dimanche 25 décembre 2011

James Gleick, Genius, Vintage Books, 1991

Cette biographie nous fait entrer dans l'intimité de Richard Feynman, qui fut l'un des plus grands physiciens du XXe siècle.

Contrairement à beaucoup d'autres Feynman ne donne pas la priorité à la mise en forme théorique qui permet de déduire les lois de la nature à partir de quelques hypothèses bien choisies et donc, en somme, de reconstruire le monde par la pensée. Il s'intéresse d'abord aux choses, aux phénomènes, et s'il utilise les mathématiques en virtuose il les considère comme une boîte à outils et non comme le porche de la compréhension de la nature.

Ainsi, alors qu'un Landau pose le principe de moindre action au début de son cours de mécanique puis en déduit l'essentiel de l'édifice théorique de la physique, Feynman part d'un fait qui a d'abord été considéré comme une hypothèse, puis que l'expérience a confirmé et que l'observation a enfin constaté : la nature corpusculaire, atomique, de la matière.

Il aime à explorer les phénomènes auxquels il ne comprend rien. Parfois il parvient à les comprendre, parfois il est contraint de s'arrêter en chemin et alors sa curiosité l'oriente vers d'autres phénomènes, d'autres recherches : il s'intéressera par exemple à la biologie.

Il n'aime pas à lire les travaux ni les articles des autres chercheurs. Dès qu'il a entrevu le sujet dont un auteur s'occupe, il en abandonne la lecture pour se lancer dans sa propre réflexion, ses propre calculs et souvent il arrive au résultat en empruntant des raccourcis, en utilisant des approximations auxquelles l'auteur n'avait pas songé.

Son univers intellectuel est celui de la physique du XXe siècle, bâtie sur la relativité générale, la mécanique quantique et la typologie des particules élémentaires. Contrairement à d'autres pédagogues, qui croient devoir faire passer l'étudiant par la mécanique de Newton avant de lui présenter la physique moderne, il part dans ses Lectures on Physics de la réalité que révèlent les expériences les plus récentes puis présente les théories qui en rendent compte : cela supprime nombre d'obstacles et de paradoxes apparents sur lesquels bute l'étudiant de bonne volonté.

La passion qui le pousse à s'expliquer les phénomènes, l'instinct qui le guide vers des approximations judicieuses, sa familiarité physique et pourrait-on dire manuelle avec les choses le dotent d'une parfaite indépendance d'esprit. Il est impossible d'intimider Feynman car il est aussi intrépide envers les personnes que modeste devant la complexité de la nature.

Après l'explosion de la navette Challenger les dirigeants de la NASA font tout pour masquer leurs erreurs. Feynman plonge dans l'eau glacée un morceau de la matière qui sert à sceller les propulseurs et constate que le froid lui fait perdre de son élasticité, donc de son efficacité. Ce geste d'une élégante simplicité suffit pour expliquer l'accident et pour mettre en évidence la responsabilité de potentats qui n'avaient pas voulu entendre les alertes émises par les ingénieurs.

5 commentaires:

  1. Bonjour-Merci pour ce billet
    Je trouve que de Gennes avait quelque peu la même tournure d'esprit élégante
    bon noël

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  2. Bonjour,

    Dans le dernier paragraphe, il s'agit de la navette Challenger et non de la Columbia (qui explosa apres la mort de Feynman).

    Eric

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  3. Bonjour, il y a une citation de Feynman que j'aime beaucoup et qui montre son attitude face au monde :

    "
    But I don’t have to know an answer. I don’t feel frightened by not knowing things, by being lost in the mysterious universe without having any purpose—which is the way it really is, as far as I can tell, possibly. It doesn’t frighten me.
    "
    —Richard Feynman

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  4. Au sujet de la «démonstration» de Feynman, qui a dû écrire un rapport dissident! tant on tenait à masquer la vérité, on peut en tirer une intéressante application des modèles logistiques. Tout statisticien qui se donne la peine d'examiner les données conclut sans peine qu'il ne faut pas faire décoller une navette par une température aussi près du point de congélation.

    Pour importer une étude de cas dans l'apprentissage des modèles logisitiques que j'ai écrite pour une cours de «Méthodes Statistiques avancées» alors que j'étais professeur à l'École Polytechnique de Montréal (PolyMtl), et qui utilise entre autres les données des 'Orings', le lecteur intéressé pourra cliquer sur le lien suivant et importer le texte avec les données:

    http://wikistat.polymtl.ca/tiki-download_file.php?fileId=274

    (Dézipper le fichier dans un répertoire ad hoc. Les parties de texte en bleu sont cliquables.).

    Cordialement, m
    Marc.Bourdeau@PolyMtl.ca
    Louis.Marc.Bourdeau@Gmail.com

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