samedi 30 mars 2013

L'X refuse de nous parler en français

J'ai reçu début mars de l’École polytechnique un call for papers pour une « Conference on digital enterprise design & management ». Je reproduis ci-dessous les messages échangés avec des gens de cette école. Les interlocuteurs sont signalés par leurs initiales, cela leur permettra de se reconnaître tout en préservant leur identité. Je suis signalé par les initiales MV.

MV, 5 mars

Pourquoi cet appel à contribution est-il en anglais ? Pourquoi n'est-il pas accompagné d'une version en français ? Je regrette de voir mon ancienne école tomber dans ce piège vulgaire.

AP, 5 mars

L’appel à contribution de la conférence DED&M est en anglais, car bien qu’hébergée à Paris, il s’agit d’une conférence internationale, autrement dit, toutes les présentations sont en anglais avec des conférenciers et des participants internationaux. Cela permet ainsi de donner un rayonnement des travaux de recherche sur l’entreprise numérique, le digital, l’architecture des systèmes d’information etc. de la France à travers le monde entier.

En outre, nous donnons la possibilité aux auteurs français qui le souhaitent de soumettre leur travail en français. Par contre, s’ils souhaitent être publiés chez Springer Verlag, ils doivent réécrire leur article en anglais comme nous l’impose notre éditeur.

Enfin, cet envoi part en anglais également pour des raisons de praticité. En effet, cela nous évite de réaliser des envois différents pour chacun de nos contacts français et étrangers (gain de temps, optimisation de notre processus de communication). Toutes les personnes (chercheurs et professionnels) impactées par cet appel à soumission utilisent la langue anglaise au quotidien. Ce qui ne pose donc généralement absolument aucun problème.

MV, 5 mars

Merci pour la rapidité de votre réponse.

Elle ne me satisfait pas. Je conçois que l'on utilise l'anglais pour s'adresser à des étrangers, mais il est poli d'utiliser aussi la langue des indigènes. Je vous invite donc à joindre une traduction en français à cet appel à contribution.

Il faut se mettre à jour quand la mode tourne : dans les entreprises, le recours exclusif à l'anglais est jugé ringard depuis quelque temps déjà.

AP, 5 mars

J’en prends bonne note et laisse mes collègues vous faire un retour s’ils le souhaitent.

DK, 5 mars

La conférence DED&M est une conférence scientifique & professionnelle.

Dans la communauté scientifique, l'anglais est simplement le standard planétaire en matière de communication technique. Au niveau professionnel, force est aussi de constater que l'immense majorité de la littérature et des entreprises de dimension mondiale dans le domaine des technologies de l'information sont aussi anglo-saxonnes.

On peut peut être le regretter, mais c'est un état de fait. Le choix de l'anglais comme langue de communication pour DED&M est donc parfaitement assumé et je ne vois pas de raison de le changer.

MV, 6 mars

Je ne critique pas le fait que l'anglais soit utilisé, mais le fait qu'aucune traduction en français ne soit fournie. Ne pas le faire, c'est une trahison.

DK, 6 mars

C’est un positionnement… discutable, mais pleinement assumé comme je le disais dans mon mail.

MV, 6 mars

La présentation de ce colloque n'est pas « discutable> » : elle est illégale.

Elle viole en effet la loi du 4 août 1994 dont l'article 6 dispose : « Tout participant à une manifestation, un colloque ou un congrès organisé en France par des personnes physiques ou morales de nationalité française a le droit de s'exprimer en français. Les documents distribués aux participants avant et pendant la réunion pour en présenter le programme doivent être rédigés en français et peuvent comporter des traductions en une ou plusieurs langues étrangères ».

DK, 6 mars

Comme tous mes collègues, je connais parfaitement la loi Toubon que l’on peut considérer comme complètement tombée en désuétude tant elle est violée gaillardement et en permanence par la communauté scientifique française tous les jours. C’est juste un état de fait que la Lingua Franca moderne de la communauté scientifique et technique est l’anglais.

Toute la question est de savoir si on veut rester des irréductibles Gaulois compris uniquement de nous-mêmes ou si on veut avoir une quelconque influence sur les affaires de la planète.
Et j’ai tendance à penser que la question de la langue est secondaire à ce niveau. L’important c’est de faire passer nos idées, la langue n’est qu’un véhicule.

MV, 6 mars

Tu feins de me croire hostile à l'usage de l'anglais. Sache donc me lire : je demande seulement que vous publiiez aussi un texte en français. En quoi cela peut-il gêner la communication des idées ? Se l'interdire, quel sens cela a-t-il ?

Sois enfin rassuré : quand il le faut, j'utilise très volontiers l'anglais. Mais je me refuse à violer la loi.

