mercredi 9 février 2011

Josh Fox, Gasland

Les Cévennes sont en émoi : il est question d'exploiter le gaz de schiste que leur sous-sol contient. Les associations se réveillent, les militants se mobilisent. Lors des réunions on projette Gasland et les témoignages que ce film présente inquiètent la population. Nous aurons peut-être bientôt des manifestations avec banderoles, mégaphones et slogans, voire même des blocages de route.

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J'ai donc regardé ce film. Il est construit selon un schéma américain classique : un sympathique joueur de banjo, installé en pleine forêt dans une maison en bois que ses parents, hippies des années 70, lui ont laissée en héritage, reçoit par courrier l'offre d'une entreprise qui propose de louer ses 39 hectares pour 100 000 $ afin d'en exploiter le sous-sol.

Alors il part enquêter avec sa caméra. Il demande des entretiens aux compagnies de gaz qui refusent de le recevoir (l'une d'elles est cette Halliburton qui fut un temps présidée par Dick Cheney). Il se rend sur le terrain, rencontre des personnes qui vivent à côté des puits et autres installations. Il recueille des témoignages sur la pollution de l'eau et de l'air, sur les maladies des êtres humains et des animaux, sur la destruction du paysage.

Le montage entrelace les hideuses images de dévastation avec d'autres, émouvantes, qui montrent une nature intacte, d'élégantes biches se déplaçant dans une forêt où coulent des rivières d'eau pure...

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Les règlements qui protégeaient la qualité de l'eau ont été supprimés, les agences de régulation et de protection de l’environnement ont été démantelées afin de permettre aux entreprises d'injecter dans le sous-sol, pour fracturer le schiste et dégager le gaz, une eau additionnée d'un mélange toxique qui facilite l'exploitation mais pollue la nappe phréatique, puis l'air.

Les représentants des entreprises témoignent devant une commission. Ils sont bien coiffés, bien habillés, leur élocution est parfaite et ils mentent comme des arracheurs de dents, niant ce que les témoignages ont montré et ce qu'ont dit devant la caméra les whistleblowers des agences de l'environnement.

Ainsi depuis vingt ans le territoire américain est dévasté par des entreprises devant lesquelles la loi s'est courbée et qui ont d'habiles avocats. Leurs victimes doivent prouver à grands frais que l'extraction du gaz est cause de leurs malheurs : lorsqu'elles y parviennent, elles sont indemnisées mais doivent signer un accord de confidentialité qui les contraint à se taire.

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Oui, le schéma est classique : un enquêteur se met en route pour sauver le monde et rencontre des victimes, de courageux whistleblowers, des entreprises assoiffées de profit, des lobbyistes menteurs...

Il y a là de quoi mobiliser les personnes qui jugent l'industrie mauvaise et l'entreprise perverse, qui pensent que l'action humaine viole une nature dont il faut préserver la virginité. Ces mêmes personnes seraient bien malheureuses s'il leur fallait, chasseurs-cueilleurs vivant en symbiose avec une nature intacte, renoncer à tout ce qu'apporte l'entreprise - mais leur imaginaire, héroïque, ignore noblement cette réalité.

Certes, le gaz de schiste est une ressource fossile et donc émettrice de CO2, elle est non renouvelable et son exploitation ne supprimera pas le risque de pénurie à terme : il ne faudrait donc pas que sa mise en exploitation ralentît la lutte contre le réchauffement climatique ni la recherche de nouvelles méthodes pour produire de l'énergie.

Mais si l'enjeu est une réduction de la dépendance énergétique de notre pays dans les décennies qui viennent nous ne pouvons pas le négliger, et nous ne sommes d'ailleurs pas condamnés à agir comme les Américains qui, cédant à un de leurs penchants, se sont hâtés de dégager du profit en faisant n'importe quoi.

J'ai entendu dire que le gaz de schiste pourrait procurer à la France l'indépendance énergétique pendant 100 ans : des pays se sont fait la guerre (à tort, certes) pour moins que ça ! D'autres disent qu'il s'agit seulement de l'indépendance en gaz (et non de l'indépendance énergétique totale) et pendant cinq à dix ans : s'il en est ainsi, laissons ce gaz dormir dans son gisement !

