(Contribution au livre Informatisation et entreprises : les deux absents de la présidentielle, Institut de l’iconomie, janvier 2022.)
On se représente souvent l'entreprise comme le lieu de l'efficacité et de la rationalité, mais ceux qui y travaillent la vivent comme un être psychosociologique soumis à des habitudes et à des traditions. Quand la situation change, comme dans la révolution actuelle avec le bouleversement des techniques, de la concurrence et des réglementations, l’entreprise, avec ses habitudes et sa structure de pouvoirs, risque de rater des possibilités et de tomber dans des dangers.
Pour s’orienter il faut voir ce que l'informatisation, que l'on préfère souvent nommer « numérique », peut nous apporter après la mécanisation des XIXe et XXe siècles.
Nous venons de la mécanisation, avec ses apports et ses limites
Avant la première révolution industrielle l'agriculture et les mines produisaient l'essentiel de la richesse. Puis l’industrie a déployé à partir de 1775 la synergie de trois techniques : mécanique, chimie et énergie. Sa dynamique dépendait de trois acteurs : l'équipementier, l'entrepreneur et l'homme d'État. C’est ce dernier qui, par sa lucidité et son autorité, a permis de surmonter les obstacles culturels et sociologiques que rencontrait l'industrialisation.
En dénigrant l’État, on oublie son rôle d’entraînement et de contrôle dans les périodes de révolution technologique
La Chine est le meilleur contre-exemple de sa nécessité. En 1820 elle est le pays le plus riche du monde. Convaincus qu’elle a atteint la perfection, les empereurs de la dynastie Qing refusent l'industrialisation : on connaît la suite.
La mécanisation détermine alors la richesse d'une nation, la puissance de ses armes, sa capacité à imposer sa volonté. Elle est donc la première préoccupation d'un homme d'État car rien n’arrive sans stratégie politique. Le gain d'efficacité qu'apportent la mécanique, la chimie et l'énergie ne jouent pleinement qu'au terme d'une évolution passant par le couple de la main-d'œuvre et de la machine et par une refonte des organisations avec Taylor (1911) et Fayol (1916).
C’est un bouleversement social. La transition dure des décennies et la population, désorientée par la disparition de ses repères habituels, est en proie au désarroi. Ce sont des violences, attentats, révolutions et enfin des guerres auxquelles la mécanique, la chimie et l'énergie procurent des armes puissantes. Puis vient la paix aujourd’hui en jeu.
Depuis 1975 le système productif s'appuie sur la microélectronique, le logiciel et l'Internet
L'agriculture, la mécanique, la chimie et l'énergie progressent désormais en s’informatisant. Dans chaque entreprise, l'informatisation se concrétise par un « système d'information » qui reflète son organisation et son orientation stratégique.
La transition de la mécanisation à l'informatisation rencontre des obstacles, comme celle de l'agriculture à l'industrie : habitudes, valeurs et organisations sont prises à contre-pied. Cependant des entreprises nouvelles se hissent au premier rang, suscitant l’incompréhension des anciennes : les constructeurs d’automobiles sont scandalisés par Tesla, les opérateurs télécoms par les GAFAM, etc.
La mal-informatisation de beaucoup d’entreprises est un défi à relever par une évaluation courageuse de leur système d’information
Il faut voir les risques qui pèsent sur des entreprises mal informatisées : leurs données sont insuffisamment surveillées et analysées, leurs compétences sont insuffisantes faute de formation.
Certes les entreprises n’ont pas toutes ces défauts ! Mais si elles ignorent la situation présente elles ne sauront pas tirer parti des possibilités qu'elle comporte, ne verront pas non plus les dangers et seront victimes d'attaques. On trouve ces mêmes risques dans les grandes institutions de la nation (éducation, santé, justice, etc.). Or une organisation ne peut pas survivre éternellement à son obsolescence.
Prendre conscience des défis à relever
Aussi révélateur qu’une radiologie, l'examen d'un système d'information permet de poser un diagnostic et de formuler une prescription. Mais certains mots éveillent des images qui détournent de cette urgence : « numérique », « intelligence artificielle », « ordinateur quantique », etc. Affronter la révolution technique, c’est se confronter au réel et rechercher l'exactitude pour s’orienter au mieux.
Le « politiquement correct », c’est aujourd’hui l'environnement et le social et non l'efficacité du système productif
Certes il faut contenir le réchauffement climatique, il faut une distribution plus équitable des revenus. Mais la priorité reste l'efficacité du système productif : on ne peut distribuer que la richesse qui a été produite.
La France doit assumer la responsabilité des entreprises et de l’État. Au XXIe siècle les pays qui auront su maîtriser l'art de l'informatisation en s’appropriant les techniques de la microélectronique, du logiciel et de l'Internet domineront l'économie mondiale.
Je dirais même que de nos jours, le niveau de développement d’un pays se mesure, à la qualité de l’informatisation de ses entreprises et administrations publiques, tout comme autrefois on pouvait le mesurer à la hauteur de ses bâtiments ou au développement ses infrastructures de transport. Cette mesure est moins facile à effectuer, mais on peut par exemple comparer les systèmes informatiques de l’assurance santé entre pays proches de la France. La culture et la mise en œuvre de la sécurité informatique est également un indicateur que j’ai pu observer. J’ai l’impression que la France est en ce sens derrière bon nombre de pays dont son voisin l’Allemagne, les États-unis d’Amérique historiquement pionniers en la matière, et la Chine renaissante dont les avancées notamment en intelligence artificielle sont impressionnantes et facilitées par une culture des libertés individuelles très différente de la notre.
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