dimanche 15 septembre 2013

Philosophie de l'action et langage de l'informatique

Texte de la conférence du 26 septembre 2013 à l'ENST dans le cadre des « Jeudis de l'imaginaire ».

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Évolution historique de la nature

L'histoire fournit d'utiles comparaisons pour comprendre ce qui nous arrive à travers l'informatisation. Bertrand Gille1 a produit une théorie des systèmes techniques qui découpe l'histoire en périodes caractérisées chacune par la synergie de quelques techniques fondamentales.

Ainsi la synergie entre la mécanique et la chimie est vers 1775 à l'origine de la première révolution industrielle ; la deuxième est provoquée vers 1875 en complétant la mécanique et la chimie par une synergie avec l'énergie ; la troisième, vers 1975, résulte de la synergie entre la microélectronique, le logiciel et l'Internet.

Certains historiens ont taxé Gille de « technicisme » : on encourt inévitablement ce reproche quand on s'intéresse à la technique, car comme l'a dit Gilbert Simondon2 notre culture est prisonnière des schèmes mentaux d'une société qui n'existe plus : notre littérature se focalise sur les dimensions psycho-sociologiques de l'existence humaine et la culture ainsi mutilée ignore le rapport entre la société humaine et le milieu naturel, ce rapport que la technique transforme et aménage (voir aussi Ellis3).


Reprenons, pour y voir clair, le modèle de Bertrand Gille. Dans chaque période l'économie connaît un démarrage lent, la croissance est rapide lorsque le potentiel technique est pleinement utilisé, elle ralentit lorsque qu'il s'épuise. Diverses phases de croissance se succèdent ainsi en se superposant comme les tuiles d'un toit.

Chaque période connaît un développement institutionnel qui lui est particulier : les systèmes éducatif, de santé, judiciaire et productif s'organisent en fonction des possibilités et des risques que comporte la mise en œuvre du système technique. Comme toute organisation exige en tout premier la stabilité, les institutions refusent pendant la période de croissance les inventions qui les feraient sortir du cadre de ce système : il faut qu'elles soient saisies par le doute pour se résoudre à entendre les inventeurs. Cela ne peut se produire que pendant le ralentissement final : c'est alors que les inventions, restées jusqu'alors dans les têtes des chercheurs, peuvent se concrétiser par des innovations qui font basculer vers un nouveau système technique.

Ce basculement catalyse le passage d'un monde à un autre car il transforme le rapport avec la nature et donc, finalement, la nature elle-même. Aujourd'hui, par exemple, l'informatisation supprime nombre des effets de la distance géographique : sur l'Internet, la localisation d'un serveur est indifférente et le Cloud computing concrétise l'ubiquité de la ressource informatique, cette ubiquité qui accompagne jusqu'à nos corps avec le téléphone « intelligent ».

Nota Bene : l'Internet est un assemblage de liaisons (fibre optique, câble coaxial, paire torsadée, faisceau hertzien etc.), qui sont des composants passifs, et de composants actifs qui mettent en oeuvre des ressources électroniques et logicielles (routeurs, serveurs, répéteurs, ordinateurs des utilisateurs). On peut donc dire que pour l'essentiel (les composants actifs) l'Internet est une réalisation informatique. Dire, comme on l'entend souvent, « l'informatique et l'Internet », c'est un pléonasme.

Cette catalyse, phénomène rapide en regard du temps historique, est précédée par une riche préparation anthropologique : pour qu'une révolution industrielle puisse se produire il faut qu'une maturation ait eu lieu dans les domaines philosophique, scientifique, social, politique etc.


Par la suite, le « big bang » du changement du rapport avec la nature – et donc de la nature elle-même, si l'on considère que la nature est ce qui se présente comme obstacle et comme appui devant les intentions humaines – fait émerger un éventail de conséquences anthropologiques nouvelles, imprévues et d'ailleurs imprévisibles. Les ingénieurs, les entrepreneurs qui ont mécanisé la production et organisé les premières entreprises industrielles ne pouvaient pas prévoir que cela susciterait l'urbanisation, le capitalisme, la lutte des classes, l'impérialisme, le colonialisme et des guerres mondiales d'autant plus dévastatrices qu'elles utilisaient les armes puissantes que fournit l'industrie.

Émergence et alliages

Pour comprendre en quoi consiste ce « changement de la nature », considérons ce qui se passe lorsque les êtres humains élaborent un nouvel alliage. Dans la nature vierge se trouvent des gisements de cuivre et, ailleurs, des gisements d'étain. Le bronze, alliage du cuivre et de l'étain, n'y existe donc qu'à l'état potentiel. Il a fallu les manipulations de quelques sorciers pour que cet alliage puisse apparaître, puis que ses qualités soient reconnues : il a alors permis de produire des outils plus solides et plus tranchants que les outils en fer utilisés auparavant : les épées de l'âge du bronze ont permis aux Celtes de conquérir l'Europe.

De même, l'alliage du fer et du carbone a permis de construire des machines en acier, plus fiables et plus précises que les machines en bois utilisées auparavant : ce fut le début de la mécanisation et de la première révolution industrielle.

Mais celle-ci a fait émerger un alliage d'une autre nature : celui de la main d’œuvre et de la machine, dont l'usine est le théâtre et dont Taylor4 a formulé la théorie. Enfin, nous le verrons, la troisième révolution industrielle déploie les conséquences d'un autre alliage, celui du cerveau d’œuvre et de l'automate programmable ubiquitaire que l'on nomme « ordinateur ».

Tout alliage fait apparaître dans la nature un être nouveau dont le potentiel diffère de celui de ses composantes : le bronze diffère du cuivre et de l'étain, l'acier diffère du fer et du carbone, l'alliage du cerveau humain et de l'automate fait lui aussi émerger un être nouveau qui n'a pas encore de nom mais dont le potentiel diffère de celui du cerveau comme de celui de l'automate.