Il faut, comme pour toute ressource naturelle, faire le bilan entre l'enjeu stratégique et les inconvénients de l'exploitation. Est-il possible de réglementer celle-ci, de la contrôler et d'utiliser des techniques moins nocives que celles qu'ont mise en oeuvre les États-Unis et le Canada ? Sera-t-il possible de restaurer l'environnement après exploitation en y affectant une partie (laquelle ?) des revenus qu'elle aura procurés ?

En tant que citoyen, je suis prêt à militer dans un sens ou dans l'autre dès que j'aurai reçu une réponse crédible à ces questions : dans l'attente, je ne peux que suspendre mon jugement. Il serait malheureux que le citoyen restât durablement coincé, quand il cherche à se faire une opinion, entre des militants plus agités que raisonnables et des prédateurs qui mentent effrontément.

9 commentaires:

  1. Bonjour Michel, et merci pour ton intervention sur ce film.

    Il est évident que Gasland est partiel et partial. Mais il démontre l'existence outre-Atlantique de réalisations peu conformes aux meilleures pratiques du monde pétrolier.

    Il paraît en effet peu élégant de polluer si systématiquement des aquifères par les produits d'hydro-fracturation et/ou d'hydrocarbures. Une étude d'impact établie par un géologue aurait certainement permis d'établir le risque.

    Le film a au moins le mérite de montrer au quidam les risques induits par l'industrie extractive des hydrocarbures. Mais il ne faut pas généraliser.

    Ainsi, en France, car c'est l'actualité du Larzac qui nous a poussé à regarder Gasland, il y a fort à parier que le Code minier et l'administration des mines ne laisse pas un opérateur prendre de tels risques.

    Le Code minier prévoit en effet que l'octroi d'un permis hydrocarbures soit soumis à l'étude de la capacité technique et financière de la société briguant le permis. Le détenteur d'un permis devant de surcroît faire face au passif environnemental au titre du même code, ce que montré dans Gasland devient improbable. Quand pour couronner le tout l'administration des mines (dans la pratique les DREAL dans chaque région) analysent le programme des travaux et une notice d'impact préalablement à l'octroi du permis, le risque de dérapage apparaît maîtrisé.

    Plus grave à mon avis, c'est que Gasland met le doigt, involontairement, sur une remise en question plus globale de l'industrie extractive (et pas seulement des "non-conventionnels"). Car les risques de pollution sont omniprésents en matière de forage. L'industrie conventionnelle pratique également la "stimulation" des puits, avec des techniques et des produits assez similaires, avec la même imperfection dans l'étanchéité du tubage et de sa cimentation, devant normalement rendre étanche (sauf aux niveaux d'injection) le forage.

    Gasland démontre donc simplement que l'extraction pétrolière, conduite sans précautions suffisantes, induit des risques environnementaux significatifs. Les plus critiques diront que même avec les plus grandes précautions, l'étanchéité du tubage et de la cimentation des puits est très aléatoire...

    Et je te rejoins donc dans ta conclusion : les notices d'impact apportées par les compagnies pétrolières à l'appui de leurs demandes de permis pétroliers devraient être des documents publics, disponibles en quelques clics de souris. Une chance existerait ainsi que le quidam puisse prendre conscience de l'utilisation actuelle immodérée des énergies fossiles.

    Il reste à espérer que la prédation rendue possible aux Etats-Unis d'Amérique par quelque lobby ne s'exporte pas, notamment en France, où le cadre juridique paraît bien plus maîtrisé.

    Au contraire le législateur a-t-il maintenu la pudique capacité technique et financière que doit démontrer (sans seuils clairs et établis) pour se permettre de refuser opportunément toute demande de permis minier. C'est un autre problème, un autre débat.

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  2. Le problème des gaz de schistes, c'est que s'ils étaient exploités d'une manière plus respectueuse pour l'environnement, ils ne seraient plus aussi rentables.
    Faudra-t-il un baril à 150$ ou repenser à un service public du gaz et de l'énergie?

