mercredi 2 juillet 2014

Nicolas Sarkozy : style et usurpations

Nicolas Sarkozy n'est pas seulement l'homme politique qui a été ministre puis président de la République. C'est aussi un homme tout court et cet homme a un style.

Ce style, c'est une trépidation de l'être qui se manifeste par l'activité incessante, la repartie rapide, le talent d'un escrimeur médiatique. Il séduit ceux qui respectent l'énergie, ou plutôt son apparence.

Oui, son apparence, car nombre de mesures annoncées n'ont eu d'autre conséquence que le pur effet d'annonce. Cette activité s'est donc souvent dégradée en activisme, cette énergie s'est parfois dégradée en violence.

Celle-ci s'est manifestée avec une vulgarité qui a choqué : que l'on se rappelle le « croc de boucher » promis à de Villepin, l'invitation à la bagarre adressée à un pêcheur qui l'avait insulté, le « casse-toi, pauvre con » adressé à un quidam au salon de l'Agriculture.

La vulgarité était présente aussi dans l'attitude ostensiblement « décontractée » lors des rencontres avec d'autres dirigeants : on a vu Sarkozy, le talon d'un soulier dans la main, se vautrer dans un fauteuil devant Poutine.


On l'a vu aussi palper avec complaisance la poitrine d'une dame qu'il venait de décorer :


Ce style était fait pour séduire ceux qui ne conçoivent pas ce qui sépare l'activité de l'activisme, l'énergie de la violence, la décontraction de la vulgarité. Ils sont certes nombreux et plus nombreux encore sont ceux qui, respectant les institutions, croient devoir accorder le même respect à la personne qui occupe la fonction de président de la République.

Or la question est de savoir si cette personne remplit effectivement la fonction à laquelle elle a été élue. On arrive ici au point culminant de la question du style.

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Tous les politologues le disent : Nicolas Sarkozy a voulu gouverner depuis le palais de l’Élysée. Ce faisant, il a usurpé la fonction du premier ministre et déserté sa propre fonction, celle du président.

Certains croient que le rôle éminent conféré au président par la constitution de la Ve République autorise celui-ci à définir à son gré le périmètre de ses attributions. Or il n'en est rien puisque cette constitution dispose dans son article 21 que « le premier ministre dirige l'action du gouvernement ».

La mission du président est définie par l'article 5 : « il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ». Occuper la position de l'arbitre implique de se mettre à l'extérieur et au dessus de l'action du gouvernement pour lui indiquer son orientation stratégique et, si besoin est, le rappeler à sa mission.

Le style qui convient à cette fonction n'est pas celui de l'activisme : elle suppose des interventions rares, mais solennelles, que prépare une méditation menée dans le calme et nourrie par la consultation des meilleurs experts. Elle suppose aussi que le président, une fois élu, oublie les intérêts du parti qui l'a aidé à vaincre ses concurrents, et traite sur un pied d'égalité toutes les composantes de la vie politique.

Telle n'a pas été assurément l'attitude de Nicolas Sarkozy, telle n'est pas non plus celle de François Hollande même s'il ne commet pas les mêmes excès que son prédécesseur : contrairement à un Vincent Auriol, il n'a pas pris avec le parti socialiste la distance que sa fonction impose.

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La confusion dans l'exercice des missions et les usurpations qu'elle entraîne ne se sont pas limitées à la relation entre la présidence et le gouvernement. Celui-ci a depuis longtemps usurpé la mission du parlement : les lois sont pratiquement toutes préparées par l'exécutif, qui bénéficie de l'expertise technique des fonctionnaires, et la discipline de vote devenue habituelle dans les partis garantit que la majorité votera ce qu'il lui propose. Seule reste en pratique au parlement la possibilité de proposer des amendements.

Un fonctionnaire atteint le sommet de la gloire lorsqu'une loi qu'il a rédigée est votée. Il n'est donc pas surprenant que le parlement soit accablé par une avalanche de textes dont l'incohérence se révèle lors de leur mise en application.

Ainsi l'exécutif, dont la mission est d'assurer la gestion des affaires de sorte que chaque institution remplisse sa propre mission de façon fidèle et efficace, la néglige pour se poser en législateur. Il se soucie si peu de l'exécution que les études qui la préparent sont généralement bâclées et que celles qui devraient l'évaluer ne sont pratiquement jamais réalisées.