Chacun de ces alliages manifeste ainsi un potentiel que la nature comportait certes, mais qui était resté jusqu'alors en sommeil : on peut donc bien parler d'une « transformation de la nature ». Le déploiement des conséquences anthropologiques d'un système technique résulte de la libération de ce potentiel.

Que pouvons-nous dire sur la dynamique du système actuel ? Nous pouvons prévoir en gros ce qui va se passer sur le plan technique dans les dix prochaines années, car nous connaissons à peu près ce qui se prépare dans les laboratoires et ce qui commence à se répandre dans les entreprises.

La logistique, la traçabilité et le recyclage des produits et matières premières pourront être améliorés par l'Internet des objets. Nos corps seront équipés de prothèses organisées en réseau autour d'un téléphone mobile et qui permettront de surveiller notre santé ou notre forme physique. L'impression 3D décentralisera jusque dans les mains des utilisateurs la fabrication des biens auxquels elle procurera une solidité et une légèreté jusqu'alors inconnues. De nouveaux matériaux aux propriétés étranges seront disponibles. Enfin d'ici dix ans certaines des promesses des biotechnologies auront été tenues.

Que dire sur le futur plus lointain ? L'hypothèse la plus raisonnable consiste à prolonger, comme le font des chercheurs du MIT, une exponentielle dont rien n'indique qu'elle va s'infléchir. Brynjolfsson et McAfee disent ainsi que nous n'en sommes qu'à la moitié de l'échiquier5. Ils font allusion à une légende indienne : si l'on met un grain de riz sur la première case de l'échiquier, deux sur la seconde puis si l'on continue en doublant à chaque étape, on obtient à la 32e case la récolte annuelle d'une rizière de 40 hectares. Mais à la 64e case on trouve 600 milliards de tonnes de riz, soit mille fois la production annuelle mondiale.

Telle est la proportion entre ce que nous connaissons aujourd'hui et qui semble déjà si extraordinaire avec l'informatique ubiquitaire de nos téléphones et tablettes « intelligents », et ce qui va se produire durant le XXIe siècle. Ce que nous avons vu, c'est pour ainsi dire rien en regard de ce qui nous attend – sur le plan technique et économique, mais aussi sur le plan anthropologique des comportements, modes de vie, consciences et valeurs.

Revenons au « changement de la nature » que nous avons évoqué. Cette expression est à prendre au sérieux : l'informatisation nous fait aborder un continent où ni la flore, ni la faune ne ressemblent à rien de ce que nous avons connu, où ni les routes, ni les ponts, ni les maisons n'ont été construits, où des terres potentiellement fertiles voisinent avec des déserts dangereux.

Comme toute nature, la nature que fait émerger l'informatisation est indifférente au Bien et au Mal : elle présente autant de dangers que de possibilités. Ni l'optimisme béat (Serres21), ni l'horreur craintive (Ellul22) ne peuvent convenir : il s'agit d'être lucide devant un fait qui s'impose à l'horizon de l'intention et de l'action.

Il est instructif, pour prendre l'exacte mesure de la situation, de se rappeler les conséquences des révolutions techniques antérieures : les excès de l'exploitation à laquelle la force de travail a été soumise au XIXe siècle (Schuhl23), la violence de la concurrence entre les nations européennes, la puissance destructrice des armes que la mécanique et la chimie ont fournies aux armées du XXe siècle (Goya17).

L'entreprise de l'iconomie

On parle beaucoup aujourd'hui du « numérique », du « secteur du numérique », de « l'entreprise numérique ». Ce vocabulaire est utilisé pour éviter les mots « informatique » et « informatisation », qui sont exacts mais jugés « ringards », et il entoure le phénomène qui nous occupe de connotations fallacieuses.

Nous ne l'utiliserons donc pas et pour faire court nous dirons « mécanisée » pour qualifier l'économie, l'entreprise et la société issues des deux premières révolutions industrielles, et « informatisée » pour qualifier celles que fait émerger la troisième.

L'institut Xerfi nomme « iconomie » (Saint-Etienne24) l'économie informatisée supposée parvenue à l'efficacité. Il s'agit non d'un fait constaté, mais d'un but à atteindre situé dans le futur. Sa description éclaire les conditions actuelles de l'efficacité, les possibilités et les dangers que comporte le système technique contemporain ainsi que les diverses dimensions anthropologiques de la société qui se bâtit sur le socle que ce système fournit.

Certains pensent qu'il faut focaliser l'attention sur l'économie actuelle, telle qu'elle est, et qu'il est donc inutile de parler de l'iconomie car elle se situe dans un futur hypothétique. On peut cependant leur répondre qu'il est nécessaire de poser un repère dans le futur : comment pourrait-on en effet sortir de la crise, qui est essentiellement une crise de transition, si l'on ne dispose pas d'un repère vers lequel s'orienter ?

Ce repère est indispensable à ceux dont la fonction consiste à orienter la nation, les institutions et les entreprises en faisant des choix qui permettront de tirer le meilleur parti du système technique contemporain tout en évitant les dangers qu'il comporte. Privés d'un tel repère, et donc désorientés, ils ne peuvent prendre que des décisions à court terme, qui répondent éventuellement à des urgences mais sont inévitablement erratiques.

Pour mesurer la portée du mot « informatisation » il faut revenir à l'étymologie du mot « information » : on y découvre alors un sens bien plus riche que « les informations de vingt heures », ou que la conception volumétrique de Shannon dans sa « théorie de l'information ». Une « information », c'est ce qui donne à la personne qui la reçoit une « forme intérieure » - ou, pour parler d'une façon proche du langage courant, ce qui donne au cerveau de cette personne une capacité d'action.

