samedi 19 février 2011

À propos de la gouvernance de l'Internet

La gouvernance de l'Internet occasionne beaucoup de discussions qui semblent un peu trop marquées par un formalisme bureaucratique. Je tente ici d'aller directement au cœur de la question.

Qu'est devenu l'Internet en quelques années ? Une ressource documentaire, avec le Web ; un outil de communication interpersonnelle, avec la messagerie et les réseaux sociaux ; une place de marché enfin, équipée pour réaliser et enregistrer des transactions.

C'est donc un lieu virtuel, situé hors de l'espace géographique, universellement accessible, où des personnes se rencontrent et échangent : un gigantesque marché, qui couvre la planète entière.

Or aucun marché ne peut fonctionner sans règles du jeu : il faut que la fidélité des contrats soit garantie, que la sécurité des personnes et des transactions soit assurée.

L'Internet peut servir de moyen pour toute la panoplie des délits classiques (atteintes aux personnes et aux biens, escroquerie et abus de confiance, pédophilie etc.), qu'il complète par quelques délits proprement informatiques que l'on qualifie de cybercriminalité (vol d'identité numérique, intrusion et piratage ou destruction de données etc.). Enfin, il apporte à certains délits une facilité inédite : fraude fiscale, blanchiment de l'argent illicite etc.

Il importe donc bien que des règles soient instaurées et que ceux qui les enfreignent puissent être sanctionnés. L'Internet étant par nature mondial, il faut que ces règles soient elles-mêmes définies et appliquées au niveau mondial.

On voit ainsi apparaître, à côté des nations dont la souveraineté s'exerce à l'intérieur de leurs frontières géographiques, un espace nouveau mais qui, tout comme une nation, requiert un droit et une justice et sans aucun doute aussi une administration. Les trois pouvoirs que Montesquieu a délimités doivent donc pouvoir s'y exercer : législatif, exécutif et judiciaire.

Pour que ces trois pouvoirs puissent être légitimes aux yeux des « citoyens » de cet espace que sont les internautes, il faut que les « lois » soient définies de façon démocratique, donc votées par un parlement élu et représentatif. Une fiscalité spécifique doit en outre leur fournir les ressources nécessaires.

Les lois de l'Internet seront, en regard des lois des nations territoriales, dans le même rapport que les lois internationales qui régissent, par exemple, le commerce maritime, le transport aérien ou les télécommunications – donc dans un rapport négocié et qui suppose un usage intensif de la diplomatie.

Les pays qui violeront ces lois, par exemple en refusant à leurs nationaux la sécurité et la confidentialité ou encore en se faisant complices ou coupables de cybercrimes, s'exposeront à des sanctions de la part des autres pays. Ces sanctions pourront emprunter soit le canal de l'Internet lui-même (restrictions d'accès ou de débit, blocage de ressources), soit d'autres canaux (embargo commercial, amendes, saisies d'avoirs etc.).

Actuellement, la réglementation de l'Internet et, plus généralement, de l'informatique est le fait des CNIL nationales. Il en résulte que les règles diffèrent d'un pays à l'autre, ce qui est contradictoire avec la nature mondiale de l'Internet. L'effort de mise en cohérence accapare une part importante de la force de travail des CNIL.

Si une gouvernance démocratique mondiale de l'Internet est mise en place, chaque CNIL sera l'ambassade de son pays devant ce gouvernement et c'est par son canal que passeront les relations diplomatiques.

Certes, la mise en place d'une telle gouvernance pose de nombreuses questions pratiques et techniques qui ne sont pas évoquées ici. Elle demandera du temps et rencontrera des réticences – notamment celle des États-Unis, que satisfait leur position de leader de l'Internet, et aussi celle des personnes qui n'ont pas bien perçu la nature de l'Internet.

Mais il importe de formuler dès aujourd'hui cette ambition, de la faire apparaître à l'horizon de telle sorte qu'elle puisse fédérer les volontés et orienter l'action.

3 commentaires:

  1. Le périmètre d’Internet est bien plus large sachant que l’on a également la duplicité entre monde physique et monde virtuel.

    Pour comprendre la gouvernance d’Internet, il est nécessaire de se plonger dans la genèse du réseau, son esprit qui a prévalu et les principes comme celui de la neutralité du réseau qui ont permis un fantastique développement et l’arrivée de nouveaux entrants. Et avec les outils du Web 2.0, l’émergence d’un Cinquième pouvoir au-delà des trois premiers décrits par Montesquieu et du pouvoir des médias.

    Les difficultés sont multiples. Le politique n’a en moyenne pas la culture numérique suffisante pour bien appréhender ses enjeux et légiférer sur Internet demande une connaissance technique et juridique pointue préalable sinon nous aboutissons à des aberrations comme l'HADOPI. Nous avons quelques exceptions parmi les parlementaires toutefois (Messieurs Martin-Lalande, Bloche, Santini, Paul, Hérisson, etc.). Mais la gouvernance d’Internet transcende très largement nos frontières. Ce qui fait par exemple que vouloir un droit à l’oubli sans que Google ou Facebook soient de la partie est voué à l’échec. L’autorégulation a par ailleurs permis au réseau de croître jusqu’alors sans trop d’anarchie. En outre, des organismes savants de type ICANN tiennent les rennes du réseau à côté d’entreprises hégémoniques, qui sont majoritairement américaines. Un autre enjeu de la gouvernance d’Internet est de savoir si l’Europe peut peser face à l’omnipotence américaine et la montée de la zone Asie.

    Par rapport à ces idées de bons sens, la question est plus de savoir si ce sont les Etats qui ont véritablement le pouvoir de réglementation d’Internet ou si celui-ci est le fait des entreprises oeuvrant sur le Web ou encore le fait d’associations dans le domaine du numérique, parfois autoproclamées.

    La portée des CNIL est bien plus limitée en matière de gouvernance d’Internet. Il s’agit plus de la question des données personnelles, du droit à l’oubli et d’autres sujets connexes que de la structure du réseau, ses moyens de reconfiguration en cas de panne. Les organismes qui oeuvrent pour la gouvernance d’Internet sont légions : ICANN, W3C, UIT, ISO, etc. ainsi que les entreprises qui dictent leurs normes, Apple, Microsoft, Google, Facebook dans un monde où le propriétaire prime pour l’heure les solutions ouvertes et interopérables. Toutes ces questions pourraient effectivement être abordées intelligemment lors d’un G20 par exemple. La question est difficile mais passionnante car elle emporte l’évolution même de notre société. J’y reviendrai !

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  2. le rapport relatif à la création du Conseil national du numérique a au debut un article:INTERNET DOIT-IL ETRE REGULE ?

    http://www.economie.gouv.fr/services/rap11/110225rapCNN.pdf

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  3. Internet est certes une place de marché.

    Internet porte également les biens (immatériels) objets de ce marché.

    Ce qui nous amène vers la problématique de la propriété (intellectuelle)...

    Un long chemin de gouvernance mondiale donc...

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