Le métavers apparaît comme une nouveauté radicale, susceptible de faire émerger un monde de possibilités étranges et de dangers inédits. L’idée en avait été éveillée par des romans et des films évocateurs : Brazil (1985) de Terry Gilliam a décrit un monde soumis à un pouvoir policier manipulateur qui, comme celui du 1984 d’Orwell, écrase les esprits par la force de sa propagande ; les héros du Ready Player One (2018) de Steven Spielberg, qui vivent dans un monde réel désagréable, se réfugient dans un oasis virtuel. Les annonces de Mark Zuckerberg et la transformation de Facebook en Meta semblent annoncer la réalisation de cet oasis, et apporter ainsi le risque d’une évasion généralisée dans l’imaginaire.
Quelle est la place de cet imaginaire dans notre esprit ? Le cerveau humain filtre et classe ce qu’il perçoit à travers une grille sélective, formée par l’éducation et par l’expérience et qui impose sa structure à la représentation mentale de tout ce qui existe « réellement et de fait1 ». Les contes, romans et spectacles présentent à ce même cerveau un monde imaginaire dont l’expérience, se combinant à celle du réel, la modifie, l’enrichit, la déforme aussi et peut même chez certains la supplanter : l’évidence sensorielle du métavers apportera à ce phénomène une puissance inédite.
Le monde virtuel en 3D auquel on accède en portant des « lunettes » semble sensationnel la première fois mais il faut relativiser sa nouveauté. Il est depuis longtemps possible de représenter le monde en 3D sur l’écran 2D de l’ordinateur : on peut alors à l’aide de la souris faire pivoter les objets en tout sens et, de façon paradoxale, on les « voit » mieux ainsi que dans l’espace réel où il ne serait pas possible de les manier de la sorte. L’Internet des objets, qui associe à chaque objet matériel une identité et une représentation informatiques, contribue lui aussi à la fusion du virtuel et du réel.
Ce que le monde virtuel du métavers apporte de nouveau, c’est l’immersion dans une représentation visuelle, comme si l’on avait plongé à travers l’écran. Les sensations sont naturellement alors beaucoup plus fortes, en outre il sera possible pour chacun de s’incarner avec un avatar dans ce spectacle, d’y agir, d’y produire et échanger des objets virtuels ou des objets réels qu’ils représentent.
Outre les dimensions physique et psychique d’un changement de la perception du monde, le métavers a donc une dimension financière : cela ne doit pas surprendre car c’est le cas de tout ce que l’informatisation a apporté. A chacune des étapes de son évolution sont apparus des modèles d’affaires qui utilisaient des instruments nouveaux : que l’on pense à l’automatisation des opérations répétitives, à la rentabilisation de services gratuits par la publicité, au commerce en ligne, à la gestion électronique des comptes, à celle de la compensation interbancaire, à la monnaie virtuelle, etc.
Le métavers fera naître lui aussi de nouveaux modèles d’affaire et donc de nouveaux acteurs, de nouveaux produits, de nouveaux instruments financiers. La blockchain et les jetons ou « tokens » (en particulier les NFT, « non fungibles tokens2 ») lui procureront la sécurité, au moins en principe, et feront émerger une « économie décentralisée » qui promet de nouvelles formes de richesse et d’efficacité3.
Comme beaucoup de ceux qu’a fait émerger l’informatique le métavers est donc un être hybride qui conjugue une dimension physique à une dimension financière et fait converger plusieurs innovations techniques. Son apparition est un des épisodes de la dynamique de l’informatisation qui impulse, depuis les années 1970, l’histoire des sociétés et des économies.