« L'information n'est pas une chose, mais l'opération d'une chose arrivant dans un système et y produisant une transformation (...) La réalité locale, le récepteur, est modifiée en son devenir par la réalité incidente, et c'est cette modification qui est la fonction d'information » (Gilbert Simondon, Communication et information, Les éditions de la transparence, 2010, p. 159).

Selon cette définition-là, un texte ou des données ne sont pas des informations : ce sont des documents, et l'information ne se dégage que lorsqu'un document rencontre un cerveau humain capable de l'interpréter. Il faut pour cela que celui-ci connaisse la « langue » dans laquelle le document est « écrit » (« langue » éventuellement graphique pour les images et les vidéos), et aussi qu'il soit muni de la structure qui permette de lui conférer un sens. Il faut donc que le cerveau ait été instruit : l'instruction précède nécessairement l'information.

Alors que la théorie de Shannon se focalise sur l'émetteur de messages (il considère que chaque message contient une « quantité d'information » égale au logarithme de sa longueur après suppression des redondances), l'information au sens de Simondon se focalise sur le récepteur, c'est-à-dire sur le cerveau humain : l'instruction du récepteur importe plus que l'activité de l'émetteur, car sans cette instruction l'émetteur émettrait dans le vide.

Si l'on accepte la définition d'« information » que propose Simondon, le mot « informatique » est adéquat pour désigner l'alliage du cerveau humain, instruit et donc capable d'extraire une information des documents qu'il reçoit, et de l'automate programmable ubiquitaire qui entoure la Terre de la doublure documentaire qui la reflète dans l'espace des textes et des images.

Ceux qui se détournent d'« informatique » pour lui préférer d'autres termes médiatiquement corrects parce que dépourvus de connotations négatives (« numérique », « digital ») se privent de l'intuition de cet alliage et de l'émergence qu'il suscite. C'est pourquoi il est important de restaurer le sens plein, profond, du mot « informatique » - ce qui implique d'avoir restauré au préalable le sens du mot « information ».

« Informatique » ne convient cependant pas exactement pour rendre compte du phénomène d'émergence où se déploient les conséquences du système technique contemporain. Cette dynamique est par contre bien rendue par le terme « informatisation », qui indique un mouvement selon une orientation : c'est donc lui qui fournira son repère au vocabulaire de l'iconomie.

Dans la société informatisée, comme dans la société mécanisée, le phénomène économique et sociologique essentiel se déroule non pas, comme on le prétend parfois, au domicile de l'« utilisateur » mais dans l'entreprise, lieu de l'action productive et interface entre le monde de la nature et la société (et plus généralement dans les institutions, lieu de l'action collective). Nous allons décrire l'entreprise de l'iconomie vers laquelle les entreprises actuelles évoluent à tâtons et, trop souvent, à reculons.

Dans cette entreprise informatisée l'ensemble des tâches répétitives est automatisé, qu'elles soient physiques ou mentales. Dans les usines, des robots remplacent la main d’œuvre et les rares emplois qui subsistent sont des postes de supervision et de maintenance. La conception, la recherche s'appuient par ailleurs sur des outils de tri documentaire et de simulation.

Certains ne voient pas comment les emplois ainsi perdus pourront être remplacés et il est vrai que la disparition de la main d’œuvre aura mis à mal les débouchés de nombre de formations : la crise de l'emploi que provoque la robotisation est l'une des manifestations d'une crise d'adaptation sur laquelle nous reviendrons. Une fois l'adaptation franchie l'économie retrouvera naturellement le plein emploi, car toute économie à l'équilibre mobilise la totalité de la force de travail disponible, mais le contenu de l'emploi sera différent de celui qui avait prévalu dans l'économie mécanisée.

Qu'auraient pensé les Français qui vivaient vers 1800 si on leur avait annoncé qu'en 2000 l'agriculture n'emploierait que 3 % de la population active, alors qu'à leur époque elle en employait les deux tiers ? Ils se seraient demandé ce que deviendraient tous ces gens ! Nous sommes dans la même situation : nous ne pouvons ni imaginer, ni prévoir de façon précise la forme que l'emploi va prendre.

Nous pouvons cependant en avoir une idée. Si la main d’œuvre disparaît des entreprises, c'est parce qu'elle y est remplacée par du cerveau d’œuvre. Quand on visite une entreprise on voit que les agents opérationnels partagent leur temps de travail entre l'espace mental que balise l'informatisation, auquel donne accès un écran-clavier (et aussi un téléphone « intelligent », une tablette etc.), et des conversations en réunion.

Ces interfaces communiquent toutes avec une ressource informatique accessible depuis partout et donc douée d'ubiquité. L'ensemble que forment les machines que l'on appelle « ordinateurs » et les réseaux qui les relient constitue un automate certes cloisonné par des droits d'accès mais unique, et capable de réaliser tout ce qu'il est possible de programmer : cet automate programmable ubiquitaire entoure le monde d'une doublure informationnelle.

Nota Bene : « informatisation », qui désigne un processus génétique, est un terme plus exact que « système d'information » qui désigne un état temporaire de l'informatisation de l'entreprise.

Formes du travail productif

Comme tout ce qui est répétitif est automatisé, l'essentiel des activités se partage en deux catégories : les tâches de conception d'une part, les services relationnels de l'autre.

