Pour « comprendre » la 5G, il faut considérer successivement trois mondes très différents :
-- d'abord le monde des télécoms mobiles avec sa physique et l'évolution de ses techniques,
-- puis le monde des services que la 5G permettra de déployer,
-- enfin le monde des « modèles d'affaires » qu'elle va faire émerger.
Le monde de la technique
La physique des ondes
Les ondes électromagnétiques subissent un affaiblissement qui croit avec la distance au point d’émission. Elles ont été utilisées pour transporter le signal codé en morse, puis la phonie, le transport de données entre des ordinateurs, enfin la vidéo.
Une onde porteuse est modulée (en amplitude, fréquence ou phase) afin de transporter le dessin du signal (son de la voix, bit des données) qui sera reconnu par le récepteur. La modulation étale les fréquences, autour de celle de l’onde porteuse, selon une « largeur de bande » comportant les fréquences dont l’affaiblissement relatif est inférieur à 3dB.
Le transport de l’onde peut être canalisé par un câble (paire torsadée, câble coaxial, fibre optique), ce qui permet une portée supérieure à celle obtenue dans l’espace hertzien.
La sensibilité de l’oreille humaine aux ondes de pression que l’air transporte va de 15 Hz à 16 kHz ; le téléphone analogique a utilisé une bande de 300 à 3400 kHz, jugée suffisante pour garantir l’intelligibilité de la parole mais au prix d’une déformation qui rend difficile la distinction des consonnes (b et v, s et f, etc.) et interdit la diffusion musicale de bonne qualité.
L’affaiblissement du signal analogique peut être compensé par des amplificateurs qui restaurent sa puissance mais ne corrigent pas les déformations éventuelles. Le codage numérique du signal (64 kbit/s pour les 4 kHz du signal vocal, puis « voix sur IP » empruntant l’Internet) permet en principe une transmission exacte, le dessin des bits étant restauré exactement par les répéteurs.
Les ondes ont été utilisées d’abord pour la radiodiffusion et pour la communication à distance des navires et véhicules en morse ou en phonie, ainsi que par des radio-amateurs. De lourds téléphones mobiles ont été installés dans des automobiles : la communication avec ces mobiles a nécessité la mise au point d’un réseau nouveau et la solution de plusieurs problèmes techniques.
La portée utile d’une onde est d’autant plus importante que sa fréquence est plus basse. Le débit utile, ou la largeur de bande, que l’onde peut transporter sont d’autant plus élevés que la fréquence est plus forte. L’utilisation des ondes suppose donc toujours un compromis entre la portée et le débit.
La téléphonie mobile
Alors que la téléphonie filaire est canalisée par les câbles du réseau de distribution, puis de transport, la téléphonie mobile émet son signal dans l’espace hertzien. Il faut éviter toute interférence entre les diverses communications, ce qui exige de les séparer par des cloisons étanches. Ces cloisons sont obtenues par des techniques de multiplexage qui étaient déjà utilisées sur le réseau de transport filaire.
À l’intérieur de la bande de fréquences émise par une antenne, des bandes plus étroites sont ainsi découpées pour être affectées chacune à une conversation particulière (multiplexage en fréquence). Si le signal a été codé sous forme numérique, le flux de bits peut en outre être découpé en plusieurs flux individuels périodiques (multiplexage temporel).
Les protocoles de communication supposent un dialogue entre l’antenne et le téléphone de l’utilisateur, indiquant aux deux parties la bande de fréquence et l’échantillon temporel utilisés pour la communication. Il a fallu définir des normes pour que les équipements puissent communiquer et l’évolution des techniques, orientée vers un élargissement de la gamme des services au-delà de la téléphonie et vers l’augmentation du débit, s’est concrétisée par diverses générations d’équipements (antennes, serveurs et logiciels informatiques, mobiles) qui sont autant d’enjeux industriels.
L’espace hertzien est une ressource naturelle limitée et déjà occupée en partie par la radiodiffusion, l’armée, les radars du contrôle aérien, etc. Les nations organisent des enchères lors desquelles les opérateurs télécoms se réservent l’usage d’une bande de fréquence qui permettra un nombre limité de communications simultanées. Le territoire sera découpé en cellules entre lesquelles les fréquences sont réparties de façon à éviter les interférences entre cellules voisines, dotées d’antennes assurant le service des utilisateurs et reliées au réseau télécoms (commutation de circuit ou Internet).
