samedi 4 août 2018

Puységur et Vauban

Ce texte fait partie de la série "Un peu de lecture pendant les vacances"

Saint-Simon savait reconnaître lorsqu'il les rencontrait la grandeur, la générosité et la bonté, qualités rares alors comme aujourd’hui : en témoigne ce qu'il a écrit sur Puységur (vol. 2, p. 397) et sur Vauban (vol. 2, p. 299).

Puységur

C'était un simple gentilhomme de Soissonnais, mais de très bonne et ancienne noblesse, du père duquel il y a d'excellents Mémoires imprimés, et qui était pour aller fort loin à la guerre et même dans les affaires. Celui-ci avait percé le régiment du Roi infanterie jusqu'à en devenir lieutenant-colonel ; le Roi, qui distinguait ce régiment sur toutes ses autres troupes, et qui s'en mêlait immédiatement comme un colonel particulier, avait connu Puységur par là. Il avait été l'âme de tout ce que M. de Luxembourg avait fait de beau en ses dernières campagnes en Flandre, où il était maréchal des logis de l'armée, dont il était le chef et le maître pour tous les détails de marches, de campements, de fourrages, de vivres, et très ordinairement de plans. M. de Luxembourg se reposait de tout sur lui avec une confiance entière, à laquelle Puységur répondit toujours avec une capacité supérieure, une activité et une vigilance surprenante, et une modestie et une simplicité qui ne se démentit jamais dans aucun temps de sa vie ni dans aucun emploi. Elle ne l'empêcha pourtant, par aucune considération que ce pût être, de dire la vérité tout haut, et au Roi qui l'estimait fort et qui l'entretenait souvent tête à tête, et quelquefois chez Mme de Maintenon, et il sut très bien résister au maréchal de Villeroy et à M. de Vendôme, malgré toute leur faveur, et montrer qu'il avait raison. Le Roi lui fit quitter sa lieutenance colonelle pour s'en servir plus utilement et plus en grand. À la fin il est devenu maréchal de France avec l'applaudissement public, malgré le ministre qui le fit, et qui, après une longue résistance, n'osa se commettre au cri public et au déshonneur qu'il aurait fait au bâton, s'il ne le lui avait pas donné, et par le bâton il le fit après chevalier de l'ordre avec les mêmes délais et la même répugnance. À la valeur, aux talents et à l'application dans toutes les parties militaires, Puységur joignit toujours une grande netteté de mains, une grande équité à rendre justice par ses témoignages, un cœur et un esprit citoyen qui le conduisit toujours uniquement et très souvent au mépris et au danger de sa fortune avec une fermeté dans les occasions qui la demandèrent souvent qui ne faiblit jamais, et qui jamais aussi ne le fit sortir de sa place. 

(Nota Bene : Pour comprendre Saint-Simon il faut le traduire dans notre langue. « Netteté des mains » veut dire que Puységur n'est, contrairement à la plupart des généraux, ni un voleur ni un pillard  ; « équité à rendre justice par ses témoignages » veut dire qu'il ne s'attribuait pas les mérites ni la gloire qui appartenaient à d'autres  ; « citoyen » doit s'entendre au sens étymologique : « celui qui agit pour le bien de la Cité », pour ce que nous nommerions aujourd'hui « le bien commun ».)

Vauban

Vauban s'appelait Leprêtre, petit gentilhomme de Bourgogne tout au plus, mais peut-être le plus honnête homme et le plus vertueux de son siècle, et avec la plus grande réputation du plus savant homme dans l'art des sièges et de la fortification, le plus simple, le plus vrai et le plus modeste. C'était un homme de médiocre taille, assez trapu, qui, avait fort l'air de guerre, mais en même temps un extérieur rustre et grossier pour ne pas dire brutal et féroce. Il n'était rien moins. Jamais homme plus doux, plus compatissant, plus obligeant, mais respectueux, sans nulle politesse, et le plus avare ménager de la vie des hommes, avec une valeur qui prenait tout sur soi et donnait tout aux autres. Il est inconcevable qu'avec tant de droiture et de franchise, incapable de se prêter à rien de faux ni de mauvais, il ait pu gagner au point qu'il fit l'amitié et la confiance de Louvois et du Roi.

Ce prince s'était ouvert à lui un an auparavant de la volonté qu'il avait de le faire maréchal de France. Vauban l'avait supplié de faire réflexion que cette dignité n'était point faite pour un homme de son état, qui ne pouvait jamais commander ses armées, et qui les jetterait dans l'embarras si, faisant un siège, le général se trouvait moins ancien maréchal de France que lui. Un refus si généreux, appuyé de raisons que la seule vertu fournissait, augmenta encore le désir du Roi de la couronner.

Vauban avait fait cinquante-trois sièges en chef, dont une vingtaine en présence du Roi, qui crut se faire maréchal de France soi-même, et honorer ses propres lauriers en donnant le bâton à Vauban. Il le reçut avec la même modestie qu'il avait marqué de désintéressement. Tout applaudit à ce comble d'honneur, où aucun autre de ce genre n'était parvenu avant lui et n'est arrivé depuis.

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