DK, 6 mars

Ça a juste un coût. Nous relayons notre communication sur une base internationale de plus de 100 000 personnes et filtrer les étrangers des français pour envoyer un message en français spécifiquement dédiée à la communauté francophone est possible, mais représenterait quelques jours de travail supplémentaires pour mon équipe que nous ne pouvons pas nous permettre, vu la faiblesse des moyens de notre petite association, pour un résultat qui reste à prouver.

Pour te rassurer, nous publions des résumés français de tous les articles acceptés à la conférence pour avoir une conformité minimale à la loi Toubon (c’est la seule condition demandée tout à fait officiellement par les ministères et les agences publiques qui nous soutiennent, preuve s’il en fallait une que l’Administration s’est elle-même alignée sur un service minimal qui sauve la face devant une loi inapplicable en pratique).

MV, 6 mars

Il suffit de mettre sur le texte anglais un lien vers l'URL de sa version en français ! Toi qui es professeur d'informatique, tu sais bien que ce n'est ni difficile, ni coûteux, et que cela n'oblige en rien à trier la liste des destinataires.

DK, 6 mars

C’est en effet à réfléchir. Merci de cette suggestion.

MV, 6 mars

Ne réfléchis pas : just do it !

Nota Bene : bien que cette dernière injonction soit en anglais, elle n'a eu aucun effet. L'X continue à « violer gaillardement » la loi (notez la gauloiserie !).

10 commentaires:

  1. Martin Vicente31 mars 2013 à 03:56

    Bonjour,

    Permettez-moi cette remarque sur votre blog.

    Si de tous les maux affectant notre société ils ne sont certainement pas les plus grands, ils empoisonnent régulièrement l'espace public et contribuent à dégrader le contrat entre les citoyens et les institutions : je veux parler du manque de cohérence et de la mauvaise foi. Et les deux sont bien souvent les deux faces de la même pièce.

    Ainsi, nombreux peuvent trouver des justifications à ne pas respecter certaines règles, tout en regrettant que d'autres encore pourraient faire de même pour d'autres règles ; mais sans jamais combattre ou du moins contester de manière audible les règlent elles-mêmes qui pourraient poser problème. C'est un peu facile... Et lorsque ce sont des institutions tout à fait respectables qui s'accommodent de telles pratiques, c'est particulièrement regrettable.

    Mais je peux me tromper...

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  2. Alors que votre point est très valable, le ton me dérange énormément. Dans votre premier message, je vois déjà quatre choses que j'aurais articulé différemment pour ouvrir un vrai dialogue. C'est malheureusement très commun de se voir adresser de façon inappropriée via Internet.

    En tant que rédactrice de toutes les communications pour une conférence sans but lucratif, je trouve que la traduction me prend beaucoup trop de temps. Je choisis de le faire par respect pour les francophones et par respect pour ma terre d'accueil. Je trouve cela dommage que d'autres ne prennent pas le temps d'ajouter une traduction au bas du même e-mail.

    Je peux comprendre pourquoi la réponse de l'organisation a été défensive. Il est impossible de s'ouvrir à de nouvelles idées quand elles viennent sous forme d'attaque ou de chialage, sont exprimées avec des mots comme "vulgaire" ou "honte", quand il y a attaque de la compétence d'une personne, etc. Ses messages étaient hostiles et cela freine le changement.

    Histoire personnelle, je me suis fait approcher l'an dernier par un visiteur durant le lunch, alors que je mangeais avec mes collègues. Déjà, une personne plus polie n'aurait pas interrompue mon repas et m'aurais approchée à l'accueil, où je passais 12 heures par jour toute la semaine. Il s'est plaint que les allocultions étaient d'abord en anglais et ensuite en français. Il s'est plaint que 15% de contenu français n'est pas suffisant. Enfin, il nous a accusés d'avoir honte de notre langue (pas la mienne, je souligne). J'ai dis merci pour le feedback, mais on s'entent que je l'ai ignoré. Si je change, c'est pour améliorer quelque chose, pas pour plaire à des gens insensibles et complexés.

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    1. Je comprends votre point de vue. N'avez-vous pas cependant noté la condescendance des réponses que j'ai reçues ? C'est cela, la vulgarité : se croire supérieur alors que l'on suit la mode qui consiste, pour un Français, à ne plus parler qu'en mauvais anglais. Cf. Le langage des traîtres.

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  3. En bon français, on appellerait cela une forfaiture. Mais il semble que l'on a oublié ce mot car depuis tant pratiqué certainement...

    Vous pouvez encore vous féliciter que votre école porte un nom français, la Paris School of Economics n'a pas eu ce privilège !

    Il y a tout de même en France un complexe terrible avec l'anglais : mal maîtrisé (ou de manière imparfaite alors que le Français souhaite une expression complète et précise) on en vient à inclure des termes dans le langage courant (le franglais) en dénaturant alors le sens même de l'expression.

    Passer ainsi complètement à l'anglais est sans doute un signe de distinction soulignant d'autant que la majorité parle un anglais d'aéroport...

