vendredi 30 mai 2014

Mettre les banques à la raison

Lorsqu'une banque est reconnue coupable d'un délit (assistance à la fraude fiscale, blanchiment des profits du crime, non respect d'un embargo), elle passe un compromis (settlement) avec ses victimes, la justice et le régulateur : l'affaire est classée moyennant le paiement d'une amende.

Cette amende est d'un ordre de grandeur macroéconomique : ainsi il est question que la BNP, accusée par les Etats-Unis d'avoir contourné l'embargo imposé à certains pays, paie une amende de 10 milliards de dollars. Ce n'est pas fini car elle est par ailleurs soupçonnée, avec la Société Générale et le Crédit Agricole, d'avoir facilité des opérations de blanchiment1.

JPMorgan Chase s'est vue infliger une amende de 13 milliards de dollars pour ce qu'elle a fait sur le marché des subprimes2, auxquels s'ajoutent 2 milliards pour son rôle dans l'affaire Madoff3.

UBS4 et Deutsche Bank5 se sont fait pincer à propos des subprimes ; Crédit Suisse6 pour du blanchiment ; une enquête est en cours sur la manipulation du cours des devises7 ; Barclays, UBS, Royal Bank of Scotland et Rabobank ont dû payer plusieurs centaines de millions d'euros pour avoir manipulé le Libor ; la Royal Bank of Scotland est accusée d'avoir poussé à la faillite des entreprises viables pour récupérer leurs actifs à bon compte8.

*     *

Si une banque accepte de payer de telles amendes, c'est pour éviter le déballage qu'occasionnerait un procès et aussi pour éviter la sanction éventuellement plus sévère que risquerait de décider un jury scandalisé.

Aussi impressionnante qu'elle soit, l'amende ne fera cependant qu'écorner le profit de la banque. Si elle est inférieure au produit du profit que procure un délit par la probabilité de se faire prendre, la stratégie « pas vu, pas pris » reste rentable.


Or la probabilité de se faire prendre est d'autant plus faible que les opérations sont plus informatisées et plus rapides : leur complexité les protège du regard des enquêteurs (c'est notamment le cas avec le trading de haute fréquence). C'est ce qui explique l'épidémie de criminalité qui gangrène la Banque (Jean-François Gayraud, Le nouveau capitalisme criminel, Odile Jacob, 2014).

*     *

Les amendes ne sont pas une arme efficace pour contenir cette épidémie. Pour faire vraiment peur à la Banque, il faudrait frapper à la tête. Si la Justice, qui sait mettre en prison les fumeurs de joints et les voleurs de poules, y mettait aussi des dirigeants de banque, cela serait plus dissuasif que les amendes.

Cette suggestion scandalisera ceux qui croient que les dirigeants sont des êtres supérieurs : ils ne voient pas que s'il se trouve parmi eux d'authentiques entrepreneurs, il s'y trouve aussi nombre de prédateurs et de mondains qui usurpent la fonction de commandement (voir "Entrepreneurs et prédateurs, conflit frontal" et "Lettre ouverte à un dirigeant français") : il faut dissuader les prédateurs et les mondains de manœuvrer pour se hisser à la tête des banques.

Mais malgré l'évidence et l'importance des délits commis par la Banque, le seul banquier qui ait été mis en prison n'était pas un grand patron9. Cette timidité a deux explications.

L'amende punit la banque sans la stigmatiser : certes le profit est atteint, mais l'honneur est à peu près sauf. Mettre en prison son dirigeant, par contre, serait porter un coup à sa crédibilité et peut-être compromettre sa survie. La faillite d'Arthur Andersen après l'affaire Enron a effrayé les juges, qui avaient voulu punir un commissaire aux comptes complaisant mais non le condamner à mort.

L'autre raison est sociologique : le dirigeant d'une grande banque est, tout comme celle-ci, « too big to fail ». Il sait entretenir (et financer, les paradis fiscaux sont commodes) un réseau de relations bien placées (cf. "Comment se construit l'élite"). Il sait aussi comment démolir un adversaire ou un rival. Bref : c'est un combattant, il fait peur.

Tant qu'il ne se sent pas menacé personnellement, il n'a qu'à encourager ses équipes à « produire de l'argent » en leur laissant entendre, implicitement bien sûr, que la seule règle est « pas vu, pas pris ».

Si par contre il sait qu'en cas de délit il risque de faire connaissance avec « la paille humide des cachots », les consignes qu'il donne, les bonus et les avancements qu'il distribue seront guidés par de tout autres critères.

Mettre en prison pour une bonne durée le dirigeant de la banque qui a fauté, c'est malheureusement la seule stratégie qui puisse ramener la Banque à la raison. Qui aura le courage de l'appliquer ?

____
1 « Société générale, BNP et Crédit agricole suspectées de blanchiment aux États-Unis », Le Monde, 8 mars 2014.
2 Ben Protess et Jessica Silver Greenberg, « Tentative Deal Hands JPMorgan Chase a Record Penalty », The New York Times, 19 octobre 2013.
3 Ben Protess et Jessica Silver Grennberg, « JPMorgan Is Penalized $2 Billion Over Madoff », The New York Times, 7 janvier 2014.
4 Aurélie Boris « UBS paie près d'un milliard de dollars pour oublier les subprimes », BFMTV, 26 juillet 2013.
5 Jonathan Gould et Nate Raymond, « Deutsche Bank to pay $1,9 billion to settle U.S ? mortgage case », Reuters, 20 décembre 2013.
6 Joe Nocera, « Credit Suisse Gets Off Easy », The New York Times, 23 mai 2014.
7 Marc Roche, « L'enquête sur les manipulations du marché des changes s'étend », Le Monde, 11 octobre 2013.
8 « La banque britannique RBS accusée d'avoir poussé des entreprises à la faillite », Le Monde, 25 novembre 2013.
9 Jesse Eisinger, « Why Only One Top Banker Went to Jail for the Financial Crisis », The New York Times, 30 avril 2014.

3 commentaires:

  1. Est-on encore dans la justice ou dans la vengeance ? Exiger la prison pour les autres ressemble un peu à "armons-nous et partez" ou à la célèbre déclaration de S Royal après l'emprisonnement d'un étudiant militant de la manif pour tous "cela lui aura fait une expérience".
    Si l'on emprisonne les dirigeants, qui d'autre emprisonne-t-on ? Tous ceux qui étaient au courant des malversations ? C'est sûrement une manière de relancer l'immobilier par la construction de prisons alors.
    Ou alors, faut-il retourner à la justice d'Ancien Régime qui savait frapper durement les élites, y compris celles proches du Roi ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il ne s'agit pas de vengeance mais d'exemplarité : il faut dissuader les délinquants. Le fait est que les amendes ne les dissuadent pas.
      On a trop oublié que le responsable, dans une entreprise, c'est celui qui la dirige. C'est donc sur lui, et sur lui seul, que doit tomber la sanction.

      Supprimer
  2. Jean-Maurice Parnet7 juillet 2014 à 16:52

    Tout à fait sur la même longueur d'onde que MV: cadre de banque pendant 22 ans (au XXème siècle !), je suis stupéfait par le laxisme éthique des banquiers du XXIème ' et ce à tous les niveaux. Aurais-je fait le 1/10ème de ce que se permet Lloyd B chez GS, j'aurais été a/renvoyé manu militari de ma banque; b/ poursuivi en justice et condamné à de lourdes peines. Par ailleurs la banque "moderne" n'a plus rien à voir avec le vrai métier de banquier et s'apparente désormais plus au fond de commerce de M. Partouche !!!

    RépondreSupprimer