Les services assurent la relation avec les personnes extérieures à l'entreprise : clients, fournisseurs, partenaires. Ces personnes extérieures n'obéissent pas à l'organisation de l'entreprise, elles ne s'expriment pas selon son vocabulaire, elles ont des priorités qui diffèrent des siennes. Les services de conseil, distribution, financement, assistance, maintenance etc., et aussi la formule tarifaire (y compris la gratuité éventuelle) assurent une fonction d'interface, de traduction entre le monde interne de l'entreprise, codifié par son organisation, et un monde extérieur qui, relevant de la nature psycho-sociologique, est infiniment plus complexe que les conventions de l'organisation interne.

Il est donc demandé aux personnes qui assurent ces services de posséder des qualités de discernement, d'entregent, de débrouillardise, qui permettent d'interpréter des situations particulières diverses et de leur répondre de façon pertinente. Ces personnes se trouvent ainsi à la fois dans l'entreprise et en dehors d'elle : si l'on compare l'entreprise à une cellule vivante, dont l'intérieur est séparé du monde extérieur par une membrane, on peut dire que ces personnes travaillent sur la membrane de l'entreprise : elles trient les messages reçus du monde extérieur et les transcrivent dans le langage qui permet d'alimenter le processus productif.

Les tâches de conception sont par ailleurs effectuées par des chercheurs, des designers, des gens du marketing, des organisateurs, des programmeurs : elles englobent la R&D mais ne s'y limitent pas. Nous verrons dans un instant que dans l'économie informatisée tout produit est un assemblage de biens et de services élaboré par le partenariat de plusieurs entreprises : il faut donc concevoir non seulement le bien que le produit comporte, mais aussi les services qui l'accompagnent et aussi son image dans l'esprit des utilisateurs car, pour les produits comme pour l'information, la structure préalable du récepteur importe plus que celle de l'émetteur (Simondon6). C'est ce que Steve Jobs a compris (Isaacson7) : il accordait une égale importance au design du produit, à l'ingénierie de sa production (y compris l'ingénierie d'affaires du partenariat) et à la communication lors du lancement et tout au long de la commercialisation.

Les concepteurs travaillent eux aussi sur la membrane de l'entreprise : ils se trouvent à l'interface entre son organisation et le monde de la nature physique dans laquelle le produit doit s'insérer, et aussi le monde de la nature psycho-sociale car il doit répondre à des besoins humains et sociaux.

Ainsi l'essentiel des emplois se trouve désormais sur la membrane, à l'interface entre le monde de la nature (au sens large qui inclut le psycho-social) et l'organisation de l'entreprise.

Quels sont les autres emplois qui restent à l'intérieur de l'entreprise ? D'abord les fonctions de décision stratégique, qui orientent l'entreprise en choisissant les marchés qu'elle doit viser, les techniques qu'elle doit utiliser, les produits qu'elle doit fabriquer, les partenariats qu'elle doit conclure. Puis les fonctions d'expertise qui exercent une veille assidue sur le monde extérieur et alimentent la décision. Enfin, les fonctions d'animation qui assurent une communication intense dans l'entreprise.

Par ailleurs l'automatisation du travail répétitif n'est pas absolue : tout automate peut connaître des pannes, aucun logiciel n'est parfait. Une supervision humaine est donc nécessaire, alimentée par des indicateurs et alertes que l'automate fournit ; il faut aussi une maintenance périodique attentive. Mais les emplois de supervision et de maintenance sont peu nombreux.

Langage et hypercommunication

Les personnes qui travaillent « sur la membrane » sont autant de guetteurs, de capteurs, qui informent l'entreprise sur l'état de l'art technique, la satisfaction et les besoins des clients, les défauts des produits, les performances de la concurrence. L'information qui remonte des relations avec les clients, partenaires et fournisseurs, les comptes-rendus d'incidents et de cas particuliers, alimentent la réflexion des concepteurs ; les choix que doit faire la conception sont, via les habilitations et contrôles d'accès, communiqués aux personnes qui doivent en connaître : l'entreprise de l'iconomie est donc nécessairement hypercommunicante.

Cela la distingue de l'entreprise hiérarchique, modèle qui a prévalu avant la troisième révolution industrielle et dont Henri Fayol8 a fait la théorie. Le schéma hiérarchique (mot dont l'étymologie est « commandement sacré », ʽιερός et ͐αρχή) convenait à l'entreprise mécanisée, dont la main d’œuvre est supposée ne pas faire usage de son cerveau. L'entreprise informatisée, au contraire, s'appuie sur le cerveau d’œuvre : il en résulte une désacralisation du pouvoir et une structure hypercommunicante, les fonctions d'orientation et d'animation jadis assurées par le pouvoir sacré de la hiérarchie étant désormais considérées comme des fonctions certes utiles, mais ni plus ni moins sacrées que les autres.

Cette structure hypercommunicante s'appuie sur le langage que définit l'informatisation. On dit de façon impropre « langage de programmation » pour désigner le dispositif de commande de l'automate, mais le langage de l'informatique est surtout celui de l'ingénierie sémantique qui choisit et définit les êtres que l'informatisation va considérer (les clients, les partenaires, les fournisseurs, les produits, les entités de l'organisation, les personnes de l'entreprise etc.), leurs identifiants, ceux de leurs attributs qui seront observés et le codage de ces attributs. Cette ingénierie suppose de faire abstraction des êtres qui ne seront pas considérés, des attributs qui ne seront pas observés : une abstraction à finalité pratique, une pratique de l'abstraction fournit à l'informatisation son socle conceptuel.

La qualité de ces concepts s'évalue selon le critère de pertinence, c'est-à-dire d'adéquation à l'action que l'entreprise entend réaliser ; l'action elle-même s'évalue selon sa justesse en regard de l'orientation stratégique ; l'orientation s'évalue enfin selon sa fidélité aux valeurs que l'entreprise entend promouvoir. Ainsi l'ingénierie sémantique de l'entreprise implique et soulève des questions qui, partant de la pratique, culminent dans des choix fondamentaux.