Les cellules doivent être d’autant plus petites que le nombre d’utilisateurs potentiels est plus élevé : elles seront donc larges dans l’espace rural, resserrées en ville. Chaque cellule est soumise à un dimensionnement : lorsque la demande le dépasse, le réseau refoule des appels.
Plus les cellules sont petites, plus le nombre des antennes est élevé, notamment dans les villes. L’implantation des antennes nécessite des négociations avec les propriétaires ou syndics des immeubles, éventuellement compliquées par la résistance des personnes qui craignent l’effet des ondes sur la santé.
Il faut que la communication ne soit pas interrompue quand l’utilisateur se déplace d’une cellule à l’autre : le réseau doit donc être capable d’assurer le handover, transfert du signal d’une antenne à l’autre.
L’évolution des techniques joue sur les paramètres qualitatifs du service : largeur de bande ou débit de la communication (et donc qualité du signal transmis) ; dimensionnement (nombre de communications simultanées possible) ; latence (délai entre l’émission du signal et sa réception) : confidentialité, assurée par un chiffrement.
La 5G se caractérise par un haut débit, un dimensionnement élevé et un faible degré de latence. Elle permettra aussi des communications directionnelles qui procurent un multiplexage spatial : chaque utilisateur est relié à l’antenne par un mince pinceau d’ondes.
Les services : de la téléphonie mobile à l’ubiquité
La téléphonie mobile a conféré l’ubiquité au signal vocal : alors que l’utilisateur devait auparavant être proche d’un téléphone filaire pour pouvoir téléphoner ou recevoir des appels, il porte sur lui son téléphone mobile et peut l’utiliser n’importe où à la seule exception des zones blanches du réseau.
À partir des années 2000 la transformation du téléphone mobile en ordinateur a conféré l’ubiquité à la ressource informatique : l’utilisateur peut consulter des documents sur le Web, utiliser la messagerie et le SMS, lancer l’exécution de programmes, etc.
Les terminaux ont évolué : le smartphone a permis de recevoir des vidéos de bonne qualité et s’est enrichi d’un GPS, d’une caméra, etc. Les tablettes et les ordinateurs portables munis d’une carte PIN ont eux aussi bénéficié de l’ubiquité qui, s’étendant à tous les types de signal (son, textes, images, vidéos), est devenue universelle.
L’usage des possibilités ainsi ouverte suppose un savoir-faire et un savoir-vivre, donc la maturité des utilisateurs (que l’on pense à l’utilisation du téléphone mobile dans les transports en commun), et aussi une protection contre les hackers qui commettent des actes de piraterie.
Des réseaux hertziens locaux se sont déployés dans les domiciles et les immeubles (WiMax, WiFi, etc.) en utilisant des ondes à faible portée, selon une logique comparable à celle des réseaux locaux filaires Ethernet.
Les équipements mobiles (téléphone d’un piéton ou d’un conducteur automobile) ne sont plus les seuls concernés par le réseau hertzien car il dessert aussi des équipements locaux immobiles : l’« Internet des objets » permet à des objets munis d’une puce rayonnante d’envoyer des messages indiquant leur état, l’intensité de leur utilisation, et de recevoir une télémaintenance. Chaque objet et chaque personne existent ainsi sous deux formes : dans l’espace physique où ils ont une masse, un volume et un mouvement, et dans l’espace virtuel où ils sont représentés par des données qui se prêtent au traitement individuel et à l’analyse statistique.
Un nouvel espace s’offre aux modèles d’affaires autour des questions logiques, techniques et juridiques que soulèvent l’identification des êtres ainsi représentés, la sélection de ceux de leurs attributs qui seront observés, la façon dont ces observations seront codées, les droits de propriété sur ces données (que l’on pense par exemple au Dossier médical partagé) et la façon dont elles pourront être utilisées.