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Alors que le pouvoir législatif est ainsi vidé de sa substance par un pouvoir exécutif qui lui-même se détourne de sa mission d'exécution, le pouvoir judiciaire est chargé de contrôler l'application de lois qui s'accumulent, parfois se contredisent, et dont certaines sont tombées en désuétude.

Il observe les usurpations dont les deux autres pouvoirs sont l'objet et, comme elles sont contraires à l'esprit comme à la lettre de la loi, il les sanctionne.

Ceci nous ramène à Nicolas Sarkozy et à sa conception du pouvoir. Rien ne se trouvant au dessus du président de la République celui-ci pouvait, pensait-il, se mêler de tout et même tout se permettre sous la seule contrainte du « pas vu, pas pris », devenu le grand et peut-être le seul principe du monde de la Finance et qui, parti de ce monde, s'est répandu dans tous les autres.

Mais le « pas vu, pas pris » est d'application périlleuse lorsque la manœuvre que l'on souhaite cacher nécessite la coopération de personnes dont la fidélité dépend de la carrière que l'on peut leur offrir et donc du pouvoir de nomination que l'on possède. Or ce pouvoir s'évanouit dès que l'on n'est plus président.

On peut donc prévoir que Nicolas Sarkozy, trahi par des personnes qui se refusent à subir une condamnation à sa place, se fera « pincer » pour l'un ou l'autre des excès dans lesquels son activisme l'a entraîné : la partie est en fait d'ores et déjà perdue pour lui.

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La leçon à en tirer dépasse cependant sa personne. La confusion des missions des institutions, les dysfonctionnements qu'elle provoque, appellent à revenir à l'esprit de la constitution et peut-être à la réviser.

Empêtré dans cette confusion, le politique se révèle en effet incapable de dégager une orientation stratégique : alors que des « mesures » s'ajoutent aux « mesures » et que la scène est accaparée par des « questions de société » du deuxième ordre – car que pèsent, en regard du chômage de masse, le « mariage pour tous » et autres calembredaines – la population désespère en attendant la voix qui lui indiquera une perspective ayant un sens.

8 commentaires:

  1. Merci pour la clarté logique de cette analyse. Puisses-tu être entendu (ne nous faisons pas trop d'illusions).

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  2. Excellente analyse. Et prémonition juste, puisque ce 2 juillet Sarkozy est mis en examen : "On peut donc prévoir que Nicolas Sarkozy, trahi par des personnes qui se refusent à subir une condamnation à sa place, se fera « pincer » pour l'un ou l'autre des excès dans lesquels son activisme l'a entraîné : la partie est en fait d'ores et déjà perdue pour lui. "

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  3. Daniel Depardieu4 juillet 2014 à 09:30

    Oui excellente analyse, mais le risque qu'il aille de non-lieu en non-lieu me semble encore important, ce qui serait catastrophique puisqu'il saurait exploiter la situation à son avantage.

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  4. Bravo et merci !
    Excellent papier que je me suis permis de faire circuler autour de moi.
    Une petite remarque toutefois : Juppé avait stoïquement accepté de se taire et de se faire condamner à la place son patron et donneur d'ordre, Chirac. Il est vrai qu'il a ensuite repris une belle carrière et que ce n'est peut-être pas fini.

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    1. Michèle Douaze21 août 2014 à 10:54

      C'est fait, A.Jupé entre dans la course. Sale temps pour Sarkozy et aussi Marine Le Pen mais attendons 2017.

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  5. Vous avez une excellente analyse, je serais curieux de connaître votre analyse de Hollande, puisses-t-elle être partiale !

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    1. Vous avez sans doute voulu écrire "impartiale" ?
      Je respecte Hollande. J'estime cependant qu'il aurait dû indiquer à la population l'orientation stratégique vers l'iconomie.
      Il ne l'a pas fait : c'est dommage pour lui et surtout pour les Français.

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  6. Voici une réponse possible : http://france2022.blogspot.fr/2014/03/confessions-intimes-et-confessions.html

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