Comme le montre une photographie de l’AFP les Gilets Jaunes ont tagué sur la façade de Cartier un calembour qui fait sourire. Mais que leur ont donc fait les « bourgeois » pour être attaqués de la sorte ?
Cela remonte à loin. L'« esprit bourgeois » est jugé mesquin et vulgaire. Notre grande littérature le vitupère : il s’incarne chez Flaubert dans le pharmacien Homais, l'officier de santé Bovary, les étranges Bouvart et Pécuchet, qui tous sont des imbéciles. Chez Stendhal Julien Sorel, Fabrice del Dongo et Lucien Leuwen, toujours prêts à se battre en duel, adhèrent aux valeurs de l'aristocratie tandis que le docteur Du Poirier, bourgeois, est un personnage odieux. Chez Proust la bourgeoisie s'incarne dans le ridicule du couple Verdurin et le snobisme de l'ingénieur Legrandin. Balzac se pâmait d'admiration devant les duchesses.
Dans l'ensemble, et malgré des exceptions auxquelles nous reviendrons, la littérature exprime la nostalgie des valeurs aristocratiques et le mépris, ou l’ignorance, des valeurs bourgeoises. L'« artiste » qu'incarnent Théophile Gauthier, Flaubert et Baudelaire, se croit supérieur à sa position sociale qu'il méprise parce que bourgeoise, tout en sacrifiant bourgeoisement à « l’art pour l’art » qu’il croit aristocratique.
C'est qu'il est facile d'adhérer aux valeurs de l’aristocratie : l'honneur de la famille et du nom, que l'on défendra l'épée à la main ; le courage qui s'exprime à la guerre et lors des duels ; le goût du luxe et, parfois, de l'élégance et de la beauté, tout cela est « noble » et peut séduire l'imagination d'un adolescent comme celle d'un adolescent prolongé.
Les valeurs de la bourgeoisie sont plus complexes car le bourgeois s'efforce d'anticiper les conséquences futures de son action, de ses investissements : il est calculateur, prudent, méthodique. Il lui arrive de se spécialiser dans une science, une technique, un métier, et il sera alors plus difficile encore de comprendre ce qui se passe dans sa tête.
vendredi 22 mars 2019
mardi 19 mars 2019
Qu’est-ce que le « capitalisme » ?
Le capital
Peu de mots sont aussi confus, aussi chargés de connotations que « capital ».
La confusion commence dans la comptabilité où ce mot désigne deux choses différentes : les « fonds propres », addition de l’apport des actionnaires et du profit accumulé, qui se trouve au passif du bilan ; le « capital fixe », estimation de la valeur des machines et des bâtiments, qui se trouve à l’actif.
Les économistes distinguent pour leur part deux facteurs de production : le capital et le travail, respectivement représentés par les lettres K et L dans la fonction de production q = f(K, L) où q est la quantité produite en un an, K le volume du capital fixe, L le volume du travail annuel.
En fait ce que les économistes nomment « capital » est le stock de travail qui a été nécessaire pour élaborer les machines et les outils, construire les bâtiments, et aussi (bien que la comptabilité ne mesure pas cela) pour organiser l’entreprise. Ce qu’ils nomment « travail », c’est le flux du travail nécessaire pour produire en utilisant le capital.
Ce « capital » est un « travail à effet différé », mis en conserve en vue d’une utilisation ultérieure, tandis que les économistes réservent le mot « travail » au seul « travail à effet immédiat » nécessaire au fonctionnement de l’entreprise. Stock et flux, effet différé et effet immédiat : ces deux formes du travail contribuent à la production.
Une économie est d’autant plus « capitalistique » que l’importance relative du capital dans la fonction de production, mesurée par le rapport K/L, est plus élevé. L’économie soviétique, qui avait accumulé un important stock de capital fixe, était aussi capitalistique que les économies « libérales » de l’Occident. Peut-on dire qu’elle était aussi capitaliste qu’elles ?
Non, car il faut se tourner vers l’autre sens du mot capital, celui qui désigne les fonds propres. Ce « capital »-là est non physique, comme l’est le capital fixe, mais financier. Sa valeur est en principe, mais en principe seulement, celle de l’actif net, valeur de ce que l’entreprise possède (son « actif ») diminuée de ses dettes.
Peu de mots sont aussi confus, aussi chargés de connotations que « capital ».
La confusion commence dans la comptabilité où ce mot désigne deux choses différentes : les « fonds propres », addition de l’apport des actionnaires et du profit accumulé, qui se trouve au passif du bilan ; le « capital fixe », estimation de la valeur des machines et des bâtiments, qui se trouve à l’actif.
Les économistes distinguent pour leur part deux facteurs de production : le capital et le travail, respectivement représentés par les lettres K et L dans la fonction de production q = f(K, L) où q est la quantité produite en un an, K le volume du capital fixe, L le volume du travail annuel.
En fait ce que les économistes nomment « capital » est le stock de travail qui a été nécessaire pour élaborer les machines et les outils, construire les bâtiments, et aussi (bien que la comptabilité ne mesure pas cela) pour organiser l’entreprise. Ce qu’ils nomment « travail », c’est le flux du travail nécessaire pour produire en utilisant le capital.
Ce « capital » est un « travail à effet différé », mis en conserve en vue d’une utilisation ultérieure, tandis que les économistes réservent le mot « travail » au seul « travail à effet immédiat » nécessaire au fonctionnement de l’entreprise. Stock et flux, effet différé et effet immédiat : ces deux formes du travail contribuent à la production.
