les politiques et les communicants feront-ils cet effort ? Certains peut-être, mais assurément pas la majorité d'entre eux. Ce serait bien utile... Mais la culture d'un pays est un gros navire qui change difficilement et lentement de cap.

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  13. Je vois pas si ce livre dénonce une "présentation fallacieuse" par l'insee et qui serait dénoncée par certains de ses agents sous couvert de pseudonyme ou si c'est dû aux "crétins qui se parent d'une légitimité intellectuelle ou médiatique" mais alors je vois pas de qui vous parlez. Il me semble que dans la critique il y a beaucoup qui vient du monde politique

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  14. @Anonyme
    Si vous ne voyez pas de quels "crétins" je parle, c'est sans doute parce que vous n'écoutez pas la radio et ne regardez pas la télévision.
    Les "présentations fallacieuses" que dénonce Lorraine Data ne sont pas le fait de l'INSEE, mais celui des crétins qui prétendent être des "intellectuels", ainsi que des médias et des politiques.

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  15. Pour quelle raison l'Insee ne se défend pas publiquement par la voix de son Directeur plutôt que par un groupe anonyme ? Je suis bien conscient que vous avez peut être pas la réponse.

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  16. @Anonyme
    Non, je n'ai pas la réponse. Je crois que le DG de l'INSEE fait son possible mais qu'il est tenu par le devoir de réserve... d'où l'utilité d'un témoignage comme celui de Lorraine Data, fût-il anonyme.
    Les médias ne font pratiquement jamais parler les gens de l'INSEE. Quand il s'agit de météo, on entend les gens de la météorologie nationale...
    Il faudrait que les statisticiens communiquent plus et mieux - ils ne sont pas sans défauts de ce point de vue - mais comment parler quand on vous refuse le droit à la parole ?

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