L'interface avec l'automate confronte le cerveau humain au langage de l'informatisation : celui-ci délimite ce qu'il est possible de dire et d'échanger dans l'entreprise et, finalement, ce qu'il est possible de penser. Même si ce langage n'est pas rigoureusement fermé, même si l'hypercommunication y ouvre des interfaces avec le langage d'autres entreprises comme avec la culture de la société, il modèle la structure symbolique qui servira de matrice aux rêves et aux émotions qui nourrissent la création conceptuelle et l'innovation : une entreprise qui se laisse emprisonner par un langage non pertinent se condamne à la stérilité.

S'appuyant sur le socle sémantique, l'action elle-même s'organise avec l'ingénierie du processus de production (Longépé9) : celle-ci met en scène l'alliage du cerveau humain et de l'automate autour de l'interface transcanal de l'hypercommunication, qui coordonne l'écran-clavier, le téléphone mobile, le courrier papier et l'échange par téléphone ou en face à face (la relation d'Amazon avec ses clients en est un exemple achevé). L'ingénierie du processus élucide l'entreprise car elle permet à chacun de mesurer sa propre responsabilité dans l'élaboration du produit ainsi que celle de ceux qui le précèdent et le suivent dans l'enchaînement des activités.

La programmation informatique définit la part du travail qui sera réalisée par l'automate. C'est un sport intellectuel complet (Knuth10) : un programme doit, comme les mathématiques, obéir à la logique. Il doit aussi obéir aux contraintes physiques qu'imposent les limites de la puissance des processeurs, de la taille et de la vitesse d'accès des mémoires, du débit des réseaux. Il doit enfin savoir anticiper le comportement du cerveau humain (des agents opérationnels, des clients, des partenaires) qui se trouve allié à l'automate dans l'action.

La programmation doit préparer aussi l'ingénierie du contrôle, qui assure la supervision de l'automate et la sécurité de l'entreprise en fournissant des indicateurs et des alarmes ; elle doit élaborer des tableaux de bord qui, s'appuyant sur les observations que l'informatisation rassemble, fournissent aux stratèges la vue qui éclaire leurs décisions.

L'informatisation suppose donc la maîtrise des techniques de la pensée qui forment le cœur de la philosophie : pratique de l'abstraction, pertinence des choix conceptuels, articulation de la puissance et de la rapidité de l'automate avec la capacité d'initiative devant l'imprévu que seul le cerveau humain possède, interprétation statistique des observations, anticipation probabiliste des comportements...

C'est par la qualité de sa sémantique, de ses processus, de sa supervision, par l'extension de l'hypercommunication aux clients, fournisseurs et partenaires, que l'entreprise peut faire rayonner sa marque. Celle-ci ne se résume pas au couple que forment un nom propre et un logo : elle est la manifestation d'une individualisation réussie comme celle d'Apple avec Steve Jobs, de Tesla avec Elon Musk et, pour prendre un exemple plus ancien, de Citroën sous l'impulsion de son fondateur.

Conséquences économiques

Une des conséquences de l'automatisation du travail répétitif est la baisse du coût marginal de production : il est pratiquement nul dans les technologies fondamentales de la micro-électronique et du logiciel, il est nul dans les réseaux tant que le débit reste inférieur au dimensionnement, il devient faible ou négligeable dans toutes les activités – agriculture, mécanique, chimie, énergie, services – dans la mesure où elles s'informatisent en s'appuyant sur ces trois technologies fondamentales : la plus grande part du coût de production réside dans l'investissement initial en conception et dans le dimensionnement du réseau de services.

Il en résulte des conséquences économiques profondes. Si le coût marginal devient négligeable devant le coût fixe initial, le rendement d'échelle est croissant : le coût moyen de production est d'autant plus bas que le volume produit est élevé.

Or la théorie économique, celle qui enseigne l'efficacité de la concurrence parfaite et du libre échange, s'appuie sur l'hypothèse des rendements d'échelle décroissants. John Hicks, qui fut sans doute le plus grand économiste du XXe siècle, estimait que renoncer à cette hypothèse entraînerait le naufrage de la théorie économique, « the wreckage of the greater part of general equilibrium theory11 ».

Heureusement il n'en est rien mais il est vrai que la théorie doit innover pour rendre compte de l'iconomie – plus exactement, elle doit accorder une portée générale à un résultat exotique qui semblait ne concerner que quelques cas exceptionnels12.

Pour pouvoir échapper au monopole, qui réserverait toute la production à une seule entreprise, les entreprises informatisées doivent en effet jouer le jeu de la concurrence monopolistique (Chamberlin et Robinson13) en se taillant un monopole sur une niche de la demande. Cela suppose qu'elles sachent différencier leur produit de ceux de ses concurrents en lui conférant les caractéristiques qualitatives qui conviennent à un segment des besoins.

On arrive alors à une nouvelle forme d'équilibre général, mais il s'agit d'un équilibre bouillonnant car les zones de monopole se déforment et se bousculent sans cesse sous l'effet de l'innovation (ainsi le téléphone « intelligent » est le théâtre d'une innovation qui découpe et redécoupe son marché entre Apple, Nokia, Samsung etc. ; le marché des systèmes d'exploitation pour micro-ordinateurs se découpe entre Windows, MacOS, Linux etc. ; le marché de l'automobile obéit à une logique analogue, un nouvel entrant comme Tesla s'imposant soudain). La concurrence monopoliste est un jeu brutal (Arthur14), l'iconomie est une économie du risque maximum où les places acquises peuvent se perdre vite, où les organisations sont soumises à un renouvellement incessant, où il est difficile de prévoir l'évolution des prix : l'iconomie étant ultra-capitalistique, ils dépendent des anticipations et sont donc aussi instables que ceux des biens patrimoniaux (Orléan15).