Une économie est d’autant plus « capitalistique » que l’importance relative du capital dans la fonction de production, mesurée par le rapport K/L, est plus élevé. L’économie soviétique, qui avait accumulé un important stock de capital fixe, était aussi capitalistique que les économies « libérales » de l’Occident. Peut-on dire qu’elle était aussi capitaliste qu’elles ?
Non, car il faut se tourner vers l’autre sens du mot capital, celui qui désigne les fonds propres. Ce « capital »-là est non physique, comme l’est le capital fixe, mais financier. Sa valeur est en principe, mais en principe seulement, celle de l’actif net, valeur de ce que l’entreprise possède (son « actif ») diminuée de ses dettes.
vendredi 15 mars 2019
Télécoms et transport aérien : analogie et différences
(Cet entretien avec Philippe Picard et Jean-Paul Maury a été publié dans le n° 24 des Cahiers d'histoire des télécommunications et de l'informatique, printemps 2019)
L'entretien a porté sur l'analogie entre le transport aérien et les télécommunications : les plates-formes de correspondance (hubs) sont pour le transport aérien l’équivalent de ce que sont les commutateurs pour les télécommunications, et en outre les deux types de réseau sont soumis à la contrainte du dimensionnement.
Michel Volle a été pendant les années 1996, 97 et 98 conseiller de Christian Blanc, président d’Air France. Les rapports entre la DSI et les divers métiers de la compagnie lui semblant déséquilibrés, il a mis en place une mission pour organiser des compétences informatiques au sein des maîtrises d'ouvrage.
Différences entre les télécommunications et le transport aérien
Les télécoms sont pour l'essentiel un automate qu’il faut concevoir, construire puis entretenir. Le transport aérien est très différent car l'exploitation exige un personnel nombreux aux compétences diverses : personnel navigant commercial (hotesses, stewards) et technique (commandant de bord, copilote, mécanicien), techniciens pour la maintenance, agents qui assurent la relation avec les passagers dans les escales, spécialistes du « yield management », etc.
La corporation des pilotes, étant en position de force en raison de son monopole sur la compétence qu'elle possède, se bat en permanence pour obtenir des salaires toujours plus élevés : Christian Blanc, président de la compagnie, percevait une rémunération plus faible que celle des 800 commandants de bord les mieux payés. Le conflit entre les pilotes et la compagnie est une maladie du transport aérien : elle a par exemple poussé Eastern Air Lines à la faillite en 1991.
Il en résulte des relations complexes entre les diverses spécialités. Les pilotes sont à la fois admirés, enviés et détestés car leur grève peut mettre la compagnie à genoux. Le climat social est parfois violent : une grève du personnel au sol peut bloquer une escale, il est arrivé que des ouvriers de la maintenance utilisent lors d'une grève des frondes pour lancer des boulons.
Le climat n'est évidemment pas le même dans les télécommunications. Philippe Picard se souvient certes de la conversation lors de laquelle Philippe Bodin, alors membre du cabinet de Louis Mexandeau1, lui a dit que « les ingénieurs allaient morfler », mais cela ne s'est pas produit en fait. Il se rappelle aussi la démarche des agents de Transpac, intervenus auprès de Jean-Jacques Damlamian pour solliciter une réintégration dans l'administration : Jacques Dondoux a su enterrer cette revendication.
Les partenariats dans le monde du transport aérien
L'entretien a porté sur l'analogie entre le transport aérien et les télécommunications : les plates-formes de correspondance (hubs) sont pour le transport aérien l’équivalent de ce que sont les commutateurs pour les télécommunications, et en outre les deux types de réseau sont soumis à la contrainte du dimensionnement.
Michel Volle a été pendant les années 1996, 97 et 98 conseiller de Christian Blanc, président d’Air France. Les rapports entre la DSI et les divers métiers de la compagnie lui semblant déséquilibrés, il a mis en place une mission pour organiser des compétences informatiques au sein des maîtrises d'ouvrage.
Différences entre les télécommunications et le transport aérien
Les télécoms sont pour l'essentiel un automate qu’il faut concevoir, construire puis entretenir. Le transport aérien est très différent car l'exploitation exige un personnel nombreux aux compétences diverses : personnel navigant commercial (hotesses, stewards) et technique (commandant de bord, copilote, mécanicien), techniciens pour la maintenance, agents qui assurent la relation avec les passagers dans les escales, spécialistes du « yield management », etc.
La corporation des pilotes, étant en position de force en raison de son monopole sur la compétence qu'elle possède, se bat en permanence pour obtenir des salaires toujours plus élevés : Christian Blanc, président de la compagnie, percevait une rémunération plus faible que celle des 800 commandants de bord les mieux payés. Le conflit entre les pilotes et la compagnie est une maladie du transport aérien : elle a par exemple poussé Eastern Air Lines à la faillite en 1991.
Il en résulte des relations complexes entre les diverses spécialités. Les pilotes sont à la fois admirés, enviés et détestés car leur grève peut mettre la compagnie à genoux. Le climat social est parfois violent : une grève du personnel au sol peut bloquer une escale, il est arrivé que des ouvriers de la maintenance utilisent lors d'une grève des frondes pour lancer des boulons.
Le climat n'est évidemment pas le même dans les télécommunications. Philippe Picard se souvient certes de la conversation lors de laquelle Philippe Bodin, alors membre du cabinet de Louis Mexandeau1, lui a dit que « les ingénieurs allaient morfler », mais cela ne s'est pas produit en fait. Il se rappelle aussi la démarche des agents de Transpac, intervenus auprès de Jean-Jacques Damlamian pour solliciter une réintégration dans l'administration : Jacques Dondoux a su enterrer cette revendication.
Les partenariats dans le monde du transport aérien
Inscription à :
Articles (Atom)