Je viens de terminer la lecture de "L'esprit malin du capitalisme". Cette lecture est un plaisir : ce livre est bien écrit et il m'a appris des choses utiles.
Pierre-Yves Gomez décrit l'origine, le mécanisme et les conséquences de la financiarisation des entreprises, ainsi que la façon dont la spéculation s'est emparée des esprits. Je connaissais comme tout le monde la prédation qu'exercent les fonds de pension sur le système productif mais j'ignorais son origine (la loi ERISA du 2 septembre 1974 aux États-Unis). L'acquisition d'une telle connaissance justifierait à elle seule l'achat du livre !
Le milieu de la décennie 1970 est une charnière dans l'histoire : c'est le début de l'informatisation des entreprises, du passage d'un système technique à l'autre, du triomphe de la doctrine néolibérale et de la concentration du pouvoir financier. La concomitance de ces événements et la cohérence qui les relie (elle n'a assurément été ourdie par aucune volonté consciente) témoignent de la puissance des mécanismes impensés de la sociologie des institutions.
Pierre-Yves Gomez décrit dans son chapitre 4 la "technologie spéculative", l'emballement des anticipations qui spéculent sur un Avenir disruptif. Cet emballement n'est pas propre à notre époque : il s'est également produit après chacune des révolutions industrielles (à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, puis des XIXe et XXe siècles). Il est compréhensible que des possibilités effectivement nouvelles enflamment les imaginations et suscitent des comportements semblables à ceux des joueurs dans un casino.
Pierre-Yves Gomez a raison de critiquer les illusions à propos de la "disruption", mais si ces illusions sont critiquables il faut aussi reconnaître la part de réalité que ce mot recouvre : il se produit bien en effet des "disruptions" dans la production, le commerce, le transport et jusque dans le monde de la pensée...
Il évoque aussi, trop brièvement pour mon goût et seulement dans l'épilogue, la résistance que le sérieux professionnel, le goût du travail bien fait, le souci de la qualité du produit et de la satisfaction du client peuvent opposer à la pression de la financiarisation et des reportings : il ne me semble pas avoir suffisamment creusé la dialectique des dimensions physique et financière de l'entreprise, la dynamique conflictuelle qui en résulte, les possibilités et les dangers qu'elle déploie et qui procurent aujourd'hui, peut-être, son théâtre à un nouvel épisode de la sociologie des institutions.
Cette réserve n'enlève cependant rien à l'intérêt de son livre et à la profondeur philosophique de ses analyses (cf. son chapitre 15).
mercredi 30 octobre 2019
mercredi 9 octobre 2019
L'iconomie dans la science économique
Lire l’œuvre d’un économiste créatif, c’est assister à la rencontre d’une intention et d’une situation économique.
La situation est celle d’une époque, d’un pays ou d’un continent, caractérisée par l’état du système technique1 (ou, comme on dit, des « forces productives »). Elle est donc évolutive et diverse. L’intention est par contre toujours la même : il s’agit de construire la théorie hypothétique et schématique, le « modèle », qui permettra de penser la situation pour fournir des repères et une orientation à l’action stratégique2.
Ainsi Adam Smith a produit en 1776 la théorie qui éclairait le phénomène émergent de la mécanisation ; David Ricardo a en 1817 schématisé l’échange entre les nations ; Léon Walras a résolu en 1874, avec le modèle de l’équilibre général, l’énigme que présentait l’émergence de l’économie moderne ; John Hicks a, dans le sillage de Keynes, répondu à la crise des années 1930 en introduisant une théorie des anticipations qui tenait compte de l’incertitude du futur, etc.
Chacune de ces théories, chacun de ces modèles, attirent l’attention comme le font les bâtiments que l’histoire nous a légués : on peut admirer leur architecture et apprécier l’ingéniosité des architectes. La démarche de ces grands économistes est donc riche d’enseignements.
Nous pouvons, nous devons nous en inspirer pour penser la situation économique présente. Elle diffère en effet de celles qui l’ont précédée : le système technique, qui s’appuyait jusque vers 1975 sur la synergie de la mécanique, de la chimie et de l’énergie, s’appuie désormais sur celle de la microélectronique, du logiciel et de l’Internet. Il en est résulté une transformation de la production, des produits, du travail, des organisations, de la concurrence, etc.
La situation est celle d’une époque, d’un pays ou d’un continent, caractérisée par l’état du système technique1 (ou, comme on dit, des « forces productives »). Elle est donc évolutive et diverse. L’intention est par contre toujours la même : il s’agit de construire la théorie hypothétique et schématique, le « modèle », qui permettra de penser la situation pour fournir des repères et une orientation à l’action stratégique2.
Ainsi Adam Smith a produit en 1776 la théorie qui éclairait le phénomène émergent de la mécanisation ; David Ricardo a en 1817 schématisé l’échange entre les nations ; Léon Walras a résolu en 1874, avec le modèle de l’équilibre général, l’énigme que présentait l’émergence de l’économie moderne ; John Hicks a, dans le sillage de Keynes, répondu à la crise des années 1930 en introduisant une théorie des anticipations qui tenait compte de l’incertitude du futur, etc.
Chacune de ces théories, chacun de ces modèles, attirent l’attention comme le font les bâtiments que l’histoire nous a légués : on peut admirer leur architecture et apprécier l’ingéniosité des architectes. La démarche de ces grands économistes est donc riche d’enseignements.
Nous pouvons, nous devons nous en inspirer pour penser la situation économique présente. Elle diffère en effet de celles qui l’ont précédée : le système technique, qui s’appuyait jusque vers 1975 sur la synergie de la mécanique, de la chimie et de l’énergie, s’appuie désormais sur celle de la microélectronique, du logiciel et de l’Internet. Il en est résulté une transformation de la production, des produits, du travail, des organisations, de la concurrence, etc.
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