La diversification des produits se fait par la caractéristique physique du bien, mais surtout par les services : les télécopieurs, les ascenseurs diffèrent peu les uns des autres et c'est la rapidité du dépannage, la qualité de l'entretien qui déterminent le choix du fournisseur. Il en résulte que dans l'iconomie les produits sont tous des assemblages de biens et de services, et c'est l'informatisation qui assure la cohésion de cet assemblage : c'est le cas pour les iPhone et les iPad, qui s'appuient sur les « Apps » ; c'est le cas aussi pour l'automobile, qui ne se conçoit pas sans les services de conseil, financement, assurance, garantie et entretien (observons d'ailleurs que ce bien, emblématique de l'économie mécanisée, s'informatise de plus en plus). Pour limiter les risques, une ingénierie d'affaire répartit par ailleurs l'élaboration du produit entre plusieurs partenaires et c'est encore l'informatisation qui assure l'interopérabilité du partenariat. Au total, l'informatisation est la matrice de l'individualisation de l'entreprise.

Enjeu historique

Alors que l'entreprise mécanisée stérilisait les cerveaux de la main d’œuvre en leur refusant toute écoute, l'entreprise informatisée s'appuie au contraire sur le cerveau humain dont le potentiel se concrétise par la conception innovante des produits, la qualité des services, la clarté du langage qui fonde l'informatisation.

Contrairement à l'énergie d'origine fossile, le cerveau humain est une ressource naturelle inépuisable : on ne peut assigner aucune limite au potentiel ainsi libéré. Alors que les travaux d'un écologiste comme Jean-Marc Jancovici16 restent prisonniers de la thermodynamique, qui était en effet la contrainte indépassable de l'économie mécanisée, l'écologie doit maintenant tenir compte de la néguentropie qu'apporte l'informatisation : il est bien étroit de nier celle-ci au prétexte que les ordinateurs, eux aussi, consomment de l'énergie !

Toute institution, toute construction humaine, tout bâtiment peut être considéré de deux façons différentes : soit on le voit tel qu'il est actuellement, dans sa solidité concrète et avec les contraintes qu'il impose à l'action immédiate, soit on le considère d'un point de vue génétique, selon son origine et son évolution historique. C'est ce deuxième point de vue qui convient pour l'entreprise de l'iconomie : la communication, l'innovation, visent à faire exister sur le marché, dans l'esprit des clients, un être vivant et donc capable de se renouveler en restant fidèle à soi-même.


C'est une des raisons qui frappent d'obsolescence les organisations hiérarchiques où les pouvoirs légitimes, les méthodes, les processus sont comme figés dans le marbre. Ces organisations ont pu convenir à l'économie mécanisée, elles ne conviennent plus à l'économie informatisée car si elles sont momentanément efficaces elles sont trop rigides pour survivre dans un environnement sans cesse bousculé par l'innovation.

L'armée prussienne de Frédéric II, conçue selon les principes d'une discipline absolue et formée par le drill et la schlague, était considérée comme la plus efficace au XVIIIe siècle : elle fut pourtant vaincue par l'armée hypercommunicante de la République, armée de boutiquiers et d'artisans qui n'avaient jamais connu le drill et discutaient avec leurs officiers. Lors de la première guerre mondiale, les leçons du combat ont fait passer l'armée française d'une organisation hiérarchique à la structure hypercommunicante qui lui a procuré une efficacité supérieure (Goya17).

Pour que nous puissions réussir l'informatisation, nous autres Français, il ne peut pas nous suffire de singer les réussites américaines : s'il en était ainsi l'informatique ne serait jamais qu'une importation, l'informatisation serait une greffe superficielle. Nous ne sommes historiquement ni des Américains, ni des Chinois, ni des Indiens : il faut donc que nous trouvions dans notre histoire, dans nos valeurs, le ressort qui puisse nous permettre d'informatiser efficacement notre économie et notre société, de faire émerger l'iconomie.

Or nous possédons un tel ressort et il se trouve qu'il correspond exactement aux exigences de l'informatisation : c'est l'« élitisme pour tous » républicain, cette exigence intime envers soi-même qui a fait des vertus « nobles » (« dignité, réserve, droiture », disait Épictète) l'apanage de tout citoyen français (d'Iribarne18). Alors que l'esprit républicain a été mis entre parenthèses par l'économie mécanisée, qui négligeait le cerveau de la main d’œuvre, le « cerveau d’œuvre » est désormais la ressource essentielle de l'iconomie qui met l'hypercommunication à son service : il ne tient qu'à nous d'y mettre en œuvre le potentiel culturel, humain et symbolique que possède notre République.