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  4. Il me semble qu'il ne s'agisse pas directement de l'X mais d'une initiative privée. Cela dit on pourrait mieux faire en France voir par exemple Conférence TOTh 2013, Terminologie & Ontologie : Théories et applications, Chambéry, France, 6 - 7 juin 2013
    http://porphyre.org/toth/toth-2013/programme. Deux problèmes : 1) l'oligopole des éditeurs scientifiques qui hors Chine et Japon imposent de publier en anglais; 2) la non-visibilité d'une pensée originale en français, qui pourtant existe, mais tendra à disparaître d'institutions comme l'X et autres, HEC etc.
    Avec un certain recul, je ne regrette pas d'avoir complété mes études aux EU. Je regrette d'avoir presque perdu 3 ans à l'X et 2 ans aux télécoms. Quel argument donner aux étudiants pour aller se perdre sur le plateau de Saclay au lieu d'aller à Cambridge, Palo Alto ou au coeur de Londres ?

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    1. C'est bien l’École polytechnique qui m'a envoyé cet appel à contribution, et dans le comité je reconnais des amis qui y enseignent.
      Tu as perdu trois ans à l'X, cher camarade ? J'en ai perdu deux... je croyais pourtant que l’École s'était améliorée depuis 1960.

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  5. Norbert Paquel3 mai 2013 à 20:08

    Je pense comme Michel qu'il est important à la fois de maîtriser l'anglais et de ne pas renier notre langue et notre culture. Un effort est nécessaire, c'est vrai, mais ça vaut le coup.
    Ceci étant, à part les raisons somme toutes un peu recevables pour les congrès scientifiques (on pourrait tout à fait faire l'effort limité que Michel propose), à part donc ces raisons, il y a bien une déplorable et ringarde anglomanie. J'en ai eu encore un exemple tristement ridicule le 24 mai :
    Ce jour là, le ministre des personnes âgées et le ministre du redressement productif lançaient la filière "Silver Economy" (sic) dans la grande salle de Bercy, ne comprenant d'ailleurs que des Français et des intervenants français. Le programme était en français sauf qu'au lieu de "pauses", nous avons eu droit régulièrement à des "networking". Avec Arnaud Montebourg, ça m'a fait un peu drôle...

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  6. A la lecture de cet échange, je suis surtout interpellé par la phrase DK suivante : "j’ai tendance à penser que la question de la langue est secondaire à ce niveau. L’important c’est de faire passer nos idées, la langue n’est qu’un véhicule". La langue est effectivement un véhicule (pourquoi le "n'est que" ?): c'est le véhicule de notre culture et c'est pour cela que la langue est vitale pour une société. La communauté basque qui a réussi à bâtir les ikastolak (http://fr.wikipedia.org/wiki/Ikastola) le démontre tous les jours. Les québécois aussi. Je crois pour ma part que la liberté à un toujours prix et qu'on paie toujours un prix plus élevé quand on l'abdique. Thierry Leblond (X80)

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  7. Sujet difficile, et fondamental. Quelques remarques:
    --cela fait au moins 40 ans que les conférences internationales en "nouvelles technologies" sont "en anglais", quel que soit le pays d'accueil
    --quel plaisir d'entendre des chercheurs portugais dans un colloque international où l'anglais et le français étaient autorisés: "quand je traduis mes articles en anglais, j'ai l'impression de les appauvrir, quand je les traduis en français, je sens que je les enrichis"
    --il y a pas mal d'années, avait lieu un congrès "Conférence Informatique Latine" qui avait lieu à Barcelone, qui était trilingue: Français, Castillan et Catalan. Tout le programme était trilingue. C'était génial. Par exemple, la session compilation se disait compilation en français, compilacion en espagnol et compilatio en catalan (accents sur le "o" en plus)
    -- à l'OTAN, le français est toujours une langue officielle. Dans les conférences scientifiques importantes de l'OTAN, il y a des gens pour faire la traduction simultanée. Il y a des crétins de français qui préfèrent parler en anglais. J'ai toujours dans ces circonstances parlé en français. D'une part surprise de voir que pas mal de gens ne mettaient pas les écouteurs. D'autre part plaisir rare de pouvoir m'exprimer en français devant un public international de qualité: mon -je j'espère- bon français était à même d'exprimer mes idées que d'excellents traducteurs traduisaient en excellent anglais.
    --l'usage de l'anglais a des conséquences profondes. Dire que 90% des mots utilisés en anglais scientifique sont français ou latins ... Voir:
    http://plexus-logos-calx.blogspot.fr/2012/09/a0244-nous-nous-faisons-entuber-avec.html
    --il y a beaucoup de conférences internationales francophones en nouvelles technologies, toujours des moments précieux. Et elles ne sont pas sectaires, elles invitent souvent quelques orateurs non francophones à s'exprimer en anglais.

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  8. " pour des raisons de praticité "

    Quelle maîtrise !

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