Les modèles d’affaires : du commerce des télécoms à celui des données
Les premiers modèles d’affaires étaient historiquement ceux des télécoms : un opérateur devait rechercher l’équilibre économique entre les recettes de la téléphonie mobile (abonnements, forfaits, paiement à la consommation et éventuellement selon la distance, « roaming ») et les dépenses d’investissement et d’exploitation. Le dimensionnement pouvait s’appuyer sur la statistique à peu près stable du trafic téléphonique avec ses heures de pointe et ses heures creuses.
L’informatisation des téléphones mobiles a apporté une diversification des services et transformé la statistique du trafic, notamment avec la vidéo qui a accru les exigences du dimensionnement et compliqué sa définition : les réseaux hertziens ont connu de ce point de vue une évolution analogue à celle de l’Internet.
Plusieurs opérateurs s’affrontent lors des enchères pour acquérir des bandes de fréquence. L’exploitation des antennes peut être partagée moyennant rétribution, ainsi que le transport du signal sur le réseau filaire ou par satellite : les concurrents deviennent alors des partenaires, ce qui n’exclut pas les conflits.
La succession des générations techniques (2G, 3G, 4G, 5G) se prépare lors de négociations pour définir les normes et protocoles et lors desquelles chaque équipementier, chaque opérateur s’efforce d’orienter les choix dans le sens qui lui est favorable en regard de ses possibilités en R&D ou en technique et du portefeuille de brevets qu’il détient. Les brevets se vendent et s’achètent, faisant ainsi l’objet d’un commerce spéculatif.
Chaque nouvelle génération suppose, de la part des équipementiers et opérateurs, un investissement important et la conception d’un nouveau modèle d’affaires. Le passage de la téléphonie mobile à l’ubiquité de la ressource informatique a en effet multiplié les possibilités d’une diversification des services s’appuyant sur l’exploitation des données. L’Internet des objets permettra par exemple une industrialisation de la distribution impliquant les producteurs (puce sur les produits), les logisticiens (entrepôts et transport), les magasins (stocks et mise en rayon) et jusqu’au consommateur.
Des droits d’accès aux données et d’exploitation (individuelle ou statistique) se négocient puis se gèrent, des partenariats définissent un partage des recettes, dépenses et responsabilités, l’exécution des contrats déclenche des transactions en principe automatiques, et alimente des comptes en principe transparents pour les partenaires.
L’estimation de la valeur d’une donnée est spéculative car cette valeur ne se révélera que lors d’une utilisation ultérieure. Le commerce des données nécessite des compétences en ingénierie d’affaires, sémantique, informatique et statistique que peu de grandes entreprises possèdent (en témoigne l’état souvent défectueux de leur système d’information).
Un opérateur télécoms est bien placé pour voir passer le flux de données de toute nature mais il n’est pas le mieux équipé pour en tirer parti car l’exploitation des données n’est pas son métier traditionnel. Google dispose d’une expertise pointue dans ce domaine, les autres acteurs craignent de perdre la « valeur » potentielle des données.
L’économie de l’ubiquité suppose donc de la part des entreprises un effort d’organisation et d’apprentissage qui prendra du temps et sera coûteux. Les constructeurs automobiles, par exemple, sont perplexes et attentistes. La voiture, munie de nombreux capteurs, est une source de données qui peuvent intéresser le constructeur (observation des usages, prévention des pannes), les assureurs (définir la prime selon la qualité de la conduite), les équipementiers (surveiller l’usure des freins et des pneus), etc. Qui sera propriétaire de la donnée, qui saura la capter et l’exploiter, qui produira les services, qui fera commerce des statistiques ?
Merci pour cet article.
RépondreSupprimerAurait-il été possible, d'un point de vue strictement technique, de ne déployer ce nouveau réseau qu'aux professionnels, voire qu'à certains professionnels (dans le domaine de la santé par exemple) ?
Au moins dans un premier temps.
SupprimerC'est d'ailleurs historiquement le cas avec bon nombre d'inventions/technologies nouvelles : elles sont d'abord réservées à des domaines (professionels) spécialisés et cruciaux pour une nation (défense, santé, logistique) puis, éventuellement, déployées pour le grand public.
SupprimerEn ce qui concerne l'aspect spécifique de l'augmentation du débit pour les particuliers (je suis conscient qu'il y a d'autres aspects a priori plus utiles dans cette technologie), cela ne me semble absolument pas être une priorité.