Terminons par trois caveat :
  • si l'informatisation démultiplie l'efficacité de l'entrepreneur, qui aménage le monde de la nature pour le rendre habitable par les êtres humains, elle démultiplie aussi celle du prédateur qui s'enrichit en parasitant des flux d'échanges ou en s'appropriant pour les détruire des éléments mal protégés du patrimoine. Le conflit entre l'entrepreneur et le prédateur est engagé et son issue n'est pas donnée d'avance : dans la société la plus moderne qui soit la démocratie et l’État de droit sont menacés par une résurgence de la féodalité19 ;
  • l'organisation hiérarchique conservant naturellement beaucoup d'attraits pour la classe dirigeante, celle-ci résiste à l'informatisation. Francis Jacq20 a ainsi décrit les obstacles « politiques » que rencontre la GED (gestion électronique des documents) ainsi que les contraintes imposées à la définition et la conduite des projets : l'informatique est souvent considérée comme un « centre de coût » à comprimer, l'hypercommunication est refusée, le particularisme des chasses gardées s'oppose à la qualité sémantique, l’informatisation est enfin réduite par les politiques au « numérique » qui n'en est qu'un aspect etc. ;
  • comme le mépris « culturel » qui perdure envers la technique frappe l'informatique, l'effort intellectuel se détourne de l'informatisation (à laquelle on oppose souvent un « humanisme » sentimental et aveugle aux risques réels) alors qu'il s'agit d'un phénomène philosophique et anthropologique de première grandeur.
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1 Bertrand Gille, Histoire des techniques, Gallimard, 1978.
2 Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958.
3 Erle C. Ellis, « Overpopulation is Not the Problem », The New York Times, 13 septembre 2013.
4 Fredrick Winslow Taylor, The Principles of Scientific Management, 1911.
5 Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, Race Against the Machine, Digital Frontier Press, 2012.
6 Gilbert Simondon, Communication et information, Les éditions de la transparence, 2010.
7 Walter Isaacson, Steve Jobs, JCLattès, 2011.
8 Henri Fayol, Administration industrielle et générale, 1920.
9 Christophe Longépé, Le projet d'urbanisation du SI, Dunod, 2009.
10 Donald E. Knuth, The Art of Computer Programming, Addison Wesley.
11 John Hicks, Value and Capital, Oxford University Press, 1939, p. 84
12 Michel Volle, e-conomie, Economica, 2000.
13 E. H. Chamberlin, The Theory of Monopolistic Competition, Harvard University Press, 1933 ; Joan Robinson, The Economics of Imperfect Competition, 1933.
14 W. Brian Arthur, « Increasing Returns and the New World of Business », Harvard Business Review, juillet-août 1996.
15 André Orléan, L'empire de la valeur, Seuil, 2011.
16 Jean-Marc Jancovici, Transition énergétique pour tous, Odile Jacob, 2013.
17 Michel Goya, La chair et l'acier, Tallandier, 2004.
18 Philippe d'Iribarne, La logique de l'honneur, Seuil, 1993.
19 Michel Volle, Prédation et prédateurs, Economica, 2008.
20 Francis Jacq, « La logique de la référence », contribution à Digital Enterprise Design & Management, 2014.
21 Michel Serres, Petite Poucette, Le Pommier, 2012.
22 Jacques Ellul, Le bluff technologique, Hachette, 1988
23 Pierre-Maxime Schuhl, Machinisme et philosophie, PUF, 1969.
24 Christian Saint-Etienne, L'iconomie, Odile Jacob, 2013.


10 commentaires:

  1. Merci pour cet article. Pour ma part, toute révolution résulte d'une logique de continuité, ce qui est heureux puisque ,nous pouvons prédire l'avenir en tenant compte du passé et du présent. C'est ainsi qu'on déduit un monde futur dominé par le numérique, une des conséquences de l"évolution technologique.

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    1. Il y a toujours de la continuité sans doute, mais de la rupture aussi...

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  2. Bonjour,
    Je voudrais vous faire remarquer que l'informatisation et la robotique vont être bientôt limitées par la pénurie de ressources naturelles, tous les minerais et le pétrole qu'elles nécessitent va manquer bien avant l'explosion d'applications intelligentes que vous prévoyez. Comment ressentez-vous cela ? L'informatique qui est une technique dispendieuse d'énergie et de ressources, ne pourra plus ni être développée ni pire etre simplement maintenue. Même si vous imaginez qu'on pourra la remplacer par la pensée télépathique, celle-ci devra être nourrie et tous les éléments nécessaires à la vie humaine feront aussi bientôt défaut, demain les chiens peut-être, mais sans les robots !

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    1. Les ressources naturelles sont donc près d'être épuisées ? Le nécessaire à la vie humaine fera bientôt défaut ? Bref : l'humanité est foutue ?
      Ces propos caricaturaux ont pour fonction de masquer les dangers réels qui, eux, nous prendront à la gorge sans crier garde.

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    2. Pour quelqu'un de réflechi comme vous paraissez l'être d'après votre blog, je m'étonne que vous me répondiez comme si j'étais un éberlué de première. Je ne me vois pas comme cela, mais se voit-on réellement ? je me pose des questions, interroge mes prochains, essaye de suivre les travaux un peu pertinents, mais est-on assez critique ?
      Pouvez-vous répondre ou préferez-vous esquiver les questions comme vous en avez tout a fait le droit?
      Où pensez-vous trouver les ressources nécessaires à la poursuite d'une humanité qui a surtout l'air de pratiquer la fuite en avant avec pour unique projet plus (+) de croissance pour plus de production d'objets de plus en plus sophistiqués, plus de sollicitations de besoins (inutiles à une vie décente) donc plus de consommation et plus de déchets, qui couvrent de plus en plus de surface, aucune réflexion sur cette fuite boulimique sans regarder en arrière, voir où on a éventuellement fait des mauvais choix, non il faut s'enfoncer dans chaque solution foireuse, le tout-pétrole qui couvre l a mer de sacs en plastique (c'est un détail...) qui va détruire nombre de paysages avec l'exploitation des sables bitumineux et du gaz de schiste (c'est un détail...), qui nécessitent beaucoup d'énergie pour obtenir un surplus de pétrole, à peine plus d'énergie que consommé et qu'on va payer plus cher évidemment(c'est un détail...), les travaux qui détruisent, défigurent le paysage ou le cache entièrement (a quoi ça sert un paysage...) comme des villes tentaculaires, des autoroutes ou des aérodromes dont on n'a pas besoin (c'est un détail...).

