lundi 16 septembre 2019

Le désir de chaos

Voici quelques années un petit livre, émanant sans doute du groupe qui s’est formé à Tarnac autour de Julien Coupat, a proclamé dans un style hautain le désir de détruire la société1.

Ce « désir de chaos » s’est exprimé récemment, de façon violente, dans le mouvement des Gilets Jaunes et des black blocs.

Une étude d’opinion2 éclaire le phénomène. Ses auteurs ont fait six enquêtes (quatre aux États-Unis sur 5157 personnes, deux au Danemark sur 1336 personnes). Ils ont identifié ceux qui souhaitent le chaos par la réponse positive aux questions suivantes :

  • je rêve d’une catastrophe naturelle qui supprimerait presque tous les êtres humains, de sorte qu’un petit groupe puisse tout redémarrer ;
  • je pense que la société devrait être entièrement détruite ;
  • quand je pense à nos institutions sociales et politiques, je me dis « qu’on les brûle toutes » ;
  • il est impossible de régler les problèmes que posent nos institutions sociales : il faut les détruire et redémarrer ;
  • parfois j’aimerais détruire tout ce qui est beau.

24 % des personnes interrogées, représentatives de l’ensemble de la population, ont estimé que la société devait être entièrement détruite ; 40 % pensent qu’il faut brûler les institutions sociales et politiques pour les détruire et redémarrer.

Il faut relativiser ces pourcentages car ces opinions sont celles qu’expriment des personnes qui sont assises et seules devant leur ordinateur lorsqu’elles répondent à des enquêtes ou surfent sur les réseaux sociaux : il y a loin entre cette situation et le passage à l’acte. L’enquête montre cependant que si le « désir de chaos » est le fait d’une minorité, celle-ci bénéficie d’un soutien très large.

Dans le passé les amateurs de chaos étaient des marginaux sans influence. Les réseaux sociaux — Facebook, Twitter, Instagram, YouTube, etc. — leur ont permis d’acquérir un statut social en diffusant des « fake news », théories du complot et « scandales » fabriqués de toutes pièces qui sont autant d’incitations au chaos.

Ces « rumeurs politiques hostiles » n’ont pas pour but de promouvoir une idéologie mais de discréditer les élites politiques, de nier les apports de la science expérimentale, de mobiliser la population contre les politiques et les institutions en général. Les personnes qui souhaitent le chaos ne diffusent pas les rumeurs parce qu’elles les croient vraies mais pour faire des dégâts: elles veulent soulager un malaise intime en détruisant les institutions de notre République pour les remplacer par un désordre généralisé dont l’issue la plus probable sera une dictature.

Ce « désir de chaos » est relayé avec complaisance par ceux des intellectuels qui jugent élégant, longue tradition française, de vomir la bourgeoisie dont ils font partie.
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1 Comité invisible, L'insurrection qui vient, La fabrique, 2007.
2 Michael Bang Petersen, Mathias Osmundsen et Kevin Arceneaux, « A “Need for Chaos” and the Sharing of Hostile Political Rumors in Advanced Democracies », American Political Science Association, août 2018.

1 commentaire:

  1. On peut relier le désir de chaos au refus de connaître.
    Le déni est dans certains cas une protection. Protection contre une information dérangeante ou pire une information dont la complexité met en cause l'aptitude à comprendre. Le chaos que certains appellent n'est pas un désordre qui submergerait l'ordre qu'on veut détruire. Ce n'est pas une anarchie. C'est pour beaucoup une remise à zéro d'un ensemble qu'on ne comprend pas et c'est là que se pose la vraie question: le chaos, pour quoi faire? L'épisode de gilets jaunes est bien marqué par un refus global mais aussi par une absence de propositions cohérentes. Le refus seul comme seule stratégie est doublement mortifère. Le malheur est qu'il contraint celui qui doit faire face au refus à devenir l'otage de son propre rationnel.

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