dimanche 14 février 2021

Restaurer l’esprit de sérieux

L’image du monde que les médias nous imposent est faussée par l’importance qu’ils accordent au sensationnel, qui attire l’audience et conforte leurs recettes publicitaires. Elle obéit par ailleurs à la mode de la dérision et du dénigrement.

Cette mode est insidieuse et pourtant manifeste.

On voit en effet, si l’on est attentif, que la plupart des commentateurs associent le verbe « tenter » à chaque décision politique ou économique (« Blanquer tente de, Véran tente de... ») : ce verbe suggère certes l’effort, mais aussi l’échec vraisemblable, et cela incite à croire la décision impuissante.

Ces commentateurs évaluent d’ailleurs chaque décision selon les seuls critères de la « communication » : elle semblera alors n’avoir pas d’autre but que de manipuler l’opinion à des fins électorales ou pour enrichir quelques individus. La mode que les médias reflètent ou créent est ainsi celle du ricanement et du sourire entendu de celui « à qui on ne la fait pas ».

Ainsi influencé, le citoyen ne pourra plus distinguer le politicien de l’homme d’État ni le dirigeant de l’entrepreneur. Cette « société du spectacle », comme disait Guy Debord, substitue à la réalité de la situation présente une image sans rapport avec les dangers et les possibilités qu’elle comporte.

L’esprit de sérieux, qui évalue toute action selon ses conséquences pratiques, tend alors à s’évaporer : des farceurs perçoivent la prime de prestige que l’opinion accorde aux escrocs séduisants.

Il importe donc de savoir distinguer le vrai sérieux du faux sérieux.

*     *

Le faux sérieux se manifeste par une étroitesse, une attitude guindée, une méfiance envers tout ce qui est inhabituel. Dans une entreprise, dans une institution, il suppose que les règles de l’organisation sont hors de l’histoire, sans ressort et sans évolution. Il idolâtre les conventions des procédures et l’échelle hiérarchique des pouvoirs, sur laquelle il ambitionne de faire carrière.

Confronter l’organisation aux exigences de la mission, envisager une réforme des conventions en réponse à un changement de la situation, tout cela lui semble inutile et même sacrilège.

Devant cette gravité sentencieuse la moquerie est salubre car elle exprime une exigence : « la vraie morale se moque de la morale », a dit Pascal. Mais contrairement à la dérision à la mode cette moquerie ne s’étend pas à tout.

Le vrai sérieux respecte en effet les institutions, les entreprises, dont la mission est d’assurer l’interface entre la société et le monde de la nature en organisant la production collective des biens et des services afin de procurer le bien-être matériel à la population. Il sait cependant que leur organisation, certes nécessaire, sera toujours tentée de s’enfermer dans un formalisme, et qu’il faut donc en permanence la rappeler aux exigences de la mission.

Le vrai sérieux est attentif à l’origine historique de la situation présente : il s’intéresse à la dynamique dont elle résulte et au ressort qui la propulse vers la situation future.

Le vrai sérieux écoute ce que dit chaque personne en s’efforçant de comprendre ce qu’elle a voulu dire, ce qui suppose de savoir traduire le langage de l’émetteur dans celui du récepteur afin d’inférer l’intention que la parole exprime.

Le vrai sérieux considère les choses, les situations, les événements, les faits, en eux-mêmes et non selon l’image qu’ils évoquent – image qui est certes elle aussi un fait, mais un fait imaginaire. Cela le libère de l’influence des médias et de la mode.

Comme toute pensée celle du vrai sérieux s’appuie enfin sur une grille conceptuelle qui délimite un petit monde rationnel propice à l’action efficace. Mais elle est ouverte aux surprises, aux imprévus résultant de phénomènes extérieurs à ce petit monde, et qui frappent en quelque sorte à sa porte pour réclamer un élargissement de la grille conceptuelle, une extension de la rationalité.

Cette ouverture mentale, cette souplesse, définissent le vrai sérieux : elles sont essentiellement contraires à la raideur du faux sérieux.

1 commentaire:

  1. Merci pour cet article si juste dont on sent que les mots ont été soupesés par un esprit sérieux mais agile !

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