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  3. Les militants "plus agités que raisonnables" ne laisseront pas faire!!!

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  4. @Mraz
    Peut-être bien... mais il vaudrait mieux être raisonnable : l'agitation n'est pas une bonne conseillère.

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  5. Cher Monsieur

    Vous raisonnez comme quelqu'un qui croit encore en ses institutions et experts gouvernementaux, mais êtes vous informé que le Conseil Général de l'énergie qui réexamine le dossier est aussi celui qui l'a préparé à la signature...

    Êtes vous informé que la phase d'exploration de 5 ans peut se prolonger 2 fois soit 15 ans.Sans aucune redevance pour l'État pendant ce temps.(Cf Corinne Lepage http://www.youtube.com/watch?v=5k9jc95IECQ )

    Êtes vous informés qu'en phase d'exploration il est possible de vendre le gaz.

    Êtes vous informé que le gaz sera vendu où l'exploitant le décidera et... pas forcément en France.

    Êtes vous informé des remontées d'éléments radioactifs avec l'eau, qui ne seront jamais traités comme il se doit (puisqu'il n'y a que le confinement à 3000m sous terre pour essayer de bloquer la radioactivité !)
    http://www.cdurable.info/Gaz-de-schiste-Eau-radioactive-Enquete-Puits-Extrac

    Les autres techniques de forages ne sont peut être pas propres, mais de celle ci, on est au moins certains qu'elle est largement pire.

    Je ne fais pas partie des agités mais je crains que vous vous réveilliez trop tard, cher Monsieur, pour préserver l'avenir de vos enfants ou petits enfants de cette voracité des lobbies du pétrole.

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  6. @Anonyme
    Ce serait mieux si votre commentaire n'était pas anonyme.
    Je suis conscient d'ignorer énormément de choses. Je ne "crois" a priori ni les institutions, ni les experts, ni les agités : je ne me forme une opinion qu'après lecture.
    Il arrive qu'une institution ou un expert soient utiles. L'agitation est souvent inutile.

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  7. Bonjour,

    Pour ma part, je trouve que l'agitation peut se révéler utile, existe-t-il tant de victoire historique qui se soient passées sans agitation ? La retraite dont vous jouissez, les congés payés, le droit de votre des femmes, des noirs américains aux USA et j'en passe.

    Vous qui vivez dans une région où la Cèze coule à flot, une des eaux les plus propres et les moins polluées de France... C'est une belle chance de voir les belles fleurs de Sénéchas chaque matin ;-).

    Et si maintenant, les collectifs ne s'agitent pas, si les gens acceptent en se disant "peut-etre que chez nous, ils feront mieux", alors nous donnons une chance aux firmes du Texas de nous prouver leur bonne foi.

    Mais qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ont changé depuis leur travail aux USA ? Qu'est-ce qui nous prouve que notre gouvernement se montrera plus respectueux de sa population ?

    RIEN.

    Alors, personnellement, je regarderais les choses dans un autre sens:

    Qu'ils nous prouvent qu'ils travailleront différemment, qu'on demande (après information sur les risques environnementaux évalués par des organismes indépendants) son avis à la population, qu'on signe des contrats intraitables sur la protection de l'air et de l'eau et qu'on menace les entreprises de forages de milliards de dollars d'amendes, et alors là, nous pourrons, peut-être, leur donner une chance.

    Mais lorsqu'il s'agit d'eau et d'air, il me semble que ce sont deux choses dont l'être humain a bien plus besoin que d'énergie pour alimenter sa voiture etc.
    En ce qui me concerne, si ces deux ressources sont menacées, je préfère devenir chasseur-cueilleur, et ce n'est pas une parole en l'air. D'ailleurs de nombreuses personnes vivent presque de cette manière, même si ça paraît tellement impossible à d'autres.

    L'inertie n'est pas bonne conseillère, non plus, et surtout, elle sauve rarement la vie des gens. Le courage au contraire et parfois la témérité ont fait leurs preuves.

