Jean-François Dars et Anne Papillault publient, pour montrer comment pensent et à quoi rêvent les chercheurs tous âges, sexes et disciplines confondus, des "Histoires courtes" qui sont autant de romans-photos de la recherche.
Ils ont consacré à ma recherche la vidéo intitulée "L'imprévisible" (04min 01sec). Vous pourrez la voir en cliquant sur le lien, et découvrir à cette occasion le coin des Cévennes dans lequel je vis avec ma famille.
Voici le texte de mon exposé :
Le pilote automatique d’un avion de ligne maintient celui-ci dans la position très instable qui permet d’économiser le carburant, qui est un poste essentiel de dépense pour une compagnie aérienne : pour y parvenir, il ingère les données que fournissent des capteurs et il tripote continuellement les ailerons. Cette manœuvre serait pour un pilote humain aussi difficile que de maintenir une assiette en équilibre sur la pointe d’une épingle, c’est-à-dire qu’elle serait en fait impossible. La programmation de l’automate a donc introduit dans la Nature une possibilité nouvelle.
Voici un autre exemple : si l’on automatise une centrale nucléaire en programmant la réponse à tous les incidents prévisibles, il se produira quand même des incidents imprévisibles car la Nature est plus complexe que ce que l’on peut prévoir. On estime qu’un tel incident se produira en moyenne une fois tous les trois ans. Durant ce délai, les opérateurs de la salle de contrôle n’auraient rien à faire et au bout de trois ans ils auraient perdu toute capacité d’initiative. La bonne solution consiste donc à sous-automatiser délibérément la centrale de telle sorte que ces opérateurs aient de temps en temps quelque chose à faire : ainsi ils seront capables d’agir lorsque se produira un incident que personne n’aurait pu prévoir.
Une conclusion s’impose donc : comme tout ce qui est répétitif est prévisible, les tâches répétitives physiques ou mentales ont vocation à être automatisées et le travail humain va se concentrer dans ce qui, n’étant pas prévisible, demande du discernement et de l’initiative, c’est-à-dire dans la conception des nouveaux produits et la relation de service avec les clients. La main-d’œuvre sera ainsi remplacée par un cerveau d’œuvre et il est facile de se représenter ce que cela implique pour l’emploi, pour les compétences et pour l’organisation des entreprises.
L’intelligence que le programme confère à l’automate, c’est la mise en conserve d’une « intelligence à effet différé », celle du programmeur, et non une prétendue « intelligence artificielle ». La puissance des processeurs, la rapidité d’accès des mémoires et le débit des réseaux procurent une rapidité extrême à cette « intelligence » mais un automate ne peut rien faire d’autre que ce que son programmeur a anticipé : il ne peut ni répondre à des imprévus, ni interpréter toutes les situations que la complexité sans limites de la Nature physique, sociale et humaine peut présenter. Il faut donc qu’il soit associé dans l’action à l’« intelligence à effet immédiat » que les êtres humains ont héritée de leurs ancêtres chasseurs-cueilleurs.
L’alliage du cuivre et de l’étain a introduit un être nouveau dans le monde de la Nature : cela a fait émerger l’âge du bronze. L’alliage du fer et du carbone a fait émerger l’âge de l’acier. Le couple que forment le cerveau humain et l’ordinateur présente lui aussi des propriétés qui diffèrent de celles de ses composants : il fait lui aussi émerger une anthropologie spécifique avec toutes ses dimensions, économique, psychologique, sociologique, culturelle, etc. C’est pourquoi il est utile de se représenter ce que pourrait être une société informatisée, ou, comme on dit, numérique, qui serait par hypothèse parvenue à l’efficacité en ce qui concerne le bien-être de la population. Ce modèle pose à l’horizon de la pensée et de l’action un repère qui permet de s’orienter afin de marcher droit, comme disait Descartes, au lieu de tourner indéfiniment en rond dans la forêt de la crise.
Merci pour ce texte que je trouve d'une très grande clarté.
RépondreSupprimer"[...] il ne peut ni répondre à des imprévus, ni interpréter toutes les situations que la complexité sans limites de la Nature physique, sociale et humaine peut présenter."
Il s'agit là, si j'ai bien compris, de l'imprévisibilité fondamentale de tout phénomène "naturel" (selon les trois dimensions mentionnées) que l'automate cherche à répliquer.
Je rajouterais que les résultats (les sorties) d'un tel automate comportent eux-mêmes des éléments imprévisibles (ou difficilement prévisibles) principalement pour deux raisons selon moi :
- la totalité des implications de cette "intelligence à effet différé" peut ne pas être connue à son auteur même ; l'automate peut alors agir comme une prothèse permettant d'explorer, de déployer beaucoup plus rapidement ces implications (au moins certaines) ;
- les données d'entrée qu'"ingère" l'automate peuvent elles-mêmes comporter des éléments imprévisibles.
Merci Michel pour cet article éclairant. TU parles de la faciliét d'entrevoir les métiers de demain. Je suis d'accord avec ça. En revanche il semble plus compliqué pour les institutions, les professionnels de changer la formation, le recrutement, le management et la formation continue pour les métiers de demain. Ce changement est lourd et a parfois des conséquences désastreuses. Parfois le management est vieux et utilise des méthodes du 19ème siècle. ça crée des sacrés perturbations au niveau psychologique pour les salariés qui ne comprennent plus ce différentiel entre ce qu'ils vivent au quotidien (en un clic j'ai un bouquin chez moi) et dans leur entreprise (15 papiers à signer et convaincre trois niveaux hiérarchiques pour avoir droit à une dépense de 200 euros...c'est juste un exemple parmi des milliards possibles). Le travail de la transformation digitale (comme ils disent) c'est avant tout un changement de mentalité des managers et de leur égo.
RépondreSupprimerParcourir cette vidéo, t'entendre et voir des images de ton hameau, ça me rappelle de bons moments ensemble !!
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