      Les ressources c'est une chose, importante et qui s'amenuise (bah, on va se débrouiller...) mais la seule énergie qui est inépuisable (4 milliards d'années de disponibilité) , l'énergie solaire celle qui peut permettre de survivre (à condition qu'il reste des endroits pour ce faire), elle n'est captable que si on respecte les systèmes capables de nous la rétrocéder, les plantes et les algues, mais ça n'en prend pas le chemin. Les solutions techniques ne seront jamais à la hauteur car bouffeuses elle-mêmes d'énergie et des ressources qui manqueront, sauf à aller les chercher en dehors de la terre, mais à quel coût énergétique et on boucle...(mais c'est ridicule, on va s'en sortir avec l'informatique, là je me moque un peu).
      L'humanité a évolué en ayant peur de la nature et a développé ses représentations du monde non autour de la nature mais de lui-meme uniquement, en bon narcissique qu'il est devenu. Il craint cette nature qui l'a fait au point de vouloir (inconsciemment bien sur et collectivement) la détruire, sans posséder les moyens ni de se regarder faire (l'auto-référence ne fonctionne qu'individuellement) ni de revenir en arrière pour éventuellement reprendre ce qu'il a mal fait. Quand il prend conscience de quelque chose de mauvais, il trouve une solution dans la poursuite de sa fuite (l'économie verte, par exemple), mais je boucle et vais la boucler.

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    3. Ma réponse vous a paru désinvolte, mille excuses. Elle était pourtant sensée.
      Vous énumérez la liste des inquiétudes qui sont dans l'air du temps et que j'entends si souvent dans la conversation.
      J'ai d'autres inquiétudes, car je vois venir des dangers qui me semblent plus probables et plus graves : l'informatisation a rendu ivres de pouvoir la Banque, la NSA, les armées (drones tueurs) etc. ; les malfaiteurs savent comment utiliser l'informatique pour blanchir leurs profits et s'emparer des entreprises légales ; l'économie informatisée, ultra-capitalistique, est aussi l'économie du risque maximum et donc de la violence maximum : corrompre et espionner sont des tentations presque irrésistibles, parfois des nécessités pour la survie.

      L'économie ultra-moderne est ainsi tentée de renouer avec les rapports sociaux archaïques de la féodalité : l'Etat de droit et la démocratie sont menacés. Pour comprendre ce que cela signifie, il suffit de lire une histoire de la Fronde ou de voir ce qui se passe aujourd'hui dans certains pays.

      On pourrait par ailleurs donner au mot "croissance" un autre contenu que boulimie et gaspillage. Assignez-vous une limite à la croissance de l'intelligence, de la dignité, du respect de soi-même, des autres et de l'environnement, du discernement, etc.?

      Le pessimisme n'est donc pas obligatoire, mais pour pouvoir éviter le danger il faut d'abord l'avoir aperçu. Je crains que les inquiétudes qui sont dans l'air du temps n'aient pour fonction de nous le masquer.

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    4. Alors, vous m'épatez parce que ce que vous citez, c'est le moteur de cette société faite de brigandage, de rapine et d’accaparement des richesses qui provoque cette gabegie des ressources et d'énergie. Le côté "obscur" de l'humanité est aux manettes.

      Bien sûr que l'humain possède des qualités qui les unissent ( empathie, common decency ) mais ces qualités sont dévoyées et réorientées par cette fuite en avant que je dénonce (comment supportons-nous cette agression de la publicité part ex ?). Ces forces mal utilisées (le pouvoir du consommateur en est un exemple criant) font que freiner cette démarche folle est difficile voir impossible, espérer un sursaut collectif surtout au niveau mondial est un vœux pieu ou l'espoir de l'optimiste, mais cet optimisme est aussi une manière d'étouffer, toute vélleité de révolte (une défense individuelle voir construction sociale et religieuse), car cette situation est révoltante.

      A t-on réellement quitté le moyen âge ? feodalité, monarchie, tyrannie avec leur avatar tiède de république sont toutes des solutions de convenance pour que le pouvoir ne soit surtout pas donné aux peuples. On a la solution qu'on mérite ou la moins mauvaise ?

      Le pessimisme est aussi un moteur de la réflexion.

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    5. Voici ce qui nous sépare : vous pensez qu'il est "difficile, voire impossible" de sortir de la gabegie, alors que je pense que c'est très difficile, mais possible.
      Je m'efforce de n'être ni pessimiste, ni optimiste, mais réaliste et constructif. Cela n'empêche pas d'avoir une claire conscience de ce qui va mal...

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    6. Pour en revenir à l'informatique, l'illusion du salut par la technique fait partie de l'opium que s'auto-administre la collectivité, c'est la modernité le scientisme dont on n'est toujours pas délivrés, dont le communisme était le chantre et qui reste gravé en nous.

      On a dévoyé, une fois de plus, l'intelligence qui devrait s'exprimer dans la recherche de connaissances (de constructions intellectuelles nouvelles car, à mon avis, il n'y a pas de découvertes il n'y a que des inventions qui viennent enrichir notre cerveau collectif) au profit d'une course (une de plus) à la technique, à la production d'objets de consommation et à leur promotion et vente (voir la multiplication des écoles de commerce). L'informatique n'est qu'une technique, même si elle engendre à la marge des avancées sur la connaissance de la pensée. En informatique, on aurait pu/pourrait éviter, par exemple, de coller à chaque nouveau saut technique (souvent très relatifs), en attendant le suivant qui était/est inévitable et faire ainsi des économies incroyables de développements voire de refontes inutiles.
      Merci, en tout cas pour vos réponses.

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  3. Il va falloir une bonne dose d'optimisme pour supporter de telles avancées de l'intelligence qui nous dirige...
    http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2013/12/19/la-silver-economy-ou-comment-les-vieux-vont-sauver-la-croissance/#more-630

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