    Le gaz de schiste, ce n'est pas terminé ! La loi anti fracturation hydraulique est un leurre, bientôt les pratiques, déguisées sous un autre nom, vont refaire surface et sans vigilance, nous n'y verrons que feu !

    Alors, agitez-vous !

    Morgane Aubergé
    Membre du Collectif anti-gaz de schiste du Causse Méjean en Lozère

    Je vous encourage à regarder les ravages du Gaz de Schiste en Pologne:
    http://nonaugazdeschistelyon.wordpress.com/les-mobilisations-chez-nous-et-ailleurs/pologne/

    et le reportage moins poétiqueque Gasland, sur Radio Canada:
    http://www.radio-canada.ca/emissions/decouverte/2010-2011/Reportage.asp?idDoc=124709

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  8. @Morgane Aubergé
    Je partage votre point de vue jusqu'à un certain point seulement. On peut rêver d'un retour au statut de chasseur-cueilleur, mais ceux qui pourraient vraiment supporter la réalisation de ce rêve sont très rares. Par ailleurs je préfère la réflexion à l'agitation.
    Je n'ai trouvé aucune étude économique (et écologique) complète et digne de foi, mais voici un signal qui va dans votre sens : des Américains s'interrogent sur l'emballement autour du gaz de schiste (Ian Urbina, "Insiders Sound Alarm Amid a Natural Gas Rush", The New York Times, 25 juin 2011.

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  9. Bonjour,

    Je ne rêve pas du retour au statut de chasseur-cueilleur et je ne crois que la plupart des personnes qui luttent contre le gaz de schiste en rêve ;-). C'est un autre problème.
    Le gaz de schiste c'est d'abord un problème d'argent, de pouvoir et d'environnement (mis en dernier volontairement car les deux autres prédominent tellement).
    L'article que vous citez le montre même s'ils mentionnent un fait que je n'ai pas traité dans ma première réponse.
    Actuellement, c'est bien le coeur du problème, les compagnies pétrolières surestiment les possibilités de rendement pour motiver les petits investisseurs à acheter des titres dont la valeur baisse avec la confiance de ces mêmes petits porteurs.
    C'est aux USA, maintenant ils arrivent en France et même près de chez vous à Barjac. La belle Cèze qui prend sa source non loin de Charnavas risque d'être utilisée (une fois rendue potable par Bagnols sur Cèze) pour l'envoyer dans des puits. Mais la compagnie MOUVOILS SA écrit dans son rapport qu'il s'agit de puits CONVENTIONNELS. Même s'ils vont envoyer de l'eau dans le puits, faire une fracturation verticale qui risque de s'orienter sur le côté (véridique en lisant le rapport !) et fracturer une roche qui n'est pas appelée schiste mais roche mère (c'est pourtant la même roche puisque "shale" en anglais veut dire marne et pas schiste comme nous avons mal traduit "shale gaz").
    Ils parlent aussi de remettre en service la petite ligne SNCF d'Alès à St Ambroix et d'intéresser les mairies aux bénéfices (d'après leurs estimations de rendement surestimées) ainsi que l'état (3 millions d'euros pour l'état et 200 000 euros pour les mairies).
    C'est la même histoire que pour les mines d'or contre lesquelles mes parents se sont battus, lorsque j'étais petite et qui ont laissé leur témoignage aux Bondons en Lozère.
    Il y aurait tant de choses à dire...avec cette "petite loi" qui n'est pas encore promulguée et dont on sait déjà qu'elle ne nous protègera pas. Avec notre classement à l'Unesco qui risque juste d'être retiré si les Cévennes deviennent une poubelle...
    Et avec cette terrible image des pétroliers fracturant la roche saine pour y injecter l'eau d'anciennes fracturations, chargées de produits chimiques et très concentrée. C'est un des moyens utilisés pour se débarrasser de cette eau tellement polluante et dont personne ne sait que faire...

    Nous nous promettons d'étranges réactions sismiques qui ont déjà eu lieu sur tous les lieux d'extraction (Inde, Pologne, Royaume-Uni, USA etc.).

    Belle journée à vous,
    Morgane

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